[Dossier] Starship Troopers : 25 ans de subversion. Voulez-vous en savoir plus ?
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Starship Troopers sort en France le 21 janvier 1998. Étouffée dans l’œuf par le phénomène Titanic, cette farce politique visionnaire doit rapidement faire face à une campagne de dénigrement absurde, Paul Verhoeven étant pointé du doigt pour apologie du fascisme, un traitement indigne que les années auront heureusement permis de corriger. Ayant prédit le 11 septembre, la montée de la désinformation sur le Net et les dérives sectaires du XXIe siècle, Starship Troopers méritait bien que l’on retrace sa passionnante histoire à l’occasion de son 25e anniversaire.
Le roman Starship Troopers (Étoiles, garde-à-vous ! en France pour sa première édition) paraît chez G. P. Putnam’s Sons en 1959. Son auteur, l’ancien officier de la Navy Robert A. Heinlein, ne cache pas sa volonté d’exposer des idées politiques radicales en réaction à des campagnes d’opinion contre le développement de l’armement nucléaire américain. « Le livre est une merde fasciste » nous glisse dans l’oreille Paul Verhoeven, un sourire narquois au coin des lèvres. Si un cinéaste pouvait s’emparer d’un tel pamphlet militariste pour en tirer une vaste blague anarchiste, c’était bien lui…
QUESTION DE TIMING
Vers 1991, Ed Neumeier et Jon Davison, respectivement scénariste et producteur de RoboCop, décident de creuser un concept pour le moins inattendu. « J’avais toujours voulu réaliser un film d’insectes géants » avoue Davison, « quelque chose qui rendrait hommage aux vieux films de Ray Harryhausen ou de Roger Corman. » En quelques semaines, Neumeier boucle le traitement de Bug Hunt, une série B de luxe évaluée à 40 millions de dollars, dans laquelle des soldats de l’espace chassent des blattes sur des planètes hostiles. Le duo rencontre Joe Dante, mais le développement s’enlise en raison d’une structure narrative encore trop fragile. Le producteur a soudain l’idée de vérifier la disponibilité des droits de Starship Troopers. et s’empresse de les acheter. Bug Hunt devient une adaptation officielle du roman de Heinlein concoctée par une équipe qui en méprise ouvertement l’idéologie.
Rapidement contacté pour produire une centaine de plans de stop motion, Phil Tippett doit déclarer forfait, le nombre de créatures apparaissant à l’écran se prêtant mal à la technique de l’animation image par image. Deux ans plus tard, Ed Neumeier et Jon Davison sont invités à une projection privée de Jurassic Park, dont les dinosaures numériques ont été « supervisés » par leur vieil ami Tippett. Les deux hommes en ressortent galvanisés : Spielberg et ses collaborateurs viennent tout simplement de révolutionner le 7° Art, ouvrant en grand les portes d’un imaginaire jusqu’alors interdit. Alors qu’il vient de boucler le grand final de Coneheads, bref retour à la stop motion avant que la déferlante numérique n’emporte tout sur son passage, Tippett reçoit un nouvel appel de Davison et Neumeier, et n’est cette fois-ci plus en position de refuser. « Sur Jurassic Park » explique l’artiste, « nous avions animé le T-Rex et les raptors en utilisant un D.I.D, c’est-à-dire une armature de stop motion connectée à un ordinateur. Ensuite, on a dû créer un monstre un peu cartoonesque pour Trois vœux de Martha Coolidge - c’était notre première vraie expérience en autonomie totale dans le domaine des images de synthèse. Starship Troopers, c’était un tout autre niveau. »
Obtenant en 1994 l’accord oral du superviseur VFX (qui signera son contrat final le 3 août de l’année suivante), Davison et Neumeier peuvent faire du charme à celui qu’ils considèrent comme le réalisateur idéal. Leurs retrouvailles avec Paul Verhoeven ont lieu un an et demi après le triomphe planétaire de Basic Instinct, et bien qu’il soit devenu l’un des cinéastes les plus bancables au monde, le Hollandais fou ne se fait pas prier. L’idée de retravailler avec Tippett sur une épopée de science-fiction aux fortes résonances politiques est déjà excitante en soi, mais ce blockbuster lui permettra également de retomber sur ses pieds si son projet en cours, Showgirls, venait à échouer…
– Le sentiment du travail bien fait !LE TEST
Sur les murs du bureau de Jon Davison, installé dans les locaux de Sony Pictures, une affiche de L’Attaque des crabes géants de Roger Corman donne le ton. Starship Troopers a beau nécessiter des trucages avant-gardistes et des moyens hors du commun, l’intention sous-jacente est de ravir les fantasmes régressifs du producteur. « Je comprends maintenant, c’est ce film qu’on est en train de faire » hurle un Verhoeven hilare lorsqu’il aperçoit le poster pour la première fois. De l’autre côté du couloir, l’atmosphère est moins chaleureuse : devant les premières estimations budgétaires (dont 20 millions de dollars pour environ 200 plans d’insectes numériques), le service comptable de Sony fait grise mine.
Résilient, Davison propose au studio d’investir deux millions de dollars dans un test de soixante secondes qui permettrait de démontrer le potentiel des effets visuels et servirait à mieux cadrer les enjeux de la production. Cofondateur d’Orion Pictures (société de production derrière Terminator et RoboCop) et depuis peu président de TriStar, Mike Medavoy cède. Avec l’argent ainsi débloqué, le cosuperviseur Craig Hayes (créateur d’ED-209 en 1987) peaufine le design du guerrier arachnide et produit une marionnette articulée d’une quarantaine de centimètres, que Tippett Studio scanne et recrée en images de synthèse. Avec une équipe réduite (un acteur, le superviseur des effets de plateau Steve Frakes et un preneur de son), Paul Verhoeven tourne dans les Vasquez Rocks, près de Los Angeles, une séquence percutante où un soldat est poursuivi puis déchiqueté par une araignée géante. Mixé en Dolby Surround, le « Bug Test » ne déclenche pas immédiatement l’approbation de la major. Medavoy, qui soutenait jusqu’ici le projet, est en effet renvoyé du jour au lendemain, et le nouveau comité de direction voit d’un mauvais œil cet étrange space opera interdit aux moins de 17 ans.
Davison décide de louer une salle de projection au sein de Sony pendant six mois et d’y projeter le test chaque jour à heure fixe. Sony finit par accepter de garantir la moitié du budget, à Savoir 50 millions de dollars en échange des droits nord-américains du film, si le producteur parvient à trouver le reste du financement ailleurs. Davison s’empresse de montrer le test à Joe Roth, président de Walt Disney Motion Pictures Group. Impressionné, celui-ci lance illico : « Il n’y a même pas à réfléchir, j’en suis. ». Censée durer environ cinq mois, la préproduction peut officiellement commencer.
– Une bleusaille happée par un arachnide lors de l’assaut de Klendathu.PLEIN FORMAT
Jon Davison et Paul Verhoeven composent une dream team plusieurs fois récompensé. Le directeur de la photographie Jost Vacano retrouve le cinéaste après avoir été remplacé, le temps d’un film, par Jan de Bont. S’il souhaite tourner en Cinémascope 2.35, les contraintes budgétaires liées au rendu des insectes imposent un ratio plus resserré. Afin de contrôler les dépenses au maximum et d’alléger la logistique liée aux plates (plans en partie vides où seront intégrées les créatures numériques), Phil Tippett propose de filmer majoritairement en plein format « open matte » (avec toutes les informations visuelles en haut et en bas de l’image) et en « locked off » (c’est-à-dire sans déplacements panoramiques, zooms ni travellings). Les mouvements de caméra seront pour la plupart ajoutés en postproduction, sur l’ordinateur.
S’ils s’avouent dans un premier temps frustrés par cette méthodologie contraignante, Verhoeven et Vacano finissent par embrasser cette esthétique old school, qui rapproche dès l’étape des story-boards Starship Troopers de grands classiques de la fantasy ou du film de guerre, et le place symboliquement à un carrefour dans l’histoire du 7° Art. Le style ample et lent de la mise en scène se retrouve dans les scènes de vol, partagées entre trois grands studios d’effets visuels. Hormis une virée dynamique à bord d’une navette, réalisée par les génies de Boss Film (également responsables de la séquence de l’astéroïde), les tableaux spatiaux soulignent la lourdeur et la manœuvrabilité réduite des croiseurs. Évoquant à dessein des destroyers de la Seconde Guerre mondiale, les vaisseaux de la Fédération terrienne nécessitent la fabrication de dizaines de miniatures dont la plus large, représentant le Rodger Young, mesure près de six mètres.
Si ILM est appelé en renfort pour gérer les scènes de docking (le départ de Carmen en « autoécole », le retour des croiseurs endommagés sur la station), Sony Pictures Imageworks grignote la plus grande part du gâteau : divers regroupements de la flotte, deux débarquements au-dessus de Klendathu, un carambolage entre deux croiseurs et surtout la destruction du Rodger Young, dont la tôle se disloque grâce à l’antique technique de la stop motion. Produits sur une période d’un an et demi, photographié par Alex Funke (débauché en 1999 par Weta Workshop pour filmer les bigatures du Seigneur des Anneaux), et chorégraphié par un Verhoeven soucieux de réalisme scientifique, ces séquences de Space opera imposeront un nouveau standard dans le genre et mettront dans l’embarras un certain George Lucas, alors déjà à l’œuvre sur sa nouvelle trilogie Star Wars.
DES INSECTES GÉANTS
Alec Gillis et Tom Woodruff Jr. fondateurs de la société ADI (La Mort vous va si bien), sont engagés durant le dernier trimestre de l’année 1995 pour fabriquer des bestioles grandeur nature à partir des designs de Craig Hayes. Un guerrier arachnide entier, capable de supporter le poids d’un acteur entre ses crocs, constitue l’une des principales missions d’ADI ; dans un document du 12 décembre 1995, Gillis demande à Hayes l’autorisation d’apporter une légère modification à l’une des articulations, sur laquelle repose la | très lourde gueule du monstre. Le but est de garantir la sécurité de l’équipe des cascades, supervisée par le légendaire Vic Armstrong (Les Aventuriers de l’Arche perdue, Total Recall). Imperceptible dans le film, cette différence est toutefois frappante quand on compare, dans le confort et la lumière d’un atelier, le modèle grandeur nature à son homologue digital. Un demi-guerrier arachnide relié à un rig gigantesque, animé manuellement par plusieurs opérateurs, est également construit pour les plans rapprochés, mais le clou du spectacle reste un brain bug haut de trois mètres cinquante, destiné à être largement utilisé lors de la scène de la caverne. Faisant régulièrement le déplacement depuis Berkeley jusqu’à Chatsworth, dans la banlieue de Los Angeles, pour surveiller la progression des animatroniques, Phil Tippett, Craig Hayes et la présidente de Tippett Studio Jules Roman avancent main dans la main jusqu’aux dernières heures de la préproduction. Très impliqué dans l’élaboration des story-boards, livrés entre février et mai 1996, Tippett a également une influence déterminante sur les décors d’Allan Cameron, chaque environnement étant défini en fonction du nombre de créatures impliquées. Dans un mémo envoyé au production designer le 16 février 1996, Tippett explique que la caverne doit accueillir au moins neuf guerriers arachnides de deux mètres de large, en précisant que ce chiffre pourrait s’avérer insuffisant pour Verhoeven. Outre « Bug City », l’intérieur des vaisseaux spatiaux et le camp d’entraînement où sont formés Johnny Rico et Dizzy Flores, le plus grand défi de Cameron est d’ériger un fort colonial dans le désert du Wyoming, où l’équipe doit planter ses caméras au mois de mai…
– La mémorable séquence de l’assaut de l’avant poste par une horde d’arachnides.LA GUEULE DE L’EMPLOI
Entre fin 1995 et début 1996, une fois libéré de la postproduction et de la tournée promotionnelle de Showgirls, Verhoeven peut enfin verrouiller le casting de Starship Troopers. «Je viens d’une famille de militaires et j’ai moi-même étudié dans une école militaire » confie Casper Van Dien, « donc quand on m’a proposé de passer une audition pour une adaptation du roman de Heinlein, j’ai sauté au plafond. Quand je me suis rendu chez Sony, je me suis retrouvé au milieu de dizaines de candidats. Un type assez maigre est apparu dans l’encadrement d’une porte -c’était Ed Neumeier. Il a regardé tout le monde, ses yeux se sont arrêtés sur moi, et il m’a fait signe de venir. Sur son bureau, il avait un fusil de la Seconde Guerre mondiale. J’ai demandé si je pouvais le prendre et j’ai fait quelques manœuvres avec. Il a dit “Wow !” J’ai expliqué que j’avais un background militaire, on a discuté un peu de John Wayne et John Ford qui étaient son acteur et son réalisateur préférés. et les miens aussi! Je ne savais pas que je parlais à Ed à ce moment-là. Je suis retourné dans le couloir, j’ai attendu, et Paul Verhoeven est apparu à une autre porte. Il m’a regardé silencieusement, m’a fait un signe de la tête et m’a dit : “Toi.” Il a posé un ballon sur le sol, shooté dedans dans ma direction, et je l’ai arrêté. “Allez, montre-moi ce que tu as dans le ventre !” a-t-il hurlé. On a commencé à se renvoyer la balle en frappant comme des dingues. À un moment, j’y ai mis tellement de force que mon tir a frôlé quelqu’un à l’autre bout du couloir ; c’était en fait Alan Marshall, l’un des producteurs du film. Le ballon s’est écrasé contre une armoire et l’a endommagée. Paul a crié : “Génial ! Viens ici, maintenant tu vas passer une audition !” J’étais en sueur, mais je me sentais totalement remonté et en confiance. Ed m’a dit plus tard qu’il avait su tout de suite que c’était moi, et Paul aussi. Sony a exigé que je passe un screen test, en concurrence avec un autre acteur, mais le seul test qui a été filmé, c’était avec Denise Richards et moi. »
– Paul Verhoeven donne des indications à Casper Van Dien durant le tournage.DÉPART POUR KLENDATHU
Si les rôles d’officiers sont distribués à des gueules incontournables du cinéma de genre (Clancy Brown !), de préférence déjà connectés à l’œuvre du réalisateur (Marshall Bell, Michael Ironside et Dean Norris avaient tous participé à Total Recall), les jeunes protagonistes sont confiés à des acteurs surtout connus pour leur CV télévisuel (Patrick Muldoon a joué dans Madame est servie, Casper Van Dien et Denise Richards se sont croisés sur les plateaux de Sauvés par le gong et Mariés, deux enfants, Richards et Neil Patrick Harris en coulisse de Docteur Dougie). En comparaison, Dina Meyer et Jake Busey peuvent être considérés comme des vedettes émergentes, la première pour Johnny Mnemonic, Cœur de dragon et Friends, le second pour Twister, Fantômes contre fantômes et Contact. « Je voulais engager de beaux acteurs susceptibles d’attirer la sympathie du public » précise le réalisateur. « Et en cours de projection, je voulais dire au spectateur : ‘Au fait, ce sont des nazis !” »
Le 18 avril 1996, tout ce beau monde est envoyé dans un boot camp sous la tutelle du conseiller militaire Dale Dye, un ancien marine engagé pendant près de quatre ans dans la guerre du Vietnam. Grand admirateur de Heinlein, et sans doute loin de saisir l’ironie du projet de Verhoeven, Neumeier et Davison, Dye soumet les comédiens à un entraînement intensif de dix jours, durant lesquels les équipes techniques et artistiques sont elles aussi sensibilisées à l’usage des explosifs et des armes. Et pour cause : près de 300.000 balles à blanc seront tirées durant le tournage, auxquelles s’ajoute l’explosion la plus importante jamais capturée sur pellicule. Démarrant le 29 avril par les séquences du « Hopper Canyon », les prises de vues se déroulent au Wyoming sous une chaleur écrasante — ou dans un froid glacial lors des sessions nocturnes — sous la triple direction de Paul Verhoeven, Vic Armstrong (réalisateur de seconde équipe) et Phil Tippett.
Sa présence étant requise pour chaque plan d’insecte (il gribouille d’ailleurs régulièrement des story-boards à la volée pour suggérer à Verhoeven de nouveaux cadrages), ce dernier ne cesse de courir entre les deux unités de production. Reconnu pour son travail sur Hidden, Les Griffes du cauchemar et Jeu d’enfant, Kevin Yagher balade une cinquantaine de fois ses cadavres d’un extérieur à l’autre et fournit une pléthore de maquillages spéciaux particulièrement mémorables (les jambes arrachées de Rasczak ou le bras désintégré du caporal Birdie, entre autres). Le 26 mai, la première équipe se déplace au Dakota du Sud pour filmer la bataille de Tango Urilla ; la seconde équipe la rejoint le 8 juin. La production se déplace à Los Angeles entre le 18 et le 22 juin. Y sont notamment tournées les scènes de l’université et la fameuse douche collective, pour laquelle Verhoeven et Vacano se mettent immédiatement à poil pour apaiser les complexes de leurs acteurs américains. Le clap final retentit dans le studio 29 de Sony le 20 septembre 1996.
– Un des nombreux effets gore du film.POLEDOURIS X BOWIE
La sortie en salles aux USA étant prévue pour le 7 novembre 1997, il reste à Verhoeven, au compositeur Basil Poledouris, au sound designer Randy Thom, au monteur Mark Goldblatt et aux artistes d’ILM, Boss Film, Sony Pictures Imageworks et Tippett Studio environ treize mois pour boucler la postproduction de Starship Troopers. Jules Roman et Craig Hayes ayant profité de la période de tournage pour lever une armée d’infographistes, le travail sur les créatures numériques atteint rapidement son plein régime. Pendant que les animateurs affinent leur ouvrage selon les directives très pointilleuses de Phil Tippett (en témoignent des notes quotidiennes préservées dans ses archives), l’Allemand Frank Petzold passe ses journées sur le vieux plateau de stop motion de Tippett Studio à filmer des éléments réels (jets de terre, morceaux de carapace et fluides divers volant aux quatre vents) destinés à renforcer la crédibilité des images virtuelles. Ce souci d’intégration se retrouve dans la bande sonore, aspirant à atteindre l’équilibre parfait entre le sound design et le score.
Retrouvant Poledouris dix ans après RoboCop, Verhoeven décide d’expérimenter une nouvelle approche d’écriture musicale. Plutôt que de lui soumettre un cut complet, le cinéaste rencontre le m*****o une fois par semaine et lui projette à chaque fois un amalgame de séquences liées sur le plan thématique. Poledouris développe ainsi ses leitmotivs selon des arcs dramatiques entrecroisés, et non de façon linéaire. Il peut en outre s’appuyer sur un script richement annoté sur lequel le réalisateur, en mélomane avisé, décrit sa perception mélodique de chaque scène. Pour l’anecdote, Zoe Poledouris, qui avait déjà collaboré avec son père sur le morceau The Orgy de Conan Le Barbare, figure elle aussi au générique de Starship Troopers : durant le bal de promo, on la voit chanter une reprise de I Have Not Been to Oxford Town de David Bowie. « On a un peu modifié les paroles » nous confie Verhoeven. «Dans le texte original, il parle du XX siècle ; or notre film se déroule au XXII siècle. J’ai appelé Bowie pour lui demander son autorisation et il s’est tout de suite exclamé : “Aucun problème ! Faites ce que vous voulez, allez-y !” C’était vraiment un type génial. »
– La grosse bestiole.DÉMYSTIFICATION NÉCESSAIRE
Le tournage et la postproduction de Starship Troopers se déroulent dans un contexte particulier, en plein changement de régime à la tête de Sony Pictures. La liberté de ton offerte à Verhoeven est donc en grande partie accidentelle, les actionnaires et le comité de direction se sentant alors bien plus concerné par Men in Black, Air Force One, Le Mariage de mon meilleur ami et Jerry Maguire. Bien qu’il ne soit pas à l’origine du projet, le cinéaste peut donc y insuffler ses propres obsessions vis-à-vis de la propagande et du fascisme, héritées d’une petite enfance passée en Hollande occupée.
Il suffit d’arpenter son appartement à La Haye pour que cette fascination saute aux yeux, les étagères du salon étant largement remplies de livres d’histoire et d’analyses des procédés de Goebbels. Toute sa vie, Verhoeven aura essayé de comprendre le totalitarisme afin de le démystifier, et Starship Troopers est l’aboutissement de cette quête. Par ricochet, le film décrit avec quatre ans d’avance tous les événements liés au 11 septembre 2001, depuis l’attentat au cœur d’une grande ville occidentale jusqu’à une guerre en plein désert que les dirigeants mènent avant tout pour vendre des vaisseaux et des armes (la fin ouverte ne pourrait être plus pertinente).
«Je crois que nous avons juste remarqué une montée de certains courants dans la société de l’époque et nous avons décidé de les commenter » nuance le réalisateur, qui éclate de rire quand on qualifie son ouvrage de visionnaire. Précédé par une campagne publicitaire loin de faire honneur aux merveilles thématiques et spectaculaires qu’il a à offrir, Starship Troopers est un désastre commercial sur le territoire américain, où il récolte 22 millions de dollars le premier week-end et 55 millions en fin de carrière. Ces chiffres cachent en fait une belle entourloupe : la vision de ce blockbuster « Rated R » leur étant interdite, des hordes d’adolescents achètent un ticket pour Bean, le film afin d’aller voir en douce un space opera sanglant. La situation est aggravée avec l’arrivée de Titanic de James Cameron, qui confisquera la plupart des écrans et lui ravira l’Oscar des effets visuels. Vingt-cinq ans plus tard, les deux films sont considérés à juste titre comme le firmament du cinéma des nineties, il est d’autant plus formidable que leurs sorties n’aient été séparées que de cinq semaines…
– Paul Verhoeven s’autoparodiant sur les fameuses séquences de "Voulez-vous en savoir plus ?DES SUITES À BAS PRIX
Comprenant que l’échec commercial de Starship Troopers repose en partie sur des paramètres exceptionnels (la sortie de Titanic, l’ affaire Bean), Sony Pictures propose à Paul Verhoeven de tourner une suite, avec un budget évidemment largement réduit, « J’en aurais volontiers fait un autre, mais pas pour dix millions de dollars » explique le cinéaste. « Le premier opus avait couté cent millions, alors quand ils m’ont annoncé le budget du 2, je leur ai dit bye bye. Je ne pouvais pas faire mieux avec une enveloppe pareille, J’ai tout de même discuté avec Phil Tinpeft quand il a réalisé le second épisode, et avec Ed Neumeier quand il a signé le troisième. »
Face au refus prévisible de Verhoeven, Tippett est en effet contacté en 2003 par Jon Davison, et le budget a encore été revu à la baisse par le studio jusqu’à atteindre moins de six millions. Les comparaisons étant destinées à être en sa défaveur, l’artiste décide de s’éloigner du caractère politique de l’original au profit d’un film de monstre claustrophobique à la The Thing. Après une préproduction compliquée (les costumes du premier opus ne peuvent être utilisés, car ils provoquent un effet de moirage dans la caméra imposée par Sony), le tournage prend du retard dès la première semaine pour des raisons météorologiques incontrôlables.
Coincés, Tippett et Davison arrachent aléatoirement des pages entières du script. Le résultat sera « utilisable », selon les mots du service marketing de la maior. Marquant le passage de Neumeier à la réalisation et le retour de Casper Van Dien dans le rôle de Johnny Rico, le troisième opus ne fera pas non plus de grandes vagues en 2008, des effets visuels désastreux ayant tendance à éclipser un contenu politique bien plus intéressant que ce qu’on a l’habitude de voir dans un DTV…
INSECTES ANIMÉS
Starship Troopers fait très tôt l’objet d’un véritable cuite auprès des amateurs de japanimation, particulièrement réceptifs à ses concepts de science-fiction hardcore. Invités en grande pompe à Tokyo pour la sortie du film début 1998, Phil Tippett et Craig Hayes sont considérés dans le pays du Soleil Levant comme des dieux vivants, le superbe « movie pamphlet » distribué à l’époque aux spectateurs nippons se concentrant avant tout sur leurs créatures. Coïncidence ou non, une première adaptation animée d’Étoiles, garde-à-vous ! intitulée Uchü no senshi avait été distribuée par Bandai en octobre 1988, quelques mois après la sortie de RoboCop.
En 2012, Shinji Aramaki (Appleseed: Ex Machina) signera à son tour un long-métrage en CGI, Starship Troopers: Invasion, au sein du studio Sola Digital Arts (qu’on attend en 2023 sur The Lord of the Rings: The War of the Rohirrim). À ce catalogue animé s’ajoute une série 100 % américaine, Roughnecks: The Starship Troopers Chronicles, produite par Sony entre 1999 et 2000. Parmi les réalisateurs, on peut citer Jay Oliva (The Dark Knight Returns), Sam Liu (Batman: The Killing Joke) et David Hariman (Phantasm: Ravager).
« Sur Roughnecks » se souvient Hartman « on m’a promu directeur de la postproduction. Je devais superviser le montage, les effets visuels, le son et la musique pour toute la série. Pour le premier épisode que j’ai mis en scène, c’est-à-dire le deuxième, j’ai glissé un hommage à Phantasm, qui est l’un de mes films d’horreur favoris : on voit une pique traverser le crâne d’un insecte, à la manière des sphères métalliques de Don Coscarelli. On avait aussi prévu de tourner un grand final épique réparti sur plusieurs chapitres. Les roughnecks auraient enfilé leurs costumes de marauders pour explorer un tunnel d’insectes creusé sous une grande ville américaine. J’ai conçu des scènes d’action complètement folles, mais le studio a décidé d’annuler ces épisodes. C’est triste, nous n’avons jamais pu offrir à la série la conclusion qu’elle méritait, »
– Par Alexandre Poncet
– Analyses, interviews et archives tirées du livre Mad Dreams And Monsters : The Art of Phil Tippett et du documentaire The Prophecy of Starship Troopers d’Alexandre Poncet et Gilles Penso.
– Mad Movies N°367 -
@Violence Merci pour cet article super complet qui montre à quel point une adaptation réussie peut donner du sens à l’absurde, j’ai adoré le 1er, horrifié des suites qui avaient totalement perdu l’âme visionnaire insufflée par Verhoeven à sa production.
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Content que l’article t’ai plus, je l’ai trouvé passionnant aussi.
Tout comme toi, le premier film est pour moi un classique de SF et un gros fuck en pleine gueule.
Certains films ont marqués ma vie de cinéphile et Starship Troopers en fait clairement partie !
Merci à Verhoeven, le hollandais violent
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j’en ai vu aucun ^^ est ce mieux que les ovni avec des requins transgénique ^^ ? Merci pour le bel article peut être qu’ il touche une catégorie de public
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@Snoubi a dit dans [Dossier] Starship Troopers : 25 ans de subversion. Voulez-vous en savoir plus ? :
est ce mieux que les ovni avec des requins transgénique ^^ ?
oui bien mieux. Classique de SF hardcore et non pas de série Z commençant avec un shark et finissant en nado !!!
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@Violence a dit dans [Dossier] Starship Troopers : 25 ans de subversion. Voulez-vous en savoir plus ? :
cette farce politique visionnaire doit rapidement faire face à une campagne de dénigrement absurde, Paul Verhoeven étant pointé du doigt pour apologie du fascisme,
Hé ben, y’en a qui ont un grain sérieusement lol.
La première fois que j’ai maté ce film j’ai adhéré direct ( faut dire j’étais baigné gamin, avec du Robocop et les pub délirantes intégrées dans le film…du Verhoeven quoi ) -
@Violence Vraiment passionnant, merci beaucoup
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Wow, quel article, merci de l’avoir partagé, j’ai appris plein de choses
C’est un de mes films préférés, je l’avais vu 5x au ciné au moment de sa sortie
Vraiment dommage que les circonstances ne lui aient pas permis d’avoir le succès qu’il mérite et des suites dignes de ce premier opus. -
@Violence a dit dans [Dossier] Starship Troopers : 25 ans de subversion. Voulez-vous en savoir plus ? :
Le roman Starship Troopers (Étoiles, garde-à-vous ! en France pour sa première édition) paraît chez G. P. Putnam’s Sons en 1959. Son auteur, l’ancien officier de la Navy Robert A. Heinlein, ne cache pas sa volonté d’exposer des idées politiques radicales en réaction à des campagnes d’opinion contre le développement de l’armement nucléaire américain. « Le livre est une merde fasciste » nous glisse dans l’oreille Paul Verhoeven, un sourire narquois au coin des lèvres
Pour mémoire, Heinlein n’est (heureusement ) pas que l’auteur de ce truc faschoïde …Il a surtout écrit en 1961 " Stranger in a Strange Land" (En Terre Etrangère), un magnifique livre - et sans aucun doute un grand classique de la SF des années 60 - prônant l’amour comme valeur universelle, la liberté sexuelle et le refus de la violence, à tel point que ce livre était devenu, dès sa sortie, l’un des bouquins préférés de la contre culture américaine …Comme quoi …
Stranger in Strange Land était et reste un de mes livres préférés. A son propos, Jacques Sadoul déclarait d’ailleurs : “*Ainsi, le chef de file de l’école ultraclassique et ultraconservatrice de la S-F avait pris la tête de sa génération dans l’underground américain : En terre étrangère fut pendant deux ans ou trois la Bible de presque toutes les communautés hippies des États-Unis” (Merci Wikipedia )