[Rencontre] Les papillons noirs - Olivier Abbou
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Moi qui ne suis pas trop séries françaises (à part T.A.N.K et d’autres exceptions), je ne pouvais passer à côté de cet O.V.N.I surtout quand c’est le réalisateur des longs-métrages Territoires et Furie (très sympa celui-ci, imaginer le vieux couple de marseillais dans son camping-car péter un boulard, c’est d’actualité ) qui dynamite les codes de la série criminelle Française avec Les Papillons noirs diffusée depuis le 22 septembre sur Arte avant de rejoindre le catalogue Netflix. Olivier Abou nous détaille la façon dont il a donné vie à un stupéfiant couple de vacanciers tueurs, en s’insinuant dans les failles du système télévisuel.
Les Papillons noirs imbrique plusieurs lignes narratives, dont le point commun est longtemps laissé dans l’ombre. Comment s’est déroulée l’écriture du scénario ?
La meilleure réponse à la question est peut-être de dire que c’était très différent du rythme habituel de l’écriture d’une série. En général, une fois que tu as vendu ton idée à une chaîne ou à une plateforme, tu es soumis à des temps très serrés, en vue de la date de diffusion. Tu te fais donc un rétroplanning incluant l’écriture, le tournage, etc. Cela n’a pas du tout été le cas sur Les Papillons noirs. Mon coscénariste Bruno Merle et moi avons commencé à réfléchir à cette idée lors de l’été 2015, et j’ai tourné en 2021.
Entretemps, il y a eu un tas d’autres projets, autant pour Bruno que pour moi, même si nous avons commencé à développer l’histoire des Papillons noirs avec Arte dès 2017 ou 2018. Nous avons donc eu un long temps de rumination, pendant lequel le synopsis a beaucoup évolué. Par exemple, le personnage du flic solitaire est arrivé très tard. À la base, c’était vraiment sur un écrivain en butte au syndrome de la page blanche, Adrien, qui arrondit les fins de mois en jouant les nègres pour inconnus. Il rencontre ainsi un vieil homme, Albert, qui lui raconte cette grande histoire d’amour, les étés meurtriers d’un couple de tueurs en série.
Et Adrien le spolie de son récit pour en faire un roman prétendument original… Mais à partir de là, nous nous sommes laissé emmener par les personnages, ce qui a fait passer le nombre d’épisodes de trois à quatre, cinq et finalement six. En particulier, la façon dont Adrien a un black-out total sur son passé, le mensonge qu’est sa vie, sont des choses qui sont venues progressivement.
La résolution de cet aspect n’est pas foncièrement originale, mais vous mystifiez quand même le public grâce à d’autres révélations intermédiaires. Par exemple, quand des actions qu’on croyait simultanées s’avèrent situées à des moments différents…
Haha, c’est comme cette scène du Silence des agneaux où un personnage frappe à une porte. qui s’ouvre sur une chose inattendue. Sauf que ce n’est plus un décalage dans l’espace, mais dans le temps. Ceci dit, même si je manipule un peu le spectateur, je ne crois pas que je le trompe. D’ailleurs, l’exemple à ne pas suivre était pour moi Usual Suspects.
En fait, j’ai toujours eu en tête de donner de petits indices au public, comme des objets du passé qu’on retrouve dans le présent. En particulier, il y a le moment où la mère d’Adrien manifeste un léger trouble en apprenant le sujet du roman de son fils. À partir de là, certains spectateurs se diront : « Hé, hé, j’avais deviné le truc. » Mais en fin de compte, ce n’est pas très grave, car les twists les plus importants arrivent ensuite. Et ceux-là, on ne peut pas vraiment les anticiper. De plus, à un niveau plus large, je crois que Les Papillons noirs est vachement plus intéressant en deuxième lecture.
Je sais bien sûr que les gens ont trop de films et de séries à regarder, et que personne ne reverra donc tous les épisodes. Pourtant, une fois passés les twists et les rebondissements, tu te rends compte que les choses ne sont pas mal écrites en plein d’endroits. En tout cas, je me suis beaucoup amusé à placer des indices en fonction d’une deuxième lecture. Une autre dimension amusante a été d’imbriquer ces trois univers très différents au niveau visuel, esthétique. Chacun a son propre look, et même son propre style de mouvements de caméra.
Oui, les séquences dans le passé sont assez stylisées. Vous vous êtes inspiré des thrillers des années 1970, notamment italiens ?
Ce n’était pas archiconscient au départ. je disais tout à l’heure que nous nous étions laissé porter par les personnages, et cela a aussi emmené les séquences au passé vers un truc très « Éros et Thanatos ». Quand ils ont vu le sujet, qui comporte à la fois beaucoup de sexe et beaucoup de meurtres, les gens d’Arte ont donc commencé à me dire : « Comment vas-tu aborder tout cela ? Fais quand même gaffe, c’est du prime time. »
Mais ils ne pouvaient pas nous suivre sur une histoire où ces éléments étaient incontournables, pour nous demander ensuite d’édulcorer au niveau de la réalisation. Heureusement, le boss de l’unité fiction d’Arte, Olivier Wotling, est un grand fan de cinéma italien, et de culture italienne en général. J’ai donc pu lui expliquer que j’allais aborder la violence en la suresthétisant, de manière à la déréaliser dans une certaine mesure. J’avais vraiment envie de cette approche, car la série tout entière joue avec le statut des images, le spectateur étant amené à s’interroger sur ce qu’on lui donne à voir. Là encore, j’ai placé des indices.
Quand Adrien demande une photo de Solange à Albert, ce dernier lui répond : « Je n’ai pas de photo d’elle. Désolé, tu vas devoir imaginer, mon petit. » Ainsi, on ne sait pas si les séquences au passé sont un vrai flash-back exposant les faits, ou bien s’il s’agit de l’interprétation du récit du vieil Albert que fait Adrien dans son roman. La suite apportera des réponses à ces questions, mais l’incertitude me permettait d’aller à fond dans les clichés des années 70, avec de la sophistication, une lumière chatoyante qui enjolive tout, et même de l’italo-disco dans la bande-son !
Bref, j’ai montré au spectateur ce que je voulais, c’est-à-dire du cul et une violence assez brute, mais en lui donnant presque envie de partir en vacances avec les tueurs. Car en fin de compte, on s’éclate beaucoup plus avec eux qu’avec Adrien dans le présent, où tout est glauque, dur, noir, marqué par le doute existentiel.
Nicolas Duvauchelle, qui incarne Adrien, est devenu un acteur intense.
En plus, la série joue avec son parcours d’acteur. Nicolas a lui-même été boxeur, et c’est dans un gymnase qu’il a été découvert par Érick Zonca, lequel lui a donné son premier rôle dans Le Petit voleur. Je lui ai donc fait refaire un truc de ses débuts. En outre, Nicolas a aussi des histoires de famille et de généalogie un peu compliquées, et il a ainsi investi beaucoup de son histoire personnelle dans le personnage d’Adrien. En fait, la mise en abyme a été le moteur des Papillons noirs à tous les niveaux, que ce soit dans l’écriture, les thématiques, la réalisation. Cela va jusqu’au livre qu’Adrien est censé écrire dans la série : ce roman a vraiment été rédigé, et il va sortir dans les librairies.
Comment s’est construite l’alchimie entre Duvauchelle et Niels Arestrup, qui joue Albert ?
C’est vrai qu’ils sont tous deux des animaux assez particuliers. En fait, Niels a une méthode très Actors Studio, consistant à mélanger un peu la vraie vie et les personnages. Pendant la préparation et les premiers. temps du tournage, il n’a donc rien fait pour se rapprocher amicalement de Nicolas. C’était : bonjour, on s’assoit, on fait nos scènes, et au revoir. Mais cela fonctionnait vachement bien, car cela créa t une tension.
En effet, Nicolas avait à se confronter à ce monstre d’acteur, de la même manière qu’Adrien est souvent intimidé devant Albert. Car nous avons veillé à tourner toutes leurs scènes dans l’ordre chronologique. Ainsi, Niels a amorcé un rapprochement au moment de la scène dans la cuisine de l’épisode 3, où Adrien raconte un peu sa vie avec sa compagne, son passé en prison, etc. Bref, les deux acteurs ont commencé à sympathiser au stade où leurs personnages respectifs devenaient plus intimes.
Niels m’a toujours dit que ce qui lui avait plu dans le scénario, c’était l’idée de ces enfants blessés, qui portent ce traumatisme tout au long de leur existence. Je pense que cela fait écho à des choses de sa propre vie. En tout cas, il a accepté le rôle rapidement. Mais cela a été le cas de tous les acteurs : ils ont lu le script, l’ont aimé, et c’était parti.
Pourtant, Niels est quelqu’un d’hyper exigeant, et il se méfie pas mal des séries contemporaines. En réalité, ce domaine lui était complètement étranger jusqu’au confinement, où il s’est mis à regarder des séries comme tout le monde. Bien sûr, il avait joué le président dans Baron noir, mais il avait toujours annoncé qu’il ne tournerait qu’une seule saison. Comme je l’ai entendu dire cet été sur France Info, il n’aime pas les rôles récurrents, car il a l’impression de récurer !
https://open.spotify.com/episode/2loAZNWOV2QEvj14Yd7yE7
– Propos recueillis par Gilles Esposito
– Merci à Nathalie Lund– Source: Mad Movies #363
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