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    J’ai bien aimé les expendables hormis le 4, ça flingue dans tout les sens, les têtes qui explosent, ça se lâche, on met le cerveau en off

    Par contre les rocky j’aime pas du tout, comme quoi

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    Il y a quelques mois, le BIFFF fêtait sa 400 édition en invitant le réalisateur de La Famille Addams et des Men in Black. Avec un humour acide, il nous livre son credo technique, poursuivi de ses débuts comme directeur photo des frères Coen à des blockbusters dont la production a parfois viré à des histoires de fous.

    Vous débutez pratiquement en étant le directeur photo de Sang pour Sang des frères Coen. L’idée était de mêler les contrastes du film noir classique à une ambiance texane poisseuse ?

    Joel Coen avait été inscrit à l’université du Texas, à Austin. pendant un an. Le scénario de Sang pour Sang a donc été écrit en fonction d’endroits qu’il connaissait et conçu pour être tourné avec un budget très bas. L’atmosphère en est très claustrophobe : il y a peu de scènes avec une nombreuse figuration. Mais je vais vous raconter le point principal. Au premier jour de tournage. c’était pour chacun de nous la première fois que nous élions sur un plateau professionnel. Je n’avais jarnais été directeur photo sur un long-métrage. Joel n’avait rien réalisé en dehors son école de cinéma, et son frère Ethan avait abandonné ses études de philosophie et travaillait comme dactylo.

    La bonne chose là-dedans, c’est que nous n’avions rien à perdre, hein ? En ce qui me concerne, une fois diplômé d’une école de cinéma, j’ai acheté une caméra 16 mm car je pensais que cela me donnerait le titre d’opérateur. J’ai ensuite rencontré Joel Coen dans une fête et il m’a raconté comment Ethan et lui allaient lever de l’argent pour Sang pour sang. Ils allaient d’abord en tourner la bande-annonce,
    comme si le film était déjà terminé, puis la montrer à de possibles investisseurs. Et quand j’ai dit à Joel que je possédais une caméra, il m’a répondu que j’étais engagé ! Nous avons ainsi tourné cette bande-annonce qui était esthétiquement réussie, et au bout d’un an, nous avons réuni 750.000 dollars.

    Cependant, mon état d’esprit était le suivant : je n’étais pas beau gosse, je n’étais pas un bon acteur, mais je voulais quand même me faire remarquer. Pour ce faire, j’ai développé un style où la caméra semble douée d’une vie propre. Dans Sang pour sang, il y a un travelling qui longe un comptoir de bar. Or, un poivrot y est assis, et la caméra saute donc par-dessus ce dernier, puis continue à avancer. Tous les trucs de ce genre ont été conçus par Joel, Ethan et moi en préproduction, chaque plan étant dessiné sur storyboard. Car nous sommes tous trois des maniaques du contrôle et nous étions d’accord pour dire que le pire endroit pour prendre des décisions est sur le plateau, pendant que le reste de l’équipe traîne ou joue au frisbee. Cette entente s’est prolongée sur Arizona Junior, le film suivant.

    Après avoir lu le scénario, j’ai appelé Ethan Coen pour lui dire : « Que dirais-tu si je l’éclairais comme si c’était un livre d’images pop-up ?» Joel et lui ont adoré l’idée, de sorte que non seulement les mouvements de caméra sont complètement farfelus, mais j’ai en plus pris un matériel qu’on n’utilise plus aujourd’hui, de grandes lampes à charbon produisant des arcs électriques. Grâce à cela, les acteurs étaient tellement éclairés qu’ils avaient l’air d’être découpés sur l’arrière-plan. Par chance, les frères Coen et moi avons toujours eu un point de vue similaire, y compris sur Miller’s Crossing, le dernier film que nous avons fait ensemble.

    Miller’s Crossing a un style de photo assez différent, car c’est un film d’époque…

    Nous l’appelions « le film beau », pour le distinguer du côté farfelu des précédents. Ceux-ci avaient été tournés avec des objectifs grand-angles, qui ont souvent un effet comique. Or, même si Miller’s Crossing a des aspects drôles, notamment dans les dialogues, ce n’est pas une comédie. J’ai donc pris des focales plus longues, et surtout, j’ai utilisé une pellicule peu sensible, car elle donnait un grain
    très fin et des noirs très riches.

    Cela nécessitait bien sûr beaucoup de lumière, en particulier pour les extérieurs nuit. J’ai ainsi insisté pour avoir des éclairages très puissants, que j’ai obtenus grâce au soutien des Coen. C’était adorable, car beaucoup de réalisateurs n’auraient pas appuyé mes exigences. Ma collaboration avec Joel et Ethan est la meilleure que j’ai eue, et Miller’s Crossing est le plus beau film que
    j’ai fait comme directeur photo.

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    – Le classieux Millers Crossing des frères Coen, cadré et éclairé par Barry Sonnenfeld.

    Vous avez aussi éclairé Misery de Rob Reiner, qui se déroule essentiellement dans la chambre où un écrivain est séquestré par une admiratrice psychopathe. Vous avez veillé à varier la lumière en fonction de l’heure supposée et de l’atmosphère de la scène ?

    À l’exception de quelques jours d’extérieurs que j’ai dirigés moi-même car j’étais aussi réalisateur de seconde équipe, Misery a été entièrement tourné en studio. Le décorateur a ainsi suggéré d’utiliser un Translight. Il s’agit d’une photo de paysage que vous agrandissez et que vous mettez contre la fenêtre en l’éclairant par-derrière. Ce décorateur avait prévu deux Translight, un pour la journée et l’autre pour la nuit. Mais je l’en ai dissuadé en lui disant que la nuit était complètement noire dans les bois, et que ce ne serait pas crédible si on en voyait trop.

    J’ai donc fait faire deux Translight, l’un ensoleillé et l’autre avec un ciel couvert. Le second servait aussi pour les fins de journée, si vous le sous-éclairiez. L’ambiance devenait alors plus sinistre, menaçante. Par ailleurs, j’avais filmé une série de tests avec Kathy Bates, pour montrer ce que différents objectifs feraient à son visage. Rob Reiner, dont ce n’était pas le rayon car il était surtout un directeur d’acteurs, m’avait dit que c’était une perte de temps puisqu’elle était de toute façon une comédienne géniale. Mais quand il a vu le résultat, il a immédiatement adopté cette idée de varier les focales.

    Car plus l’angulaire était large, plus Kathy avait l’air folle. Il y a une raison pour laquelle vous choisissez un objectif plutôt qu’un autre. Cela dépend de ce que vous essayez de raconter dans l’histoire. Mais je ne sais pas combien de réalisateurs et de directeurs photo se rendent compte que les objectifs sont des outils, de même que les mouvements de caméra. Vous devez y avoir recours si cela peut introduire du comique, ou bien de la tension. Personnellement, j’aime les travellings avant ou arrière. En revanche, je dissuade toujours les réalisateurs de faire des panoramiques.

    La mise en scène consiste à trouver le bon cadrage et à gérer les entrées et sorties des acteurs, mais les panoramiques me semblent toujours paresseux et arbitraires. Bref, j’ai toute une philosophie sur les objectifs et les mouvements de caméra, mais le point principal est le suivant : la caméra n’est pas un simple appareil d’enregistrement, elle doit être un personnage de l’histoire.

    C’est grâce à cette expérience de seconde équipe que vous êtes passé à la réalisation avec La Famille Addams ?

    Non, je n’ai jamais décidé d’être réalisateur. J’étais très heureux d’être à la caméra car j’avais la maîtrise de mon travail. Et je voyais tous ces réalisateurs qui ne pouvaient rien maîtriser puisqu’ils devaient traiter avec ces gens difficiles que sont les acteurs. Mais deux semaines avant la fin du tournage de Misery, un dimanche, la réception de mon hôtel m’a appelé pour me dire : « Scott Rudin a déposé un scénario, il vous demande de le lire et de le rejoindre dans deux heures. ». Il s’agissait de La Famille Addams, et cela faisait sens que je le réalise car j’ai grandi avec l’œuvre originale, pas la série télé, mais les comic strips de Charles Addams. Ces derniers étaient très visuels : l’humour était dans les dessins et on ne saisissait pas le gag tout de suite.

    Cependant, le scénario que j’ai lu était nul, car il était plein de plaisanteries verbales. Or, j’aime seulement les comédies où tout le monde joue la réalité de la scène, et où c’est la scène elle-même qui est absurde. Par exemple, Morticia Addams suit sa propre logique, elle est juste drôle par elle-même.

    Poussé par mon épouse, j’ai donc énuméré à Rudin toutes les raisons pour lesquelles le scénario n’était pas bon. Il m’a répondu qu’il était d’accord et que c’était justement pour cela que je devais réaliser le film. Il m’a donc dit : « Si je peux persuader Orion Pictures de t’engager, tu le dirigeras, et je te promets d’améliorer le scénario. ». Je lui ai rétorqué ironiquement : « Bien sûr, Scott, un grand studio va soudain me bombarder metteur en scène. ». Mais en fait, il a vraiment réussi à me faire engager par Orion. Et s’il y avait un film idéal pour que je débute à la réalisation, c’était celui-là.

    On y trouve en effet ce qui va être votre marque de fabrique : un mélange de décors rétro et de machineries délirantes, qui s’apparente au steampunk. Ainsi, l’intérieur du manoir Addams semble infiniment plus grand que son architecture extérieure…

    Mouais, je ne pense pas que nous ayons fait du steampunk. Ce que je peux vous dire, c’est que j’adore jouer avec les proportions, comme c’était aussi le cas de Charles Addams. Nous avons d’ailleurs volé quelques images directement issues de ses dessins. L’une a donné lieu à la scène où Gomez Addams calme sa colère en jouant avec son train miniature. Un raccord nous amène à l’intérieur d’un wagon, et le visage de Gomez apparaît à travers la vitre. C’est une image complètement surréaliste, qui a l’air d’épouser le point de vue d’un minuscule passager. Et d’une manière générale, c’est vrai que l’intérieur de la maison n’a pas les mêmes proportions que l’extérieur.

    Je vais vous raconter quelque chose qui va peut-être vous intéresser. Pour La Famille Addams et sa suite Les Valeurs de la famille Addams, nous avions des chefs-décorateurs différents, et leurs versions de l’intérieur de la maison n’avaient rien en commun. Celle du premier opus a été conçue par un gars appelé Richard Macdonald, et elle était très romantique, avec des escaliers incurvés. Comme ces plateaux avaient été détruits par Paramount, nous avons engagé sur Les Valeurs… Ken Adam, qui avait signé les décors de mon film préféré, Dr. Folamour. Sa version desintérieurs ressemble beaucoup plus aux comic strips de Charles Addams. C’est plus sévère, moins meublé,
    tout en lignes droites.

    Ken Adam a été le directeur artistique de nombreux James Bond…

    C’était l’un des plus grands production designers britanniques, et il a aussi fait les décors de Barry Lyndon. Sur mes films suivants, et aussi sur des séries télé que j’ai supervisées, j’ai souvent travaillé avec Bo Welch. Il est très talentueux et il conçoit les décors avec l’esprit d’un réalisateur. Certaines des meilleures choses des Men in Black, qui ont été portées à mon crédit, sont en fait l’ceuvre de Bo. Ma théorie est donc celle-ci : puisque vous allez récolter les lauriers de toute façon, pourquoi ne pas engager les meilleurs ?

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    –Barry Sonnenfeld sur les tournages de La Famille Addams (avec Lloyd et Christina Ricci) et de Men in Black2.

    C’est pour cela que vous n’avez jamais cumulé les postes de réalisateur et directeur photo ?

    Je vais vous en dire la raison. Quand j’ai été engagé sur La Famille Addams, j’ai fait des recherches sur d’autres directeurs photo devenus réalisateurs. À l’époque, mon préféré était Gordon Willis, et il n’a mis en scène qu’un seul long-métrage, Fenêtres sur New York. Qui en a entendu parler ? De la même manière, John A. Alonzo, qui a éclairé Chinatown, n’a réalisé qu’un seul film. Il y a des tas d’autres exemples, et dans chaque cas, ils avaient promu leur cadreur au poste de directeur photo, ce qui voulait dire qu’ils ne voulaient pas vraiment abandonner la caméra. Sans doute ont-ils continué à commander leurs anciens subordonnés, leur indiquant où mettre les éclairages. Et aucun d’eux n’a réussi comme réalisateur, alors qu’ils étaient tous meilleurs que moi.

    J’ai donc estimé que, pour avoir la moindre chance de m’en sortir, je devais engager des directeurs photo tellement bons que je n’aurais plus à me soucier de la lumière. Ainsi, je n’allais pas me retrouver à penser à déplacer un éclairage là-bas pendant qu’une actrice me posait des questions sur les motivations de son personnage. Dans le cas de La Famille Addams, j’ai engagé Owen Roizman, qui avait été le chef-opérateur de French Connection et d’autres films à nombreux Oscars.

    Je lui ai juste dit que j’allais concevoir les plans à l’avance et choisir les objectifs. Ma troisième exigence était qu’Anjelica Huston, qui jouait Morticia, ait sa propre lumière, indépendante du reste de l’éclairage. Ainsi, elle ressemblerait à une photo où elle était perpétuellement belle. Owen a adoré l’idée et je lui ai dit qu’il était engagé.

    Sur Wild Wild West, vous avez pris le grand Michael Ballhaus…

    Là, c’était une erreur.

    Pourquoi ?

    (rires) Je savais que cela vous intriguerait. Michael pensait qu’un western devait être tourné au format Scope, et dans un cas normal, il aurait eu raison. Mais ici, nous avions cette araignée mécanique géante, qui est un élément très vertical. Si nous avions été en Scope, il aurait donc fallu la filmer de plus loin. Ou alors, nous aurions dû faire des travellings de bas en haut, et je déteste ces mouvements autant que je déteste les panoramiques. J’ai ainsi choisi un format moins large que le Scope, mais Michael en a été furieux et il a été désespérément lent pendant tout le tournage. Pour autant, il y a eu de nombreux autres problèmes sur ce film.

    D’abord, je ne suis pas sûr que le public était au courant que la série télé originale (en France : Les Mystères de l’Ouest — NDR) combinait le western et la science-fiction. De plus, je crois que l’araignée avait une taille disproportionnée en regard de ce qui pouvait être construit à l’époque, même avec la caution de la science-fiction. Enfin, et surtout, il n’y avait aucune alchimie entre Will Smith et Kevin Kline.

    Oui, chacun tire la couverture à lui en matière de comique. Lors de la master class que vous avez donnée ici au BIFFF, vous avez justement expliqué que sur les Men in Black, vous avez au contraire persuadé Tommy Lee Jones de rester toujours impassible, ce qui lui permettait de récolter les fruits des pitreries de Will Smith. Cela fonctionne bien, mais je me souviens d’avoir été surtout marqué par l’opus 3, dont la fin est étonnamment émouvante…

    J’aime aussi le premier Men in Black, qui a une fin presque aussi émouvante, quand Tommy dit à Will : «Je n’ai pas engagé un partenaire, j’ai engagé un remplaçant. ».

    Je n’aime pas vraiment le 2, mais j’adore effectivement le 3, qui est complètement l’idée de Will Smith. Un soir pendant le tournage de Men in Black 2, il m’a lancé : « Je sais ce que sera le troisième film. ». Et il m’a raconté cette histoire où son personnage retournait dans le passé pour trouver l’assassin de Tommy Lee Jones, et découvrait que ce dernier l’avait au fond élevé.

    Ce qui est fascinant là-dedans, c’est que cette conclusion n’était absolument pas prévue quand nous avons fait les deux films précédents, mais que ceux-ci contiennent des détails la préfigurant. Si vous vous souvenez bien, dans une scène du 1, Will demande à Tommy : « Hé, tu n’as jamais passé cette machine à flash sur moi ? ». L’autre dit que non. Mais en fait, si : il t’a
    effacé la mémoire après t’avoir élevé, parce qu’il avait accidentellement causé la mort de ton père. C’est assez génial, et je trouve que Will Smith est excellent dans Men in Black 3, de même que Josh Brolin, qui joue Tommy Lee Jones jeune. Pourtant, ce film a été très emmerdant à faire.

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    –Barry Sonnenfeld durant le tounage compliqué de Wild Wild West

    Quel était le problème ?

    Sur les trois Men in Black, j’ai eu une relation très difficile avec le producteur Walter Parkes. Il avait la prétention d’être scénariste et c’était un désastre. Un désastre ! Le pire a été sur Men in Black 3, car nous avons tourné le premier tiers avant de fermer les portes pendant quatre mois, le tout alors que le scénario n’était pas terminé. En effet, la patronne de Sony avait peur que Will Smith parte jouer dans un autre film si la production n’était pas lancée tout de suite. Mais comment un réalisateur, en particulier un réalisateur de comédies, peut-il travailler sans savoir où il va ?

    Dans ces conditions, vous n’êtes pas en mesure d’introduire un élément qui va déclencher un effet comique plus tard. Deux semaines avant le tournage du final, il y avait encore deux versions antagonistes de la séquence. Will et moi pensions que les agents devaient protéger une fusée dont le méchant Boris l’Animal voulait empêcher le décollage. À l’inverse, Walter Parkes estimait que la fin devait voir l’Animal essayer d’aller dans l’espace. Mais comment pouvais-je concevoir les cascades sans savoir si les héros avaient pour but de permettre à la fusée de décoller ou bien de l’en empêcher ?

    Dieu merci, Will Smith a fini par dire : « C’est comme cela et pas autrement, terminé les discussions, je ne veux plus voir Walter sur le plateau. ». Sans cela, nous serions encore en train de tourner ce film dix ans plus tard. C’est le genre d’histoires de dingue qui se passent à Hollywood. Pour autant, vous avez toujours conservé le style dont nous parlions au début… Je sais que cela paraît fou de dire qu’un objectif peut être drôle, mais les grands-angulaires le sont. C’est un peu moins le cas aujourd’hui, car les nouveaux modèles conçus par ordinateur engendrent moins de déformations de l’image. Il n’empêche que quand vous faites un gros plan avec un grand-angle, la caméra doit être physiquement très près de l’acteur. Et le public ressent confusément cette proximité.

    J’ose ainsi dire que Men in Black 3 est le meilleur film en 3D jamais tourné, qu’il dépasse Avatar. Car Jim Cameron est un gars très réservé, qui adore les sous-marins et la plongée ; il voit le monde à distance, à travers un hublot, si bien que sa 3D part de l’écran pour aller derrière. À l’inverse, ma 3D s’étend devant l’écran à cause des objectifs grand-angles que j’utilise. Les spectateurs ont ainsi l’impression que les acteurs sont dans la même pièce qu’eux. Encore une fois, la technique ne sert pas à enregistrer l’histoire, mais à la raconter. Et j’ai toujours essayé de faire en sorte que la caméra soit un personnage à part entière dan mes films.

    – Propos recueillis par Gilles Esposito.
    – Merci à Jonathan Lenaerts, Elise Dozo, Youssef Seniora et Thibault van de Werve.
    – Mad Movies #364

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    @Violence a dit dans [Carrière] M. Night Shyamalan : Une lumière dans la nuit :

    c’est que Mad Movies ont de très bonnes analyses des films

    Effectivement (c’est pas du Écran large :smile:)

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    Frank Henenlotter, le réalisateur new Yorkais du trash urbain, des cultissimes Basket Case, Brain Damage et Frankenhooker, visibles sur la plateforme Shadowz, nous raconte sa vie, son œuvre dans une longue interview carrière fleuve.

    Enfant, vous regardiez quel genre de fims?

    J’ai commencé à regarder des films à le télévision. J’étais un mauvais garçon, j’avais pas d’amis, Même mes parents me détestaient (il rit). Je me demande encore pourquoi lis ne m’ont pas tué. Mais je regardais tout ce qui passait à la télévision, n’importe quel film. Parce que je trouvais ça trop bizarre, je me foutais de ce que je regardais mais j’étais fasciné par ce que je découvrais. Tout était inhabituel. Quand deux personnages marchaient dans un film, ils ne marchaient pas comme dans le vraie vie. J’étais fasciné aussi par la manière dont ils s’exprimaient, ou encore la manière dont ils se faisaient tirer dessus dans les westerns et tombaient de cheval.

    Évidemment, je ne comprenais rien des artifices. Je crois que le premier film que j’ai vu à la télévision était Le roi des zombies (Jean Yarbrough, 1941). Je n’aimais pas du tout à l’époque, je trouvais les zombies trop nazes. Aujourd’hui, J’adore le film, mais à l’époque, je détestais ça. J’ai grandi à Long Island. Là-bas, il y avait deux cinémas et l’un de deux était un immense cinémas, comme il n’en existe plus aujourd’hui. A l’époque, quand vous étiez enfant, Il était possible d’aller au cinéma tout seul le week-end, le temps de séances spéciales.

    Ah bon?

    Oui, Tous les enfants étaient parqués aux mêmes rangs et ne pouvaient pas s’en échapper, A l’époque, te cinéma en question encourageait les parents à laisser leurs enfants seuls et, pour je ne sais quelle raison, il passait des films d’épouvante. Ne me demandez pas pourquoi, ni comment, je ne sais pas du tout (il rit). N’empêche, c’était merveilleux.

    Alors j’ai pu découvrir d’autres films du même acabit qui ont su créer un impact fantastique comme Le cirque des horreurs (Sidney Hayers**, 1960**). Je n’arrivais pas à croire ce que je voyais, je n’arrêtais pas de crier «Nom de Dieu». Je ne savais rien du sexe mais je savais que des choses étranges se tramaient dans ces films. A cet âge-là, on comprend rapidement les sous-entendus, les ellipses.

    Je reste très marqué par la vision des Maîtresses de Dracula (Terrence Fisher, 1960). À une époque où la télévision ne diffusait que les films avec Rock Hudson et Doris Day, ça détonnait. Le cinéma apportait un intense contraste avec le fait de grandir à Long Island. Par la suite, j’ai connu l’époque des drive-in. Dans les années 90, tous ces cinémas ont commencé à disparaître mais à l’époque, il ÿ en avait partout, absolument partout. Ainsi, je pouvais découvrir des films qui ne passaient pas à la télé. Vous pouvez imaginer l’excitation de découvrir un film comme En quatrième vitesse (Robert Aldrich, 1955) sur grand écran?

    Avant de me rendre dans la salle, je me suis dit: «oui, c’est le film du mec qui a réalisé Qu’est-il arrivé à Baby Jane? Alors ça doit être pas mal.» Une fois dans la salle, wow, j’ai découvert le plus grand film noir jamais réalisé. En sortant, je tremblais presque. Rien vu de semblable. Et ensuite, jeune adulte, j’ai arpenté les cinémas de la 42e rue, un endroit merveilleux quand vous êtes cinéphile.

    Toutes les légendes que l’on raconte sur la 42e rue sont réelles, exagérées ou fausses?

    Il y a évidemment une bonne part de fantasme. On a beaucoup exagéré sur le côté malfamé, moi le premier. Croyez moi, il ne faut pas croire tout ça. Le seul problème que vous aviez lorsque vous alliez dans ces cinémas, c’était l’impossibilité de voir tous les films à l’affiche. Et donc la peur qu’ils disparaissent,

    Qui pouvaient prédire que des décennies plus tard ces films seraient retrouvés? À l’époque, ses films étaient en face de moi et j’avais peur de manquer un chef-d’œuvre. On pouvait voir tout ce qu’on voulait. Mais à l’époque, on était rapidement floués sur la marchandise. Souvent, le contenu ne ressemblait pas à ce qu’il y avait sur l’affiche. Je me souviens m’être rendu sur la 42e rue avec un pote et on avait été attiré par la magnifique affiche d’un film de Jess Franco. En sortant, mon pote s’est exclamé: «Putain, j’ai claqué 2 dollars 50 pour voir ça». Je voyais tous les films à l’affiche et je n’en avais jamais assez. Vous deviez être très attentif car parfois les films restaient à l’affiche un jour.

    Les deux films que j’ai vu pendant longtemps en salle pendant cette période d’euphorie, c’était La vallée des plaisirs (Russ Meyer, 1970) et Le Conformiste (Bernardo Bertolucci, 1970), deux films que j’adore mais qui sont très différents. On considère souvent Citizen Kane comme le meilleur film de l’histoire du cinéma et La Dolce Vita en second et Boulevard du crépuscule etc. Je suis fan de Otto Preminger comme je suis fan de Jess Franco, vous avez besoin de deux. Après tout, vous pouvez manger des légumes et de la viande.

    J’ai rencontré Jess Franco à de nombreuses reprises, il a tout fait, notamment des remakes. Mais jamais il ne copiait pas en faisant ses remakes, il faisait tout à sa sauce avec cette étincelle qui faisait la différence. Je pense aussi à un réalisateur comme Herschel!l Gordon Lewis. Ça n’a pas besoin d’être bon, il suffit qu’il y ait quelque chose de passionnant à prendre.

    Quelles ont été vos grandes découvertes au moment où vous avez créé la collection «Something weird video»?

    Tout ce qui tient de la sexploitation. Je n’ai pas grandi avec ses films et en fouillant dans les archives, j’ai découvert des choses hallucinantes. Pour commencer, ces films n’étaient pas réalisés par des cinéastes mais par des mecs qui louaient une caméra et qui se persuadaient que des filles seraient prêtes à montrer leurs seins. Ils ne faisaient pas ça pour l’art mais pour le vendre. Et puis, c’est rudimentaire.

    L’intrigue d’une sexploitation est simple, ça consiste à montrer des nichons à l’écran. Il y avait à chaque fois quelque chose qui me faisait halluciner et j’avais envie de demander aux gens autour de moi s’ils hallucinaient eux-aussi devant ces films.

    Je pense par exemple à un film homophobe de Floride qui disait du mal des homos mais qui, en même temps, s’avérait quelque peu attiré par le personnage masculin joué par un acteur efféminé. Dans une scène, il se faisait violer à l’arrière d’une voiture et perdu sur la route, il se trouvait près d’un culte démoniaque qui le rejetait parce qu’il avait été violé par des homos et que grosso modo ça pouvait les contaminer. Clairement, le mec qui a fait ce film avait un problème. Le personnage masculin s’échappait du culte comme une femme s’échappant dans les marchéages dans les films d’horreur. Sauf qu’ici, c’est un mec se roulant dans la boue dans un petit short blanc. Non seulement l’acteur l’a fait délibérément mais le cinéaste a pris plaisir à le filmer. Ce qui est très bizarre pour un film anti-gay. Et évidemment, dans le groupe satanique, figure une lesbienne repentie. Ce sont les joies de l’exploitation. le prie pour retrouver d’autres films comme ça.

    Aussi, les films rares ne le sont plus tellement, non?

    Aujourd’hui, n’importe qui peut les télécharger via un fichier torrent. Mais personnellement, je ne sais pas comment font les jeunes cinéphiles. Je ne conçois pas de regarder un film sur un ordinateur,

    D’autant que la frontière est beaucoup plus ténue en ce qui concerne l’exploitation. Lorsque Hollywood fait un film de super-héros, c’est de l’exploitation à gros budget. Quand je cherche un film, j’ai simplement besoin d’une année. C’est très important pour moi afin de savoir si c’est un film pré-code ou post-code. C’est là que l’on réaliste à quel point il est Impossible de faire des remakes de vieux films, tout simplement parce que les enjeux et le contexte social étaient très différents. Tout est lié à l’année où ça a été fait.

    Regardez Frankenhooker, un film sur le crack. À la fin des années 80, le crack était partout à Manhattan. Aujourd’hui, ce n’est plus trop le cas. je reste très curieux de savoir ce que les jeunes spectateurs pensent de l’addiction au crack par exemple, Pour être franc, je reste étonné que mes films soient encore montrés et cela me rend extrêmement humble. A l’époque, j’ai réalisé Basket Case, Elmer le remue-méninges, Frankenhooker pour une durée de vie extrêmement limitée, je pensais qu’ils ne resteraient que six mois à l’affiche d’un cinéma et que tout le monde oublierait ensuite.

    Au générique de Basket Case, on retrouve Jim Muro, le futur réalisateur de Street Trash, crédité comme assistant son.

    Oui, c’est sur Basket Case que nous avons commencé à travailler ensemble, mais nous nous connaissions depuis longtemps. Bien avant que je fasse des films. J’ai connu Jim Muro à l’âge de 14 ans et j’ai très bien connu sa mère. Nous étions tout le temps fourrés au cinéma. A l’époque de Basket Case, je l’ai laissé faire tout ce qu’il voudrait faire et surtout tout ce qu’il voulait apprendre. La force de Jim a toujours été la curiosité, la soif d’apprendre.

    Je me souviendrais toujours de la première fois où je l’ai vu se ramener sur le plateau de tournage avec une steadicam. Au lieu de me réjouir de sa découverte, je lui ai demandé pourquoi il avait dépensé tout son argent dedans. Ce genre d’anecdote prouve à quel point je n’étais pas malin et à quel point il l’était infiniment plus que moi. C’est sans doute pour cette raison qu’il a fait une bien meilleure carrière (il rit).

    Son autre qualité, c’est d’être visionnaire, il savait à quoi allait ressembler le futur du cinéma. Ce qui est drôle, c’est que Street Trash, son premier long métrage, a été réalisé exactement au même endroit où nous avions tourné Brain Damage: chez son père. Puis, au début des années 90, il est parti sur la côte ouest pour devenir steadicamer et il a eu raison, c’est le meilleur steadi-camer au monde.

    Vous vous rendez compte, il a bossé avec James Cameron sur des films comme Abyss, Titanic. Pourquoi voudriez vous qu’il revienne à la réalisation de films? Il n’a plus à se plaindre, il n’a aucun besoin de reconnaissance, il a d’ores et déjà une carrière que la plupart des artistes trouveraient enviable. Bref, je suis très fier de lui et de son parcours.

    Vous n’en avez pas marre d’être considéré comme le parangon du cinéma new-yorkais underground des années 80?

    Chaque journaliste qui m’interviewe me demande comment c’était le cinéma underground new-yorkais des années 80. C’est la question que l’on m’a plus souvent posée. Le mythe a bien été entretenu, j’imagine. Tout le monde souhaite que le New York des années 80 sait un lieu hautement culturel où tout le monde se connaissait et vivait des expériences intenses.

    Si je cherchais à vous embobiner, je vous donnerais la réponse la plus romantique qui soit, en vous assurant droit dans les yeux: «Oh oui, on sortait ensemble, c’était super les concerts du Velvet Underground avec Richard Kern etc.» Je vais donc être honnête avec vous: je ne connaissais personne, Les artistes d’alors étaient conscients qu’il y avait une effervescence, mais c’est tout. Par exemple, contrairement à ce que l’on peut lire à gauche et à droite, Abel Ferrara et moi ne nous connaissions pas dans le New York des années 80. Nous nous sommes rencontrés des années après. C’était cool mais furtif, à chaque fois. Essayez d’avoir une conversation avec Abel et vous comprendrez ce que je veux dire (il rit).

    Je me souviens juste qu’au moment de réaliser Basket Case, un ami m’a dit qu’un autre réalisateur tournait Driller Killer. C’était évidemment Abel Ferrara et je me souviens juste avoir été très très jaloux du titre de son film. Driller Killer, ça sonne si excitant. Maintenant, il se peut qu’une autre hypothèse soit possible : ils se connaissaient tous, eux, et je ne faisais pas partie du groupe ( il rit).

    En revanche, oui, nous faisons du pur underground au moment de tourner Basket Case. Nous n’avions pas de moyens, nous devions juste veiller à ne pas se faire voler le matos pour qu’on nous le revende ensuite. Sur le tournage, nous avions quelques éclairages, quelques chaises, une caméra 70mm… Que j’ai paumé d’ailleurs. En plein pendant le tournage, j’avais posé la caméra et oublié de la récupérer. Faut jamais me confier quoi que ce soit, je paume toujours des trucs.

    Quel est votre regard sur le cinéma Hollywoodien?

    Pessimiste, évidemment. J’ai le sentiment que ces grosses productions ne sont plus calibrées pour le public américain mais pour le public chinois, C’est fou, Il y a encore dix ans, Hollywood ne pensait qu’aux Américains; désormais, Hollywood drague la Chine. La première idée de l’industrie Hollywoodienne aujourd’hui, c’est de toucher un public à l’autre bout du monde pour vendre plus de billets. Cela fait maintenant des années qu’il n’y a plus rien de neuf. A part des films super-héros, il reste quoi? Est-ce qu’il y a eu un classique Hollywoodien récent? Est-ce que le cinéma américain actuel s’adresse à un public adulte? Combien proposent des idées?

    Savoir comment les super-héros vont nous sauver des super-méchants, je ne pense pas que ce soit franchement l’enjeu le plus excitant du moment. Prenez les films de monstre des années 50. Ce qui m’a toujours attiré avec ces films-là, c’est le surréalisme, l’incroyable surréalisme qui en émanait. Aujourd’hui, ce sont des produits. Hollywood exploite un genre jusqu’à l’épuisement: les slasher il y a dix ans, les films de zombies maintenant. Jusqu’à quand on va encore bouffer du zombie? Les films actuels m’ennuient. Les seuls qui me passionnent sont ceux en 3D. Chaque fois qu’un film sort en 3D, je me rends au cinéma. C’est pourquoi je tombe dans le panneau des films de super-héros. J’ai toujours aimé les films en 3D, précisément ceux qui ont été fait entre 1953 et 1954. Il n’y avait pas d’effets CGI donc pas de manipulation visuelle. J’adore Le crime était presque parfait, L’Homme au masque de cire et Kiss me Kate. Particulièrement le dernier.

    Ce n’est pas le film musical que vous imaginez, au prime abord. C’est drôle, audacieux et, des acteurs à l’équipe technique, ils se sont éclatés à faire ça. Après, il reste beaucoup de mauvais films en 3D. Je reste aussi très bluffé par la manière dont ils ont converti d’anciens films en 3D. Le Magicien d’Oz en 3D, c’est superbe. Jurassic Park, Titanic, aussi.

    C’est grâce au rappeur R.A. The Rugged Man Thorburn que vous avez pu réaliser votre dernier film, Bad Biology (2008)…

    Oui, c’est l’un de mes meilleurs amis. le l’ai connu au moment où je travaillais pour Something Weird Video, où j’avais laissé tomber la mise en scène. Quand j’ai connu R.A. The Rugged Man Thorburn, il n’était pas bien. Maintenant, il va super bien. je l’ai récemment revu avec sa fille qui avait alors six mois. Adorable. Elle n’arrête pas de crier.

    Nous venions d’univers très différents, je lui ai partagé mon amour du cinéma, je l’ai introduit au cinéma de Buster Keaton. Comme ceux qui découvrent Buster Keaton pour la première fois, il a adoré, il m’a demandé à en voir plus. Pareil pour Fellini, Je lui ai montré Satyricon. Lorsque je l’ai revu, des années après la découverte, il m’a confié: «Plus je revois Satyricon, plus j’adore».

    Ainsi, à l’époque où j’étais chez Something Weird Vidéo, il m’a accosté: «si j’ai un peu de pognon, ça t’intéresserait de refaire un film?» Je lui ai répondu «oui» sans y croire réellement. Et finalement, si. En fait, la vraie réflexion derrière Bad Biology, c’était de dire: «que pourrions nous proposer comme film unique?»

    Du genre un film que le spectateur ne puisse pas découvrir de meilleure version si un jour un remake a lieu. Dans ce cas, vous revenez au sexe parce qu’il faut de l’audace pour l’aborder frontalement. On voulait faire un film de sexploitation contemporain. A chaque fois que je racontais ce que l’on pouvait faire, R.A, The Rugged Man Thorburn n’arrêtait pas de rire et comme il connaissait mes goûts en cinéma, il voulait absolument voir ce que ces délires allaient donner sur grand écran. C’était assez excitant à faire.

    Ce qui a coûté le plus cher, c’est de louer la caméra. J’ai tourné avec une équipe réduite et je pense que c’est la meilleure façon de tourner, je ne vois pas l’intérêt de tourner avec une grande équipe. Quand j’ai fait Basket Case 2, nous étions 65 sur le plateau. Les questions quand on fait du cinéma restent toujours les mêmes: où est-ce que je pose la caméra et comment je compose mon plan? Sur Bad Biology, nous étions 11 sur le tournage, en incluant le casting.

    »* Selon vous, à quoi ressemblera le cinéma en 2050?]**

    Bonne question, je n’y ai jamais pensé. Je m’en fous un peu car, en 2050, je serai mort. Il y aura probablement moins de films et je ne sais pas si on continuera à réaliser les films restants avec des budgets aussi exorbitants. C’est dégueulasse hein cet argent que les équipes de films dépensent dans des superproductions, non?

    Interview par Thomas AGNELLI

    SOURCE: chaosreign.fr

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    Auteur du pétaradant Versus, l’ultime guerrier, du délirant Godzilla: Final Wars et du cauchemardesque Midnight Meat Train d’après Clive Barker, Ryûhei Kitamura s’est construit en 20 ans une carrière terriblement atypique, ponctuée de délires expérimentaux en tout genre. Le cinéaste retrace ce parcours hors-norme, de ses débuts DIY nippons aux plateaux hollywoodiens plus ou moins argentés.

    Vous avez été révélé par Versus, l’ultime guerrier, un film 100 % indépendant mélangeant de façon expérimentale action et horreur.

    Effectivement Versus n’est pas un film d’horreur basique. Au début des années 2000, il a été projeté au festival de Yubari, qui est l’une des plus grosses manifestations cinématographiques du Japon. On n’avait même pas de distributeur ! L’un des membres du jury était Mataichirô Yamamoto, le seul producteur nippon à avoir travaillé avec George Lucas. Ils ont fait ensemble un excellent film intitulé Mishima – une vie en quatre chapitres en 1985 (réalisé par Paul Schrader – NDLR), puis en 1992, il a collaboré avec Francis Ford Coppola pour produire Wind de Carroll Ballard.

    C’était une légende vivante, et il est venu voir Versus ! Je l’ai rencontré après la projection, et on a discuté dans un tout petit bar jusqu’à trois heures du matin. Il a pointé du doigt une chose que personne d’autre n’avait remarquée. Tout le monde me parlait de l’action, des zombies, des samouraïs, etc. Oui, tout ça m’amusait aussi, mais Yamamoto s’est concentré sur autre chose. Pendant le Q&A, j’avais expliqué le financement complètement fou du film : mon enveloppe de départ de 15.000 dollars s’était épuisée en dix jours, et j’avais dû emprunter de l’argent supplémentaire à tous mes amis et mes proches. Yamamoto m’a dit :

    «Tu n’as jamais abandonné, alors qu’il n’y avait aucun producteur, aucun sponsor, aucun distributeur. Mais ce qui m’a le plus impressionné, c’est ton obstination à tourner la plupart de tes plans en Dolly ! Quand on est un amateur avec zéro budget, on opte pour la caméra portée. C’est beaucoup plus facile, mais tu as pris la peine d’installer des rails de travelling dans la jungle ou sur une colline ! »

    J’étais tellement content d’entendre ça. Quelqu’un avait enfin remarqué ! Je l’ai remercié de tout mon coeur et lui ai dit :

    «Je voulais faire un putain de film, pour un gigantesque écran de cinéma ! Et ce n’est pas parce qu’on n’a pas d’argent qu’on doit avoir l’air fauché ! »

    Je le pense toujours. Le public se fout totalement du budget. Il paie le même prix, donc on doit lui en donner pour son argent. En entendant ça, Mataichirô a répondu :

    «Je veux que tu fasses mon prochain film.»

    Et c’était Azumi !

    Après Azumi, vous avez tourné Godzilla: Final Wars, en rupture totale avec les épisodes un peu obsolètes de l’époque.

    Godzilla: Final Wars est un peu arrivé de nulle part. Yamamoto avait dû se battre pour que j’obtienne le job sur Azumi, car je n’étais personne ! Versus n’était même pas encore sorti, donc tout le monde lui demandait :

    « Qui est ce type ? Tu veux lui confier notre plus gros budget de l’année ? Tu es devenu cinglé ? ».

    Je lui dois vraiment beaucoup, et au final je reste très fier d’Azumi. Quand on fait un film, il y a un million de choses qui peuvent vous mettre dans une merde noire, un million de raisons de se planter, et j’ai toujours tendance à chercher l’ennemi qui se cache à l’intérieur. S’agit-il d’un producteur, d’un technicien ? Il y a toujours quelqu’un pour essayer de vous mettre des bâtons dans les roues. Mais quand le film sort enfin en salles, il est ce qu’il est et il faut l’assumer comme tel. Il faut vivre avec jusqu’à la fin de ses jours.

    Heureusement, je n’ai jamais eu honte d’aucun de mes films. Azumi a été mon premier long-métrage professionnel, et il m’a permis de rendre hommage à l’univers d’un manga que j’adore. C’était une adaptation, contrairement à Versus qui était mon bébé à 100 %. Adapter l’œuvre d’un autre est un processus très difficile. C’est une responsabilité plus grande, car il y a une histoire et un vécu derrière tout ça. J’ai donc mis toute mon énergie dans Azumi, et ça m’a fait passer au niveau supérieur.

    Le jour de la première, j’ai rencontré le big boss de la Toho, Yoshishige Shimatani. Nous avons pris un café à Tokyo et il m’a dit :

    « J’aime beaucoup ce que vous avez fait. Nous avions beaucoup de doutes à votre égard, mais vous nous avez convaincus. Toho veut que vous fassiez le prochain Godzilla. ».

    Je l’ai remercié de tout mon cœur ! Ils m’ont appelé quelques jours plus tard, et j’ai rencontré le producteur Shôgo Tomiyama. Il m’a demandé :

    « Voulez-vous entrer dans le ring et vous battre avec Godzilla ? »

    J’ai essayé d’être respectueux et honnête à la fois. Je lui ai répondu :

    « J’adore Godzilla, évidemment, pour un réalisateur japonais, c’est un grand honneur. Et en plus, ce film marquera le cinquantième anniversaire de la saga, et vous me dites qu’il n’y aura pas de nouvel épisode avant un moment ! Donc oui, je suis un grand fan de Godzilla, mais je dois avouer que je n’aime pas les films qui sont sortis après le nouveau millénaire. ».

    Et c’est vrai : visuellement, je n’aime pas ce qu’ils ont fait. Les effets visuels avec les costumes de monstres et les miniatures fonctionnaient il y a quelques décennies, mais les temps ont changé. Independence Day avait ringardisé les vieilles techniques, et on ne pouvait plus tourner des scènes de destruction massive comme dans les années 50 ! Et il ne fallait pas non plus sur-éclairer chaque parcelle du plateau, sinon le spectateur devient conscient plan après plan qu’il est face à des miniatures et des types en costume !

    À l’époque, Godzilla était en train de perdre son influence au Japon. Ils produisaient un nouveau film presque chaque année, mais le département animation de la Toho était le seul à rapporter de l’argent. Ils faisaient souvent des projections de type « double feature », en combinant le dernier Godzilla avec un animé pour les gosses. Les gens venaient pour l’animé, et partaient au début de Godzilla ! J’ai donc dit à Tomiyama :

    « Franchement, Godzilla n’est pas une face B. Godzilla est le roi ! ».

    Il m’a alors répondu qu’ils étaient bien conscients du problème, et c’était d’ailleurs pour cette raison qu’ils voulaient faire une pause avec la franchise. Ils m’ont engagé, Il y a une scène très drôle où Godzilla annihile Zilla, la version de Roland Emmerich.

    Tomiyama avait déjà un concept assez brut de Final Wars quand je suis arrivé : il voulait réanimer quelques monstres célèbres de la saga. Un jour, pendant l’écriture du script, on a amené toutes ces figurines de kaijus dans les bureaux de la Toho et on les a posées sur la table. On a choisi nos protagonistes comme ça ; je voulais en inclure le plus possible, mais on ne pouvait pas avoir tout le monde. À un moment, Tomiyama s’est tourné vers moi et m’a dit :

    « Tu sais, on a même les droits du Godzilla hollywoodien ! »

    « Quoi ? OK, on va inclure un combat entre lui et Godzilla, et le nôtre va défoncer la gueule de l’Américain ! Il faut absolument faire ça ! ».

    Je voulais tourner une séquence beaucoup plus longue, mais on n’avait plus assez de budget. Je reste très content de cette scène. Elle a d’ailleurs été filmée à Sydney en Australie, où j’ai fait mes études de cinéma. C’était sympa de retourner là-bas : c’est presque mon second chez-moi.

    Comment vous êtes-vous retrouvé impliqué dans l’adaptation de Midnight Meat Train ?

    Avec Versus et Azumi, je suis devenu du jour au lendemain une sorte de vedette, et ça m’a donné des ailes. J’ai tourné Aragami, Sky High, je me suis éclaté comme un dingue. Mais après avoir travaillé pendant plus d’un an sur Godzilla, je me suis dit que j’avais besoin de m’éloigner de la production japonaise pendant un temps.

    Mes proches m’ont dit que j’étais devenu fou. Après tout, je venais d’enchaîner trois cartons au box-office local. On m’a dit :

    « Tu veux abandonner ça et aller à Hollywood, où personne ne te connaît ? »

    Mais j’ai toujours vécu ma vie ainsi. Donc, après Final Wars, j’ai pris six mois de vacances, et j’ai engagé un agent aux États-Unis. C’est comme ça que ça se passe là-bas, on doit être représenté soit par un manager, soit par un agent. Cette personne vous envoie un script et si vous l’appréciez, vous le lui faites savoir. Vous êtes alors propulsé dans une sorte de compétition infernale : un producteur sélectionne en général une vingtaine de réalisateurs potentiels, via les agents, et vous devez pitcher ce que vous voulez faire avec leur film. La route est très longue. On commence à vingt, puis on passe à cinq, puis à trois, et ensuite à un. Je vivais encore au Japon quand mon agent m’a parlé d’un projet.

    Il m’a envoyé le scénario, et ça s’appelait Fast and Furious 3. Il insistait vraiment pour que je le fasse, car c’était un très gros budget. Et comme ça allait se tourner au Japon, j’étais le candidat idéal ! J’ai passé quelques entretiens avec les exécutifs, et je leur ai envoyé toute une liste de notes pour modifier le script. Je suis quelqu’un de très direct, et je leur ai dit que ça ne me gênait pas forcément qu’un film américain puisse offrir une vision un peu caricaturale du Japon. En revanche, je ne pouvais pas faire ça moi-même ! Le scénario ne semblait pas du tout se dérouler au Japon, et je ne voulais pas manquer de respect à mon propre pays. Je leur ai donc suggéré plein de changements et j’ai même travaillé sur quelques story-boards, notamment pour la séquence finale. Je pensais avoir obtenu le job, mais il faut savoir qu’à Hollywood, il y a toujours plusieurs chevaux. Le studio a son réalisateur préféré, le producteur a le sien. Parfois, la star a son réalisateur préféré ! Tout cela est très politique. Au bout du compte, quelqu’un a tranché, et pas en ma faveur. Ils ont dit :

    « On a un script prêt à tourner, l’argent est à la banque, pourquoi devrions nous écouter les idées de ce metteur en scène ? »

    Mon agent a été très déçu, mais je lui ai dit :

    « Franchement, il doit bien y avoir quelque chose qui me corresponde davantage ! »

    Et juste après, j’ai décidé de quitter cette agence. Ce n’était pas la bonne adresse pour moi : ils m’avaient fait tourner en rond pendant un an, pour rien. Or à Hollywood, on ne quitte pas son agence comme ça ! Ça ne se fait pas. C’était sans doute une mauvaise décision, mais tant pis. Et entre nous, personne n’imaginait que Fast and Furious allait devenir un phénomène mondial quelques années plus tard. Si j’avais su, j’aurais accepté le job sans négocier ! J’aurais dit :

    « Oui bien sûr ! Aucune note ! Je filme ce script tel quel ! »

    Au lieu de ça, je me suis retrouvé tout seul. Une amie américaine m’a engueulé :

    « Tu es barge ? Qui va t’envoyer des scripts ? Qui va organiser les rencontres ? »

    Je lui ai dit que je trouverais un moyen… et c’est ce qui s’est produit quelques semaines plus tard. Je devais me rendre au Comic-Con de San Diego pour présenter une projection d’Azumi. Là-bas, je rencontre un gars qui est fan de mon travail. Il se présente en me disant qu’il est l’un des producteurs de la série Afro Samurai. Wow ! Génial ! Il me dit qu’il veut me présenter au créateur de la série Takashi Okazaki. Il poursuit :

    « Vous savez, Samuel L. Jackson ne devrait pas tarder à arriver, ce serait super que vous puissiez le rencontrer. »

    Il passe un coup de fil à la manageuse de Jackson, qui lui demande de lui répéter mon nom. Elle dit :

    « Très bien, je vais en parler à Sam »,

    et elle raccroche. Mais quelques secondes plus tard, elle rappelle :

    « Est-ce bien le réalisateur de Versus, Azumi et Godzilla: Final Wars ? Sam arrive tout de suite ! »

    Incroyable. On nous présente et Sam me pose un million de questions.

    « Comment avez-vous fait ce plan à 360 degrés dans Azumi, comment avez-vous réalisé telle ou telle scène dans Versus ? »

    On passe une super soirée, et à la fin, Sam dit à sa manageuse :

    « Il faut que tu regardes les films de ce type. Ce week-end ! »

    Elle l’a fait et m’a appelé le lundi matin. En fait, elle représentait la société Anonymous Content, qui m’a ouvert ses portes. J’ai signé avec eux et je suis rentré à la maison. Deux mois plus tard, je suis retourné à Los Angeles, et pas du tout pour des raisons professionnelles. Je suis un grand fan de rock, en particulier du groupe Asia. Ils ont organisé une tournée pour la première fois en 23 ans, et j’ai décidé de les suivre le long de la côte californienne pour assister à tous leurs concerts ! Un jour, j’ai appelé ma nouvelle manageuse et je lui ai dit que je suivais Asia jusqu’à dimanche. En gros, je lui ai donné du lundi au vendredi pour m’organiser des rendez-vous ; le samedi, j’ai réservé une place dans un parc d’attractions, et j’ai booké mon avion pour le soir. Le lundi matin, elle a réussi à me caler un premier rendez-vous chez Lakeshore, où j’ai été reçu par le producteur Gary Lucchesi. On a parlé de pas mal de choses, pas d’un projet en particulier, et à la fin il m’a dit :

    « Je crois que j’ai quelque chose pour vous. ».

    Là, il me tend un script et je lis le titre « Midnight Meat Train ». Je lui rends aussitôt en disant :

    « Il s’agit bien de la nouvelle de Clive Barker, tirée des Livres de sang ? Je ne veux même pas lire ça. Je ne peux pas croire que vous ayez un scénario digne de ce monument. C’est un classique, c’est l’Arche, ce n’est même pas la peine d’essayer, vous allez tout dégueulasser, et ensuite vous ferez des remakes, des suites… Je ne veux pas le faire, et je ne veux pas que vous le fassiez. ».

    Il a explosé de rire :

    « Vous savez quoi, on développe ça avec l’équipe de Clive, on est très proches, donc prenez le quand même, lisez le à l’hôtel, et revenez mercredi. Si ça ne vous plaît pas, on trouvera autre chose. ».

    Je l’ai lu le soir même… et effectivement, il y avait du potentiel. Certaines choses ne fonctionnaient pas, mais on pouvait les améliorer. Adaptée littéralement, la nouvelle aurait donné un court-métrage de 20 minutes, et le scénariste Jeff Buhler avait réussi à étirer l’histoire jusqu’à 90 minutes de façon convaincante. Je suis donc retourné voir Gary le mercredi, et je lui ai dit qu’il y avait peut-être quelque chose. Lakeshore était alors une compagnie en pleine ascension. Ils venaient de remporter l’Oscar du Meilleur Film avec Million Dollar Baby et avaient fait fortune avec Underworld.

    J’ai dit que j’étais partant, et Gary m’a invité à revenir deux jours plus tard. Me voici donc de retour le vendredi, et là je dois rencontrer Tom Rosenberg, le grand patron. C’est l’archétype du boss de studio hollywoodien : il a l’air cool et riche. C’est le type qui n’a jamais perdu depuis sa naissance. Tom ne m’a même pas adressé un sourire. Il m’a regardé en silence et Gary, assis à ses côtés, m’a lancé :

    « Peux-tu lui expliquer ce que tu veux faire avec le film ? »

    J’étais un peu vexé par l’attitude de Tom, un peu agacé aussi, donc j’ai répondu froidement :

    « La raison pour laquelle je suis devant vous, c’est que je suis très bon, surtout dans l’horreur, l’action et l’inventivité visuelle. Mais faire juste de l’action et juste de l’horreur ne m’intéresse plus. Ce qui compte le plus pour moi, ce sont les personnages. Ce que j’aime vraiment dans ce script, c’est ce jeune photographe qui veut devenir quelqu’un à tout prix. Ça, c’était moi il y a dix ans. Je n’étais personne, je n’avais pas d’argent, et je disais à tout le monde qu’un jour, je réaliserais des films à Hollywood. Si un gros producteur comme vous m’avait demandé il y a dix ans de tuer un connard et d’enterrer son corps dans le désert en échange d’un poste de réalisateur, je l’aurais fait ! Je comprends ce personnage, et donc je peux faire en sorte que sa trajectoire dramatique fonctionne. »

    Je n’ai rien dit d’autre. Les pitchs à Hollywood, c’est tout une histoire, il y a beaucoup de baratin. Il faut parfois tourner un teaser, montrer des artworks… Moi, je n’avais rien à montrer. Je leur ai dit :

    « Merci pour votre temps, au revoir »,

    et je suis parti. J’étais encore en colère quand j’ai atteint ma voiture. Pourquoi ce type ne m’avait-il pas souri ? J’allais quitter le parking quand ma manageuse m’a appelé :

    « Tu as le job, fais demi-tour. Je n’ai jamais vu un client de passage à Los Angeles pour voir un concert et qui soit reparti avec un contrat en cinq jours ! ».

    Avez-vous eu du mal à vous adapter aux contraintes de la production hollywoodienne ?

    Disons que je me suis vraiment battu pour toutes mes idées, séquence après séquence. Les producteurs n’arrêtaient pas de me dire :

    « Il faut que tu fasses davantage de coverage. Fais des gros plans, fais des plans larges, comme ça on ne sera pas surpris quand il faudra monter. »

    Mais je ne voulais pas découper mon film de cette manière. Voilà pourquoi la première séquence de meurtre est tournée en plan-séquence : au montage, je n’avais pas de plan de coupe pour modifier quoi que ce soit ! Quand j’ai commencé à travailler à Hollywood, j’ai vite compris qu’on était dans un système proche de celui de McDonald’s. Partout dans le monde, vous trouverez une qualité similaire dans tous les McDo. Ce n’est certainement pas de la cuisine cinq étoiles, mais ça se mange. Hollywood, c’est exactement ça. Leur système est formaté, et vous pousse à travailler d’une façon bien précise, en vous couvrant le plus possible.

    Et à la fin, les producteurs peuvent virer le réalisateur sans problème et monter le film comme ils l’entendent, parce qu’ils ont le choix dans les angles de prises de vues ! Je comprends le procédé. Mais sincèrement, qui a envie de connaître l’identité du putain de chef dans la cuisine d’un McDonald’s ? Je me considère comme un « Sushi Chef », et je veux proposer des recettes uniques. Il faut trouver un équilibre quand on bosse là-bas, sinon on a vraiment l’impression d’être à l’usine. Heureusement, les producteurs de Midnight Meat Train m’ont écouté et soutenu. J’ai eu une vraie liberté créative, ce qui est formidable pour une première expérience américaine.

    Bradley Cooper est aujourd’hui une star, mais il était encore relativement inconnu à l’époque de Midnight Meat Train…

    Chez Lakeshore, on m’avait installé dans un grand bureau avec plein de vitres donnant sur un open space. Là-bas, ils appellent ça un « fish tank » : il y a du verre sur 360 degrés ! Au Japon, on n’apprécie pas les lieux trop grands ou trop ouverts. On aime respecter l’espace de chacun. Aux États-Unis, tout le monde peut ouvrir votre porte et venir vous parler. Je n’aime pas ça ! Mais je dois dire qu’un jour, ça m’a quand même aidé. J’étais en train de travailler sur le script dans ce grand aquarium, et j’ai aperçu un type super beau passer dans le couloir. Je suis allé voir la réceptionniste et je lui ai demandé qui était ce putain de bel homme. Elle m’a répondu :

    « Bradley Cooper. C’est un jeune acteur et il a rendez-vous avec Gary. »

    J’ai rencontré Bradley ce jour-là. J’ai tout de suite su qu’il avait un avenir. Après quelques minutes de discussion, Gary et moi l’avons engagé pour Midnight Meat Train.

    Vous avez réalisé en 2018 l’un des segments de l’anthologie Nightmare Cinema, supervisée par Mick Garris.

    Tout est connecté dans ma vie. Quand on a fini Midnight Meat Train, on pensait que le film allait avoir droit à une sortie majeure. Mais il y a eu un scandale chez Lionsgate et la direction a changé du jour au lendemain. Le nouveau patron a tué le film. On était vraiment déprimés : l’ancien distributeur nous avait promis plus de 3000 écrans, à la meilleure période de l’année pour un film d’horreur… On a quand même décidé d’organiser une projection pour l’équipe et les amis. J’ai demandé à mon agent de réserver une belle salle et on a invité tout le monde. Et je crois que c’est Clive qui a invité Mick Garris. Samuel L. Jackson est venu lui aussi, tout le monde a adoré, et à la fin, j’ai donné un petit discours. J’ai dit :

    « Le film aura une vie, et il parlera pour lui-même. »

    On était vraiment très émus. Depuis la scène, j’ai salué tout le monde, un spectateur après l’autre. Et mon regard est finalement tombé sur Mick Garris ! Il a une chevelure très reconnaissable, un look très rock’n’roll. Quand je me suis penché vers lui, il a fait de même, en m’adressant un énorme sourire. Plus tard, je suis allé le voir et je lui ai dit que j’étais un grand fan de son travail. Il m’a répondu :

    « À partir de maintenant, vous faites partie intégrante des Masters of Horror. »

    C’était un honneur ! Nous nous sommes revus assez régulièrement. C’est l’une des rares personnes vraiment gentilles et honnêtes en activité à Hollywood. Je l’adore. À cause de magouilles hollywoodiennes, il a dû arrêter ses séries Masters of Horror et Fear Itself. Il a donc commencé à développer un long-métrage anthologique il y a dix ans, mais le budget a été très difficile à réunir. Les réalisateurs attachés au projet à l’époque n’étaient pas du tout les mêmes. C’est fou de voir à quel point il est difficile de monter un film indépendant, surtout quand on voit tous les étrons préformatés qui arrivent sur Netflix chaque semaine ! Sérieusement, qui finance cette merde ? Bref, le temps a passé, on a eu plein de faux départs, et un jour Mick m’a dit :

    « On le fait enfin, avec Joe Dante, David Slade, Alejandro Brugués et toi ! »

    Il m’a mis en contact avec une scénariste, Sandra Becerril, qui m’a envoyé quelques idées. Une en particulier était complètement folle. Ça commençait dans une ambiance très naïve, et ça partait totalement en couille à la fin ! On formait une sorte d’équipe de baseball ou de football avec les autres réalisateurs. Mick était le coach et moi, j’étais l’attaquant ! Sur Nightmare Cinema, chacun a eu droit à cinq jours de tournage et un budget identique. J’ai proposé d’ouvrir le bal. L’assistant réalisateur était le même pour tous les segments et à la fin, il m’a dit :

    « Ce n’est pas juste. Ton sketch est différent, il y a beaucoup trop d’action et de gore par rapport aux autres ! »

    Justement, c’est pour ça que Mick m’avait engagé. Je ne voulais surtout pas le décevoir ! Effectivement j’avais une énorme scène de combat, et en plus, je devais diriger des gosses et les démembrer à l’écran !

    Or, à Hollywood, il y a une régulation très stricte quand on travaille avec des enfants. Chaque tranche d’âge a le droit de travailler un certain nombre d’heures avant de reprendre les cours. Un jour, je tournais des inserts gore avec l’équipe de KNB. Je leur avais demandé de ramener tous les membres tranchés qu’ils avaient créés pour Kill Bill. Je voulais du sang partout !

    On filmait donc de vraies scènes de cauchemar, dans l’église où John Carpenter avait tourné Fog. À un moment, je suis sorti de l’église remplie de barbaque pour prendre un café, et il y avait tous ces gosses en train de suivre un cours. Sang d’un côté, école de l’autre. Du délire total !

    Votre dernier film, The Doorman, vient de sortir en VOD aux États-Unis.

    Oui, c’est un film d’action à la Piège de cristal, avec Ruby Rose dans le rôle d’une ex-marine qui doit combattre un gang mené par Jean Reno dans un grand hôtel. C’est un concept très simple et une excuse pour réaliser des scènes d’action excitantes.

    À cause de Midnight Meat Train, les producteurs hollywoodiens ont eu tendance à croire que je ne suis qu’un réalisateur d’horreur. J’ai donc voulu leur montrer autre chose. On m’a proposé The Doorman il y a cinq ans, juste après la sortie de Lupin the Third. À l’époque, c’était Katie Holmes qui devait tenir le rôle principal. On a construit les décors, mais comme souvent à Hollywood, le budget s’est effondré juste avant le tournage. Un an plus tard, le producteur est revenu vers moi en me disant qu’il relançait la machine, mais Katie Holmes n’était plus disponible, et on a dû de nouveau attendre. L’année dernière, j’ai casté Ruby Rose, et ça a débloqué la situation.

    On a filmé à Bucarest, dans une ambiance très différente des tournages habituels. Ruby a été incroyable, et j’ai eu la chance de travailler avec Jean Reno, qui est une légende au Japon. Je me suis aussi entouré de techniciens qui me suivent depuis mes débuts ; par exemple, le caméraman principal était déjà présent sur Versus, Azumi et Godzilla: Final Wars. Manque de pot, la sortie en salles de The Doorman a été annulée en raison du coronavirus… Faire du cinéma, c’est un défi sans fin.

    SOURCE: Alexandre Poncet (Mad Movies) 14/10/2020