Le divorce rapide à Dubaï, un cauchemar pour certaines femmes expatriées
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A Las Vegas, il y a les mariages express. A Dubaï, les divorces express. Marina* l’ignorait lorsqu’elle a cessé toute activité professionnelle pour suivre son mari, envoyé par son entreprise d’abord en Afrique du Sud puis à Dubai, où ils ont élevé leur fils.
A Dubaï, les divorces peuvent se régler en ligne en quelques semaines, une rapidité vantée comme moderne par les Émirats. Mais pour Marina*, contrainte de divorcer sur place, cette procédure express s’est transformée en cauchemar: autorité parentale perdue, obstacles juridiques et dépendance au mari.
En 2023, le mari veut divorcer tout de suite et sur place. Marina insiste pour que ce divorce attende leur retour en Suisse, mais il refuse. Un beau jour, elle est convoquée – par simple SMS en arabe – à une audience en ligne devant un tribunal local.
Son expatriation vire au cauchemar, une situation que connaissent de nombreuses femmes expatriées contraintes de divorcer hors du cadre juridique de leur pays d’origine. Marina raconte au micro de Tout un monde qu’elle a eu l’impression d’être “dans un mauvais film”.
“Je ne savais même pas qu’il avait lancé la procédure à Dubaï. J’ai été convoquée par SMS, l’audience est en ligne. Tout était en arabe, le traducteur ne traduit que les questions du juge.” Elle ajoute que la caméra du magistrat restait éteinte, son mari était absent. “En ligne, on ne comprend rien, et hop, c’est fait.” En un mois et demi, le divorce est prononcé.
Divorce rapide présenté comme un progrès
Ces divorces rapides sont présentés comme un progrès par les Emirats arabes unis, qui ont adopté en 2022 une nouvelle loi sur le statut personnel civil, loi destinée aux étrangers non-musulmans pour les questions de mariage, de divorce ou d’héritage afin que les expatriés ne soient plus soumis au droit islamique, soit à la charia.
Une réforme visant à séduire les travailleurs occidentaux, comme le rappelle Karim el Chazli, spécialiste du droit des pays arabes à l’Institut suisse de droit comparé. “Le but est d’attirer les talents étrangers”, souligne-t-il. Dans la logique des Emirats, un divorce simple, rapide, en ligne, incarne la modernité et renforce leur attractivité. La loi permet ainsi de divorcer sans avoir à démontrer un préjudice ou les torts de l’autre époux.
Influences de la charia
Mais si la loi se veut, en théorie, moins conservatrice que le droit islamique, qui s’appliquait à tous, musulmans ou non, jusqu’en 2022, en pratique, les hommes sont avantagés, car la charia continue à influencer les jugements rendus.
Marina a ainsi perdu l’autorité parentale, et c’est le père qui garde le passeport de l’enfant, témoigne-t-elle. Beaucoup de femmes se retrouvent alors piégées: partir sans leurs enfants est impensable, mais les emmener sans l’accord du père équivaut à un kidnapping. “Les pères peuvent de toute façon imposer un travel ban, donc une restriction de sortie du pays. Les enfants sont bloqués.”
La loi de 2022 promettait l’égalité entre époux, mais dans les faits, le droit islamique reprend parfois le dessus, observe Karim el Chazli.
“Le texte n’est pas exhaustif. Et en cas de lacunes, les juges appliquent les règles locales favorables au père”, explique-t-il.
Partage des biens entre époux, un concept qui n’existe pas
Une Suissesse pourrait demander l’application du droit suisse, mais seulement en traduisant l’intégralité du code civil à ses frais, une opération coûteuse. Sans garantie que le juge en tienne compte. Car c’est beaucoup plus simple pour lui d’appliquer le droit local qu’il connaît, plutôt qu’un droit étranger qu’il ne maîtrise pas. Par exemple, le partage des biens entre époux est un concept qui n’existe pas en droit islamique.
Autre écueil: nombre d’expatriées dépendent financièrement et administrativement de leur mari, leur visa étant lié au sien. Faute de moyens, beaucoup renoncent à des procédures distinctes, nécessaires pour obtenir la garde des enfants, une pension ou le partage des avoirs.
Un groupe Facebook
Le groupe Facebook "Expats nanas: séparées, divorcées», créé en 2016 par Isabelle Tiné, regroupe de nombreux témoignages de femmes tombées dans la précarité après une séparation éprouvante à l’étranger. Selon elle, avant de partir, toute femme expatriée devrait voir un avocat en droit international privé pour anticiper ce genre de problème. Les couples devraient signer un contrat qui prévoit le droit applicable en cas de divorce, la garde des enfants, le partage des biens du couple, du deuxième pilier.
Isabelle Tiné estime aussi que les entreprises portent une part de responsabilité et devraient alerter les couples d’expatriés sur les conséquences d’un divorce.
Depuis son retour de Dubaï, Marina a dû retourner vivre, à 49 ans, chez ses parents au Tessin pour repartir à zéro. “Les perspectives, à mon âge, de retrouver du travail ne sont pas très réjouissantes, surtout que je n’ai pas travaillé depuis 12 ans”, déplore-t-elle. “L’atterrissage est très dur.”
Soutenue par son fils, qui a quitté Dubaï pour étudier en Suisse, elle veut maintenant se battre devant la justice helvétique pour obtenir la non-reconnaissance du jugement de divorce de l’émirat et lancer une procédure plus équitable en Suisse.
Même plus besoin de se convertir pour se faire baiser quand on est une femme (si j’ose dire)…