Drones : Avec 387000 engins dans le ciel français, leur maintenance s'impose comme un sujet crucial
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Alors que les flottes de drones augmentent à un rythme rapide, leur maintien en état devient une question d’importance pour l’armée et les entreprises. Souvent loin des théâtres d’opération, les fabricants cherchent à rendre leurs clients les plus autonomes possibles grâce à la formation et à des solutions novatrices. De leur côté, les écoles d’ingénieurs renouvellent leurs cursus pour rester en phase avec le secteur.
Civils ou militaires, 66000 drones de plus de 800 grammes ont rejoint le ciel français en 2024. Alors que cette tendance est exponentielle, il n’est plus rare de voir des engins dépasser les 10 ans de carrière et la question de leur maintenance s’impose aujourd’hui au secteur. Derrière ce terme, l’on retrouve l’entretien courant mais aussi les réparations plus ou moins lourdes. «Quand il n’y en avait que quelques uns en l’air, ce n’était pas un sujet. Lorsqu’une hélice cassait, les utilisateurs changeaient le drone en privilégiant le modèle le moins cher, explique Bastien Mancini, président de Delair. Maintenant que certains en opèrent plusieurs centaines, ils regardent combien coûtent les réparations. Sur des milliers d’heures de vol, entretenir un modèle de bonne qualité s’avère moins cher que de le remplacer.»
Technologies, poids, fonctions… Sur la flotte hexagonale de plus de 387000 drones, les modèles sont tellement nombreux qu’il est difficile de faire des généralités. Dans le jargon du secteur, la maintenance est divisée en trois niveaux. Le premier va du nettoyage de l’engin au remplacement de petits composants comme les hélices. Les pilotes sont capables de le faire eux-mêmes. «Au bout d’un certain nombre d’heures de vol, il faut nettoyer les capteurs, vérifier l’usure des pièces et des batteries, détaille Antoine Level, président de Association du Drone de l’Industrie Française, qui regroupe les principaux constructeurs tricolores. C’est valable pour toutes les gammes mais à partir des drones de 20 kilos, c’est extrêmement important.» À partir du second niveau, des formations de «maintenancier» sont proposées par les constructeurs. Chez Delair, elle dure une semaine et couvre une quarantaine d’opérations. Elles permettent de réparer la structure et de remplacer les composants électroniques non critiques. Plus sensible, le niveau trois est réalisé par les dronistes. Il concerne tous les aspects liés à la sécurité du vol comme le reparamétrage complet du drone ou le remplacement de sa carte mère.
«Le SAV n’apporte pas énormément de marge»
Historiquement, les constructeurs assurent eux-mêmes le service après-vente de leurs modèles. «Cela représente chaque année entre 10 et 15% du prix d’achat du drone, complète Antoine Level. C’est de l’ordre de quelques heures sur un petit modèle à plusieurs dizaines sur les grands.» Mais entre les licences d’export et l’acheminement des pièces détachées, il est souvent difficile d’assurer l’après-vente lorsque que l’on vend des drones aux quatre coins du monde. Sans compter que si l’activité est rentable pour les constructeurs, elle «couvre les coûts mais ne leur apporte pas forcément énormément de marge», de l’aveu même d’un cadre de l’un des principaux acteurs français. Ainsi, l’objectif est que les utilisateurs effectuent le maximum de réparations par eux-mêmes et de prédire les pannes. «Nous avons un logiciel qui reçoit toutes les données de vol et nous permet de les analyser, indique Bastien Mancini. Récemment, nous avons pu voir un niveau de tension anormal sur l’aile du drone d’un client et lui conseiller d’en changer une partie.» Alors que ses drones sont utilisés par l’armée ukrainienne, Delair va ainsi ouvrir un centre de maintenance dans le pays pour faciliter les formations et les réparations.
L’armée française s’intéresse aussi au sujet. En pleine montée en puissance, sa flotte d’environ 3000 engins connait des pannes toutes les semaines. «Le sujet majeur c’est la massification des drones et la disponibilité de ceux du dernier niveau de marché, résume l’ingénieur général hors classe de l’armement Marc Howyan, à la tête de la Direction de la maintenance aéronautique (DMAé). Ce n’est pas de gérer des drones qui dysfonctionneraient faute de pièces.» Si l’armée compte dans ses rangs des maintenanciers (voir video ci-dessous), elle assume aujourd’hui de se concentrer sur l’utilisation de drones de pointe et de confier le reste au privé.
«Toute l’aéronautique et le spatial sont en train de basculer dans un modèle de service et cela s’applique en particulier aux drones, précise l’officier général. Nos analyses du secteur confirment qu’ils faut s’orienter vers ce modèle parce que le marché évolue très vite.»
En clair, pas besoin d’investir en interne dans la maintenance de drones qui seront dépassés dans quelques années. A la place, la DMAé a mis en place une stratégie de soutien pour chaque nouveau modèle qui entre en service. Que ce soit à bord d’une frégate qui part quatre mois en mer ou dans une section d’infanterie isolée, de l’outillage et des lots de pièces détachées sont dimensionnés à l’avance. Mais quand la panne dépasse le niveau 1, les drones retournent quasi systématiquement chez leur fabricant. «Contrairement au Rafale ou à l’A400M, il n’y a pas de niveau intermédiaire pour la maintenance. Si le drone ne peut pas revoler malgré nos réparations, il repart en usine», résume Marc Howyan.
Réparer sans connaissances particulières
Dans le civil, cette logique est la même pour les entreprises qui exploitent de grandes flottes de drones comme Altametris, filiale de la SNCF. Chargée de surveiller l’état du réseau ferré grâce à ses 200 engins, elle s’appuie là aussi sur des contrats de service. Le coût de la maintenance va ainsi de 350 euros par unité et par an pour ses plus petits drones jusqu’à 1500 euros pièce pour ses quelques modèles de plus de 10 kilos. «Ce n’est pas un problème de premier plan car nous utilisons surtout des petits drones dont la maintenance est légère, tempère Alexis Meneses, directeur de la stratégie de l’entreprise. Ce qui compte le plus ce sont les capteurs qui doivent rester calibrés pour garder la précision nécessaire.» Comme à l’armée, les techniciens d’Altametris emmènent des pièces de rechange et sont capables de faire des réparations de base sur le terrain.
Pour continuer à faciliter la maintenance sans renvoi des drones aux constructeurs, la DMAé a organisé un appel à projets dont les lauréats ont été récompensés lors du dernier salon du Bourget. Pensée pour permettre des réparations sans connaissances préalables, c’est la valise imaginée par l’entreprise nordiste Picomto qui a raflé la mise. Après chaque vol, un logiciel développé avec Delair, lui permet d’analyser les données et d’indiquer l’entretien ou les réparations à effectuer. À la manière d’un tutoriel en ligne, elle contient une tablette qui montre chaque étape à effectuer avec les pièces détachées qu’elle contient. D’un prix unitaire aux alentours de 20000 euros, elle devrait être rapidement acquise par l’armée. D’autres solutions ont aussi été primées par la DMAé comme celle d’Atechsys qui permet de transférer l’électricité d’une batterie à une autre quelles soient leurs tensions ou leurs prises.
Adapter les cursus des élèves-ingénieurs
Trois élèves-ingénieurs de l’Enspima se sont aussi distingués en imaginant un moyen de fabriquer des pièces détachées en impression 3D à partir du broyage de bouteilles en plastique. Il faut dire que du côté des écoles, la question des drones fait désormais partie des cursus dédiés à la maintenance. «Le domaine des drones est très riche, on enseigne à nos élèves à s’adapter aux produits, explique Joël Jézégou, enseignant chercheur en maintenance, navigabilité et opération des aéronefs à l’ISAE-SUPAERO, qui propose un master spécialisé (bac+6) de maintenance aéronautique et d’ingénierie de support. Il n’y a pas d’unicité du domaine pour l’ingénierie et la maintenance. Pour répondre aux besoins de l’industrie et à la réglementation, il faut donc mettre à jour notre programme en permanence.»
À l’Enspima, les étudiants sont formés aux spécificités de la maintenance en condition opérationnelle des drones militaires. «La partie consacrée aux drones dans notre cursus performance industrielle et maintenance aéronautique représente 5% de l’enseignement et va continuer à se développer», indique Loic Lavigne, directeur de l’Enspima. Parmi les thèmes abordés, le coût global de possession des engins et la question de leur obsolescence technologique arrivent en bonne place. Sur des promotions de 36 étudiants, deux à trois choisissent ainsi chaque année de travailler dans le secteur.