L’obsolescence programmée est-elle née à Genève?
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Il y a cent ans, des fabricants d’ampoules électriques fondaient le cartel Phœbus, et décidaient de limiter la durée de vie de ces produits.
Un smartphone qui bugue à l’échéance de sa garantie commerciale. Une imprimante qui indique que ses cartouches d’encre sont vides alors qu’il reste du produit à l’intérieur. Une tablette dont la mise à jour logicielle n’est plus assurée après une certaine date. On a tous connu ce genre de situation avec nos appareils. «C’est de l’obsolescence programmée», lance-t-on à chaque fois, énervés et frustrés.
Le concept est connu: fabriquer des articles dont la durée de vie est volontairement limitée pour forcer les consommateurs à changer plus souvent, donc à acheter plus souvent aussi, augmentant ainsi les ventes des producteurs. Le principe qui le sous-tend est simple: dans un système économique basé sur la (sur)consommation, si les consommateurs achètent moins ou n’achètent plus, le système se grippe, avec ses conséquences: faillites d’entreprise, licenciements et, par extension, récession.
Réunion secrète à Genève
Le phénomène d’obsolescence programmée ne serait pas nouveau. Selon certaines sources, il remonterait au début du siècle passé. Et il aurait un lien avec Genève.
Le 15 janvier 1925, était fondé dans le canton du bout du lac Léman le cartel Phœbus (du nom du dieu du soleil dans la mythologie romaine). «Phœbus S.A. Compagnie Industrielle pour le développement de l’éclairage», de son nom complet, lit-on dans la «Feuille officielle suisse du commerce», datée du 7 février 1925, en page 216 (voir ci-dessous).
Extrait de la «Feuille officielle suisse du commerce», portant mention de la société anonyme Phœbus, le 15 janvier 1925, à GenèveLes plus grands fabricants d’ampoules électriques de l’époque en faisaient partie. Parmi eux, l’allemand Osram, le néerlandais Philips, l’étasunien General Electric ou encore le français Compagnie des lampes.
La création du cartel Phœbus faisait suite à une réunion, présentée comme secrète, qui s’était tenue quelques jours plus tôt, le 23 décembre 1924, à Genève aussi, entre les dirigeants de ces entreprises.
Le but de cet oligopole international était de contrôler la fabrication et la vente des lampes à incandescence dans tous les pays, et de se partager le marché mondial.
Mille heures seulement
Les membres du cartel Phœbus s’engageaient, notamment, à ce que «la durée de vie moyenne des lampes destinées à l’éclairage général ne peut être garantie, rendue publique ou proposée seulement à la condition qu’elle soit équivalente à 1000 heures».
Ses membres du cartel devaient envoyer des spécimens de leurs ampoules dans un laboratoire en Suisse (le lieu exact n’est pas précisé dans les sources qui en font mention) pour contrôler que leurs produits respectaient bien ce seuil. Dans le cas contraire, ils devaient payer des amendes au cartel.
De fait, selon un tableau diffusé sur internet, qui proviendrait des Archives du Land de Berlin, la durée de vie moyenne des ampoules serait ainsi passée d’environ 3000 heures en 1926 à 1000 heures, voire moins selon les fabricants, vers 1933-1934.
Évolution de la durée de vie des ampoules fabriquées par les membres du cartel PhœbusSi le cartel Phœbus a bel et bien existé jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les motivations réelles de ses membres derrière cette restriction de la durabilité de leurs lampes divergent selon les sources.
Raison commerciale ou technique?
Pour certains, les fabricants auraient cherché à réduire délibérément la durée de vie des ampoules pour des raisons purement lucratives: produire du jetable pour accélérer le taux de remplacement, donc augmenter les ventes, et donc les chiffres d’affaires.
En revanche, pour d’autres, l’intention aurait été purement technique: trouver le meilleur compromis possible entre la qualité des ampoules et leur consommation d’énergie. Les 1000 heures seraient ainsi un optimum.
En 1951, la Commission antitrust britannique a publié un rapport sur les pratiques du cartel Phœbus. Elle y dénonce une entente sur les prix qui aurait conduit le consommateur à payer plus cher ses lampes. Par contre, elle réfute l’accusation d’une limitation de la durée de vie pour raison commerciale, comme on peut lire dans ses conclusions (page 98 du document).
Déchets et pollution
Aujourd’hui, la non-durabilité planifiée (autre nom de l’obsolescence programmée) est dénoncée, notamment par des partis écologistes, des mouvements militant pour la décroissance et des organisations de défense des consommateurs.
Et pour cause, son impact sur l’environnement est fort, puisqu’il entraîne un épuisement des ressources naturelles et une augmentation des déchets et de la pollution. Selon un collectif d’associations, rien qu’en France, l’obsolescence programmée serait responsable de la panne de quelque 40 millions de biens qui ne sont pas réparés.
Certains États ont rendu illégale l’obsolescence programmée. C’est notamment le cas de la Suisse et de la France.
Source: https://www.tdg.ch/pollution-lobsolescence-programmee-serait-nee-a-geneve-734459024532