L'hydrogène est en train de caler dans les transports
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Les grandes ambitions de la filière hydrogène pour la mobilité se heurtent au mur de la réalité. L’écosystème prend du temps à émerger et souffre des doutes des acteurs du transport face aux progrès de l’électrique.
L’hydrogène continue de chercher sa place dans les mobilités de demain. Passé les effets d’annonce, la filière poursuit sa lente structuration, mais aucun marché n’a encore véritablement décollé dans les transports. Véhicules particuliers et utilitaires, camions, bus, trains… Les industriels ajustent leurs prévisions et reportent leurs projets. Le marché a clairement marqué le pas en 2024 après des années de prises de commandes record.
Sur fond de contraintes budgétaires, les subventions publiques ne pleuvent plus et les clients sont plus frileux à l’idée d’investir dans une nouvelle technologie plus onéreuse. «Les professionnels serrent les boulons. Ceux qui étaient enclins à un écart de prix ne l’acceptent plus», constate Nicolas Champetier, le dirigeant d’Hyvia, la filiale de Renault qui fabrique des camionnettes dotées de pile à combustible. Elle ne va réaliser que 10% de son chiffre d’affaires attendu en 2024.
«La filière prend plus de temps que prévu à émerger», euphémise Christelle Werquin, la déléguée générale de France Hydrogène. Qui s’inquiète : «Tout n’a pas été mis sur la table par rapport à ce qui avait été promis avec la stratégie nationale hydrogène de 2020. On devait la réviser en 2022 et on attend toujours. En France, à force de ne pas décider, on va décrocher complètement.» Les industriels européens redoutent l’offensive de leurs concurrents asiatiques et américains, qui mettent les bouchées doubles. «On est en train de se faire bouffer, alors qu’on était les premiers !», tonne l’un d’entre eux en coulisses.
Des débouchés limités dans les transports
S’ils sont nombreux à dénoncer l’attitude des autorités publiques - «Des mous du genou», s’emporte un dirigeant -, il y a une autre raison qui explique l’essor poussif de l’hydrogène : en Europe, la pertinence de cette molécule selon les usages reste à démontrer dans la durée. «L’hydrogène a été fortement mis en avant dans les discours, il y a eu un effet de mode. Or son potentiel est moins important qu’annoncé, il n’est pas nul, mais il ne va pas avoir un rôle très significatif sur le transport terrestre», analyse le chercheur Aurélien Bigo. Ce qui n’empêche pas des entreprises aux intérêts divergents de multiplier les projets.
LA MOBILITÉ HYDROGÈNE EN FRANCE
58 bus
12 trains régionaux (en production)
1000 taxis
300 vélos
6 camions
(SOURCES : L’USINE NOUVELLE, FRANCE HYDROGÈNE)Des constructeurs automobiles comme Toyota et BMW souhaitent commercialiser des SUV hydrogène dès 2027. Hormis pour les taxis à usage intensif, ce segment n’est pourtant pas porteur aux yeux de nombreux experts. Pour la majorité des acteurs de la filière, la molécule de dihydrogène, moins efficace sur le plan énergétique que l’utilisation directe d’électricité dans une pile, doit rester réservée aux usages dits «complémentaires». «L’hydrogène est utile sur les besoins que ne couvre pas l’électrique à batteries : les lignes de bus à haut niveau de service (BHNS), les autocars, les petites lignes ferroviaires où l’électrification coûte trop cher, les locomotives dans les zones portuaires», liste Christelle Werquin. La motorisation hydrogène est également envisagée pour les véhicules hors route, sur les plateformes logistiques ou dans des mines. Bref, une myriade de débouchés possibles. Mais les freins comme les inconnues restent nombreux. «La filière est en proie au doute», constate Loïc Bonifacio, un consultant indépendant.
L’hydrogène continue de chercher sa place dans les mobilités de demain. Passé les effets d’annonce, la filière poursuit sa lente structuration, mais aucun marché n’a encore véritablement décollé dans les transports. Véhicules particuliers et utilitaires, camions, bus, trains… Les industriels ajustent leurs prévisions et reportent leurs projets. Le marché a clairement marqué le pas en 2024 après des années de prises de commandes record.
Sur fond de contraintes budgétaires, les subventions publiques ne pleuvent plus et les clients sont plus frileux à l’idée d’investir dans une nouvelle technologie plus onéreuse. «Les professionnels serrent les boulons. Ceux qui étaient enclins à un écart de prix ne l’acceptent plus», constate Nicolas Champetier, le dirigeant d’Hyvia, la filiale de Renault qui fabrique des camionnettes dotées de pile à combustible. Elle ne va réaliser que 10% de son chiffre d’affaires attendu en 2024.
Attaqué par les progrès de l’électrique
L’évolution de la technologie et sa raison d’être sur le long terme face à la batterie restent en effet incertaines. En cause, «les progrès sur la batterie et ses baisses de coût de production», pointe Loïc Bonifacio, rappelant que les poids lourds électriques deviennent une réalité alors qu’«il y a cinq ans, on pensait que ce marché n’existerait pas».
Même cas de figure dans le ferroviaire. Alstom essuie les plâtres de ses 41 trains mis en service en Allemagne. En Basse-Saxe, première ligne à utiliser cette technologie, les pannes techniques des piles à combustible et les périodes d’immobilisation importantes liées à un manque d’approvisionnement en hydrogène se multiplient. Face aux difficultés, le Land envisage de se tourner à l’avenir vers les trains à batteries.
En France, les 12 rames bimode électrique-hydrogène commandées par les régions se font attendre. «On ne sait pas quelle technologie va réellement se développer à terme», constate Frédéric Evequoz, le directeur commercial des produits sur mesure chez Stadler. Le fabricant suisse, qui doit livrer 17 trains pour la Calabre et la Sardaigne en 2026, ne se ferme aucune porte. Comme l’ensemble de l’industrie qui avance à tâtons.
Les équipementiers en première ligne
Le marché est à la peine, mais ils sont prêts. Eux, ce sont les équipementiers. En France, des sous-traitants de la filière automobile ont décidé, il y a plusieurs années, de miser gros sur l’hydrogène. Au premier rang desquels Forvia et OPmobility (ex-Plastic Omnium), qui parient sur l’essor des réservoirs à hydrogène. Mais également le géant du pneu Michelin, qui détient (comme Forvia) 33,3% du capital de Symbio, jeune pousse française dont l’ambition est de devenir le leader européen de la pile à combustible. Ce ne sont pas les seuls : l’allemand Bosch, l’américain Cummins, le suisse Garrett Motion… Tous ces groupes en quête de diversification cherchent leur prochain relais de croissance, celui qui leur permettra de grandir malgré la lente mise en sommeil de leurs compétences dans le moteur thermique. «Ils y vont tous parce qu’ils se rendent compte que la batterie, en tout cas aujourd’hui, ne permet pas de répondre à tous les besoins», explique un dirigeant du CAC 40. Les précommandes record se sont succédé ces dernières années, mais les concrétisations se font attendre, en Europe comme aux États-Unis. «Ceux qui étaient prévus pour 2025 sont reportés à 2026, voire 2027», décrypte un analyste financier parisien.