[Dossier] Trilogie de la vengeance: La Corée à un incroyable talion signé Park Chan-Wook
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De 2002 à 2005, les sorties de Sympathy for Mr. Vengeance, old Boy et Lady Vengeance de Park Chan-wook ont entretenu la promesse d’un début de XXI° siècle dominé par le bouillonnement créatif sud-coréen. Vingt ans plus tard l’enthousiasme pour cette cinématographie a connu une évolution en montagnes russes, au diapason malheureux des mutations de son industrie. La ressortie, de la « Trilogie de la vengeance » sur grand écran en versions, restaurées 4K chez Metropolitan permet de revoir les films dans leur splendeur originelle, de jauger leur impact et de procéder à un état des lieux du cinéma coréen contemporain.
Dans le monde parfait de Park Chan-wook, son premier long-métrage est JSA (2000). Dans la cruelle réalité, il est précédé de The Moon Is… The Sun’s Dream (1992) et Saminjo (1997), deux premières tentatives vaporeuses, arty, à des lieues de la maîtrise formelle et scénaristique de ses œuvres à venir. Bastian Meiresonne, auteur de l’indispensable livre somme Hallyuwood. Le cinéma coréen (éditions E/P/A), surgit alors en embuscade avec la contextualisation ad hoc sous le bras.
Lorsqu’on remonte aux productions sud-coréennes de cette époque, certes il y a des films commerciaux plus léchés, mais il y a aussi cette période fin 1980-début 1990, portée par un premier souffle de liberté post-dictature, et par une génération qui voulait s’exprimer, tout casser, faire de nouvelles choses. On retrouve dans les premiers Park Chan-wook des faiblesses de mise en scène et de scénario caractéristiques du moment. Ce sont des films d’un jeune chien fougueux, qui pensait réaliser des chefs-d’œuvre parce qu’il était adulé en tant que critique de cinéma, et qui s’est rendu compte que ce n’était pas aussi simple que ça. Les deux films ont été d’immenses fours, il a traversé une période de galère où plus aucun de ses projets n’aboutissait. Il s’est posé, il s’est dit que s’il voulait perdurer, il fallait se repenser entièrement.
Le Park Chan-wook nouveau arrive au monde en 1999, avec le court-métrage Judgement (aka Simpan). Le script part d’un authentique fait divers (l’effondrement d’un centre commercial) pour imaginer un huis clos autour de l’identification d’une victime. Un noir et blanc somptueusement éclairé enveloppe le récit sous de multiples chapes de plomb. Les acteurs n’ont plus du tout l’air aux abois, chaque cadre, chaque mouvement de caméra, chaque coupe trahit une attention extrême portée au moindre détail. Un humour noir, désespéré, affleure dans les instants les plus inattendus, comme dans les films de Bong Joon Ho et Kim Jee-woon. Park Chan-wook se distingue toutefois de ses camarades de la nouvelle vague coréenne (dite « Hallyu ») par une empathie à géométrie pour le moins variable, et un taux d’acidité toujours très élevé.
– La mort accidentelle de la fille de Dong-jin (Song Kang-ho) va précipiter l’engrenage final de Sympathy for Mr. Vengeance.
LES FRONTIÈRES DU BON GOÛT
Avec son premier plongeon dans le grand bain, l’auteur fait tout d’abord illusion, et fourbit ses armes pour poursuivre sa carrière comme il l’entend. JSA — Joint Security Area adapte le roman DMZ de Park Sang-yeon en un somptueux faux thriller, vrai récit de l’amitié tragique entre deux garde frontières sud-coréens et leurs homologues du nord. L’impeccable facture technique et le casting phénoménal garantissent au film de vieillir avec grâce, La déstructuration du récit porte quant à elle les traces brouillonnes de ce qui deviendra la marque de fabrique de Park Chan-wook. L’entièreté du film repose sur une image, une photographie présente assez tôt dans l’intrigue, dont la narration va se vouer à nous expliquer tous les angles, toutes les perspectives, pour nous la révéler en fin de parcours sous un jour entièrement différent.
Le procédé vaut déclaration d’intention. Désormais, le Park Chan-wook scénariste et son pendant réalisateur vont orchestrer de concert de grands chamboulements dramaturgiques, des jeux pervers sur les bascules de point de vue. Des mondes vont s’écrouler, des horreurs insoupçonnées s’additionner les unes aux autres dans une spirale insensée, quitte à ce que ses personnages soient écrits comme des moyens et non des fins. « C’est un aspect de son œuvre avec lequel j’ai un peu de mal » reconnaît Bastian Meiresonne.
Dans l’ensemble de ses films, les personnages de Park Chan-wook ne sont que des pions. Il n’a pas l’empathie d’un Bong Joon Ho, il manipule ses personnages, il n’a aucune pitié. Je trouve ça glaçant.
Ainsi du trio de tête de Sympathy for Mr. Vengeance (2002), drame social au désespoir trop hardcore pour ne pas virer à l’instrumentalisation pure et simple. Le sort s’acharne sur les personnages impeccablement incarnés par Shin Ha-kyun, Song Kang-ho et Doona Bae dans des plans à la beauté glacée, au raffinement quasi obscène. Chacun s’enfonce inexorablement dans les abîmes, avec pour seules respirations des gags de très mauvais goût : une femme, gravement malade, se tord de douleur tandis que les voisins se masturbent au son de ses râles ; son frère sourd-muet se fait voler un rein par des mafieux, juste avant qu’un donneur ne se manifeste ; un père de famille découvre le cadavre de sa fille tout en devant gérer les assauts incessants d’un handicapé mental. Tout finit effroyablement.
JSA jouait de la ligne invisible de la frontière comme un espace absurde, que ses héros transgressaient jusqu’à la bascule funeste, initiée elle aussi par une blague douteuse. Ici, Park Chan-wook franchit toutes les lignes à sa portée. Sexualité, violence, torture psychologique, traumatisme physique et mental…
L’accumulation n’en finit plus. Ses écrits critiques et son militantisme syndical le placent plutôt à gauche de l’échiquier politique coréen, sa description d’une société en pleine déroute le propulse hors cadre, vers un nihilisme radical conforté par l’irruption finale des anarchistes dans un récit déjà bien chargé. Cette sécheresse de ton se répercute sur la forme, toujours aussi maîtrisée, mais beaucoup plus raide, abrupte que celle de son précédent long. « Par rapport à JSA » commente Bastian Meiresonne, « il y a une économie de plans qui se met en place, avec ses plans séquences qu’il commence vraiment à mûrir. C’est beaucoup plus dépouillé, il y a moins de dialogues, moins de musique, il débroussaille tout ce qu’il avait mis en place sur JSA Il commence à expérimenter sur l’éclairage, les couleurs. »
– Ryu (Shin Ha-kyun) et Yeong-mi (Doona Bae), le couple funeste au cœur de Sympathy for Mr. Vengeance.
PLEURE, ET TU SERAS LE SEUL À PLEURER
Son film suivant, Old Boy, pousse encore plus loin cette logique de cruauté envers ses personnages. L’antihéros, Oh Dae-su, n’est finalement qu’un punching-ball, une marionnette entre les mains de l’homme derrière sa captivité d’une quinzaine d’années. Toutes ses agitations frénétiques d’un bout à l’autre de la ville, ses bastons homériques, son enquête erratique ne lui donnent qu’un simulacre de liberté de pensées et de mouvements. Le final dans le penthouse de son ennemi révèle tour à tour les raisons de la machination, et ce qui reste à ce jour l’un des retournements de situation les plus traumatisants de ce jeune siècle. À tel point que Oh Dae-su ne peut que rentrer dans une rage incontrolable, pathétique, sous le regard moqueur et t iste de son bourreau, dans lequel il devient tentant de voir une projection fictive du réalisateur démiurge. Tous ces éléments ont été ajoutés au manga original de Garon Tsuchiya (aka Caribu Marley) et Nobuaki Minegishi, dont il ne subsiste que cette ossature narrative d’un homme retenu contre son gré pendant une décennie sans savoir pourquoi, hypnotisé pour tomber amoureux d’une jeune fille.
Pour Bastian Meiresonne, ces changements épousent la psyché coréenne.
Dans la plupart des films de Park Chan-wook, la violence exercée sur les personnages est une forme d’exutoire de toute la pression politique et institutionnelle. Old Boy est la métaphore d’un type confiné pendant quinze ans, pendant la transition du pays de la dictature à l’ouverture à la démocratisation. Tout ce qui était retenu explose, il ne comprend plus rien à la situation, il ne sait pas comment s’exprimer. C’est quelque chose qui se retrouve chez les cinéastes de cette génération.
La mécanique du film repose sur cet équilibre parfait entre les incongruités d’un personnage inadapté et son contrôle à distance, la domination de sa résistance à la douleur et la libération bordélique de ses pulsions primales. Pour incarner cette Cocotte-Minute sur pattes, la maestria scénographique et dramaturgique aide mais ne suffit pas. Et ça tombe bien, Old Boy a une arme de distraction massive sous son coude sanguinolent. Si le casting de Sympathy for Mr. Vengeance se tirait la bourre pour offrir la performance la plus mémorable, l’interprétation de Choi Min-sik défie toute tentative d’analyse ou de rationalisation. Hilarant en pauvre type bourré dans l’introduction, saisissant dans toutes les étapes de la folie durant son incarcération, implacable une fois libéré, démentiel dans la dernière ligne droite, il brûle l’âme du film par les deux bouts. Même lorsque Park Chan-wook dévie les sentiments amoureux au cœur de l’intrigue de façon particulièrement sagouine, l’acteur maintient le cap, il plie mais refuse de rompre. Les jeunes Coréens se ruent en masse dans les salles obscures pour la belle gueule de Yoo Ji-tae, l’interprète de l’antagoniste déshumanisé, ils ressortent en pâmoison pour ce quadra sec et rugueux… et pour le style lyrique et baroque de Park Chan-wook.
– Le tournage du premier contact humain d’Oh Dae-su (Choi Min-sik) au sortir de quinze ans de captivité.
– Lee Woo-jin (Yu Ji-tae), le mystérieux commanditaire du calvaire d’Oh Dae-su dans Old Boy.
RIS, ET LE MONDE RIRA AVEC TOI
Old Boy marque l’arrivée cruciale du directeur de la photographie Chung Chung-hoon, collaborateur fidèle de Park Chan-wook jusqu’à Mademoiselle (2016). Si les films précédents de ce dernier brillaient déjà par leur beauté plastique, ils vont encore gagner en splendeur, en furie visuelle. Sur Old Boy, le travail d’orfèvre de Chung Chung-hoon foudroie le spectateur dès les premiers plans dans la geôle d’Oh Dae-su, avec ce jeu sur les lumières intérieures, cette façon si intense de faire jaillir les couleurs verte et violette, de faire ressentir la texture de la porte, des murs, du gaz endormant le prisonnier. Le montage se construit entièrement autour d’une bande-son magnifique, entre les thèmes entêtants de Cho Young-wuk et des variations autour de L’Hiver des Quatre Saisons de Vivaldi.
La mise en scène de Park Chan-wook, jusque dans ses écarts cartoonesques grotesques (certaines transitions, les pointillés dessinés précédant le coup de marteau…), témoigne quant à elle d’un génie intimidant. À tel point que dans Zinda (2006), le remake Bollywood non officiel du film, ce grand escroc de Sanjay Gupta se sent obligé de reproduire les plans emblématiques à l’identique — enfin, autant que ses maigres compétences le permettent. Impossible, typiquement, de reproduire le fameux plan-séquence de bagarre dans le couloir à un contre cinquante avec la même intensité, la même impression de prouesse surréaliste au-delà des limites corporelles. Il en ira de même pour le remake américain signé Spike Lee, sorti dix ans plus tard : une relecture vaguement embarrassée, toujours sur le point de s’excuser d’exister. En 2004, c’est bien simple, rien n’arrive à la cheville d’Old Boy. Quentin Tarantino préside le jury cannois cette année-là, et si la décision n’avait tenu qu’à lui, le film serait reparti avec la Palme d’Or. L’actualité grille la politesse à la postérité, et c’est Fahrenheit 9/11 de Michael Moore qui l’emporte. L’honnêteté force à admettre qu’il ne reste aujourd’hui plus grand-chose de ce « documentaire » aux méthodes journalistiques pour le moins contestables.
Old Boy, en revanche, a encore toute sa place dans l’Histoire du cinéma et dans la mémoire des cinéphiles qui donneraient tout pour le revoir une première fois, sans rien savoir de son histoire, de son identité artistique, ou de la foultitude de productions inscrites dans son sillage, qui ont fini par en gâter l’originalité foudroyante. Certaines voix grondaient jusque-là en sourdine, vantant les mérites du versant cinématographique de la vague Hallyu, avec en étendard les escapades auteuristes dérangeantes de Kim Ki-duk et Lee Chang-dong, les premiers Bong Joon Ho, Kim Jee-woon, et des séries B beaucoup plus énervées que la production hollywoodienne d’alors. Désormais, le doute n’est plus permis. Le renouveau cinématographique sera coréen ou ne sera pas.
L’essor du DVD accompagnait les découvertes des défricheurs, les boutiques d’import apparaissaient de-ci, de-là dans les grandes villes françaises ; les distributeurs nationaux se joignent à présent à la fête et nous sortent sur grand et petit écran des polars, des films d’horreur, des productions délicieusement hybrides. Tout n’est que joie, bonheur, orgie sous stupéfiants de bonne qualité avec Robbie Williams au piano, les yeux bandés.
– Choi Min-sik après avoir dérouiller de l’homme de main dans un monumental et inoubliable plan-séquence de 2min40.MY UNFAIR LADY
Avant de boucler la « Trilogie de la vengeance », Park Chan-wook participe à l’anthologie horrifique 3 Extrêmes (2004) avec le sketch Coupez !. Coincé entre le Fruit Chan (Nouvelle Cuisine) et le Takashi Miike (La Boîte), le segment s’impose sans discussion comme le plus brillant formellement des trois. Une véritable démonstration de force graphique, avec ses plans impossibles, ses perspectives hallucinantes, ses compositions de plans maniaques où l’apport de Chung Chung-hoon relève des Beaux-Arts. Malheureusement, la proposition tourne à vide, à l’épate-bourgeois de très mauvais augure.
Un réalisateur joué par Lee Byung-hun, l’interprète au cœur de la fameuse photo de JSA, est torturé par un figurant jaloux, auquel il révèle ses fautes et manquements moraux pour éviter que sa femme ne perde ses doigts dans un piège digne d’un Jigsaw mélomane. L’intense beauté ne parvient pas à atténuer le goût amer de ce mélange d’arrogance et d’autocritique maladroite sur leur lit de sadisme gratuit. Une nouvelle fois, Park Chan-wook se retrouve face à un mur créatif et doit trouver la parade. Son intuition le tourne vers le développement de ses personnages féminins, l’angle mort d’Old Boy et de Coupez !. Le cinéaste a gardé en mémoire les écrits d’une autrice du nom de Jeong Seo-kyung, lors de sa participation comme juré à un appel à projets de courts-métrages. Il fait appel à ses services pour la première mouture du scénario de Lady Vengeance, ultime volet du cycle entamé avec Sympathy for Mr. Vengeance et poursuivi avec Old Boy.
Ce troisième film opère la synthèse bizarrement parfaite des deux, à mi-chemin du réalisme social sordide du premier et des élancées esthétiques du second. Geum-ja (fabuleuse Lee Young-ae), une femme accusée à tort du meurtre d’un jeune garçon, sort de treize années d’emprisonnement, avec la ferme intention de solder les comptes de l’authentique meurtrier, un instituteur au-dessus de tout soupçon (Choi Min-sik, ignoble à souhait). Traversé d’images iconiques parodiant la rédemption religieuse de la protagoniste, Lady Vengeance s’achève sur une forme cinglante, ironique et glaçante de tribunal populaire, offrant aux trois films la conclusion idéale, un meurtre perpétré en groupe, de façon consentie et pragmatique. Chacun s’en retourne à sa petite vie d’un commun accord, avec ses fantômes sous le bras. Sifflotons d’un air dégagé, comme s’il ne s’était rien passé. Le personnage principal n’accède pas à la rédemption tant recherchée, mais pour une fois, ne finit pas l’histoire dans un pire état qu’à ses prémisses.
« C’est le premier personnage de la trilogie qui a cru à un moment donné dans le système et qui a été déçu, puni de manière injuste » remarque Bastian Meiresonne.
Park Chan-wook dit avoir beaucoup de tendresse pour ce personnage-là, parce qu’elle va jusqu’au bout de ses convictions. Même si ce n’est clairement pas la solution qu’il prêche, il voit dans les femmes une sorte de sensibilité mieux tournée que chez les hommes, auxquels il ne croit plus.
– Lee Geum-ja (Lee Yeong-ae), la Lady Vengeance avant et pendant l’exécution de son plan.
LA VENGEANCE AUX TROIS VISAGES
Pour la rédaction de son colossal Hallyuwood, l’auteur s’est plongé dans toute l’Histoire du cinéma coréen, de 1919 à 2023. Ses recherches, voyages et innombrables visionnages l’ont aidé à appréhender les échos entre l’Art et l’Histoire du pays.
La notion de vengeance est un code culturel très profondément ancré en Corée, depuis très longtemps. L’image que tu renvoies y est primordiale. Si on s’en prend à l’honneur des tiens, tu dois te venger. Ce sentiment a été alimenté par les différentes périodes d’occupation, japonaise, américaine, et toutes les autres invasions. En tant qu’occidental, on prend ce besoin au premier degré, sans creuser. J’ai souvent présenté des séances de Parasite de Bong Joon Ho et durant celles-ci, il arrive qu’on me demande pourquoi cet acte désespéré à la fin, pourquoi aller jusqu’au meurtre, est ce que ce n’est pas too much ; je réponds que non, ils prennent Sur eux, jusqu’à ce que la pression explose, qu’ils n’arrivent plus à se contrôler.
Chappe de plomb totalitaire oblige, ce thème n’a souvent été traité qu’en filigrane, dans des films prônant une approche à la Charles Bronson dans les suites d’Un justicier dans la ville. Les cinéastes de la génération dite « 386 », nés dans les années 1960, devenus adultes dans les années 1980, ont connu la dictature. Certains ont participé aux manifestations de juin 1987, d’autres ont observé l’émergence démocratique se prendre les pieds dans le tapis sur fond de scandales ininterrompus, de corruption, de conflits d’intérêt, de collusions douteuses. Il suffisait d’un soutien à la création artistique digne de ce nom, tel que celui mis en place au tournant du XXI° siècle pour que les paroles se libèrent dans des films gorgés de ressentiment, de violence ne demandant qu’à éclater au grand jour.
Pour Bastian Meiresonne, dans ce contexte, la « Trilogie de la vengeance » se distingue des hurlements d’un Kim Ki-duk ou des films de genre enfermés dans un cycle de barbarie perpétuelle.
Park Chan-wook a abordé le sujet de trois manières différentes, mais dans les trois cas, il arrive à la même conclusion : la vengeance n’entraîne qu’une autre forme de vengeance et provoque d’autres problèmes. C’est absolument génial, parce qu’il nous déboussole, il nous sort de notre zone de confort. La résolution n’est pas du tout celle attendue, le spectateur ne peut pas abonder dans le sens des personnages.
De nombreux réalisateurs et scénaristes ont tenté d’émuler le style Park Chan-wook tandis que ce dernier dérivait vers d’autres horizons. L’immense majorité de ses imitateurs n’en ont retenu que la facture technique clinquante sans penser leur mise en scène, que la manipulation et les retournements de situation choquants en lieu et place d’une construction scénaristique rigoureuse. Seul Na Hong-jin, avec The Chaser (2008), The Murderer (2010) et The Strangers (2016), a su se montrer à la hauteur de la tâche, en se renouvelant à chaque fois.
Il est de toute façon établi que J’ai rencontré le Diable de Kim Jee-woon (2010) a mis un point final à cette vague de films de vengeance, par son extrême violence, l’efficacité de sa réalisation, et le caractère définitif de sa conclusion.
Le personnage de tueur, interprété par un Choi Min-sik plus infect que jamais, se fait décapiter par un mécanisme enclenché par sa petite famille, probablement traumatisée à jamais par cette vision. Le responsable de cette mise en scène, joué par Lee Byung-hun, ne rate rien des réactions par mouchard interposé. Il retire ses écouteurs, avance sur une route isolée dans la lumière du matin. En quelques secondes, son visage impassible laisse place à des sanglots douloureux. Est-il soulagé ? Submergé par l’horreur qu’il vient d’infliger ? Pense-t-il à sa fiancée et son futur enfant assassinés ? Rideau, que les jeunes générations se démerdent avec çaLE MONDE D’APRES
La jeune génération de réalisateurs coréens a grandi devant ces films, en a goute la liberté créative avant de se faire une raison. Bastian Meiresonne ne mâche pas ses mots pour décrire l’état de l’industrie cinématographique aujourd’hui, où trop peu d’exceptions (comme Sleep de Jason Yu ou Concrete Utopia de Um Tae-hwa) trouvent grâce à ses yeux.
Quand on me dit que le cinéma coréen actuel est génial, je réponds que non, il est dégueulasse ! (rires) Il s’est arrêté en 2006, avec la mainmise des studios. En dehors de Park Chan-wook et Bong Joon Ho, combien de réalisateurs pouvez-vous me citer dont la filmographie est encore bonne ? Et ça fait vingt cing ans qu’ils sont là, il n’y a personne pour les remplacer. C’est ce que dit Kim Jee-woon dans Ça tourne à Séoul ! : entre les dictatures, où il était extrêmement compliqué de faire des films, et l’industrie aujourd’hui, rien n’a changé. Il y a une autre dictature, celle des producteurs des quatre grands studios, qui en plus détiennent tout le réseau des salles. Tout est cadenassé, ils sont en train de tuer leur propre industrie.
Ce constat va de pair avec l’évolution récente de la société coréenne post-Covid, sa mise sous tension permanente encore plus accentuée. Tandis que la défiance envers les institutions politiques ne fait que s’accélérer sous l’influence de nouveaux scandales à répétition, des projets de loi pour passer la semaine de travail à 69 heures sont discutés en toute bonhomie. Les manifestations et grèves se multiplient. La K-pop et les K-dramas n’offrent qu’une vitrine trompeuse attrape-touristes, les séries et films coréens destinés aux plateformes diluent de plus en plus l’identité artistique de leurs créateurs au fil du temps.
En attendant de voir si ce marasme peut faire naître une nouvelle expression cinématographique rageuse, il faut impérativement retourner voir la « Trilogie de la vengeance » en salle, et enchaîner si possible avec celle, tout aussi libre et stimulante, des amours impossibles (Thirst, Mademoiselle et Decision to Leave). Et tout de même continuer à suivre cette cinématographie que nous avons tant aimée et qui nous a tant trahis, pour la joie d’y voir émerger, comme à Hollywood, des œuvres réussies et des aberrations savoureuses, au milieu de dizaines de produits interchangeables.
– Par François Cau
– Propos recueillis par l’auteur
— Merci à Bastian Meiresonne
– Mad Movies #380 -
Merci pour le doss l’ami @Violence (tiens à propos de vengeance, mieux vaut tard que jamais j’avais mater Farang, un air de The Raid sur certaines scènes de combat vers la fin, des machettes, des hectolitres de sang…c’était pas mal pour un film frenchie).
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Tout a fait l’ami @Psyckofox
Il y a un dossier aussi sur Farang mais j’avais trouvé ça très sympa en effet.Xavier Gens a bien appris de la bonne école de Gareth Evans