La descente aux enfers de Boeing
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Le constructeur de l’un des avions de ligne les plus populaires au monde, le Boeing 737 MAX, fait face à la pire crise de son histoire. Une descente aux enfers amorcée bien avant les crashs de deux de ses appareils, en 2018 et 2019, qui ont fait 346 victimes. Récit.
Un jour de 2023, à l’aéroport international de Seattle-Tacoma, Ed Pierson s’installe dans un avion à destination de New York. Bien calé dans son siège, l’ancien cadre de l’entreprise Boeing à la retraite regarde devant lui, décortique ses co-passagers, avant de céder à un vieux réflexe. S’emparer de la carte de consignes de sécurité. Là, sueur froide. Le numéro de l’appareil s’étale. 737-8/737-9. Ed Pierson se lève. Il faut qu’il sorte de là. Tout de suite.
Une hôtesse le prie de bien vouloir se rasseoir. L’appareil va décoller, il faut qu’il boucle sa ceinture.
«Je ne veux pas provoquer une scène. Je veux juste descendre de cet avion»
Le passager insiste. Il s’est volontairement programmé pour ne pas voler sur un Boeing MAX. L’ex-employé de Boeing a ses raisons. Le 737 MAX, fleuron de la flotte Boeing, l’un des avions les plus vendus et les plus populaires du monde, pourrait aussi s’avérer l’un des moins sûrs.
Catastrophes en cascade
Difficile de ne pas donner lui raison. Alors que Boeing panse encore ses plaies, suite aux crashs de deux appareils en moins de six mois, en Indonésie et en Ethiopie, fin 2018 et 2019. Deux catastrophes auxquelles vient s’ajouter un nouvel incident embarrassant, cette année.
Ce 5 janvier 2024, il est 17h07 lorsque le vol 1282 d’Alaska Airlines décolle de l’aéroport international de Portland en direction d’Ontario, en Californie. Six minutes à peine après le décollage, à 5000 mètres d’altitude, une forte détonation retentit dans la cabine. L’avion tremble, les masques à oxygène tombent, les lumières vacillent, une forte rafale de vent s’engouffre dans l’appareil. Les passagers réalisent, terrorisés, qu’un trou géant a remplacé l’une des issues de secours.
Par miracle, personne n’a pris place sur le siège 26A, celui placé immédiatement à côté du trou. Personne n’a cédé à l’envie de détacher sa ceinture avant l’extinction du signal sonore ni à un besoin pressant d’aller faire pipi. A l’issue de l’atterrissage d’urgence à Portland, seuls trois blessés légers sont à déplorer. A une altitude de croisière, soit environ 10 000 mètres, une fois la ceinture détachée et les premiers passagers debout dans le couloir, les conséquences auraient été dramatiques.
Dans la foulée, tous les avions 737 MAX 9 du constructeur se retrouvent cloués au sol pendant près d’un mois. Le début d’une nouvelle crise pour le constructeur. C’est peu dire que Boeing s’en serait bien passé.
Le grand plongeon de Boeing
Les crashs de 2018-2019, et leurs effets d’entraînement, lui ont déjà coûté près de 20 milliards de dollars. Sans parler des dégâts pour sa réputation. Pour se racheter une conscience aux yeux des régulateurs, des compagnies aériennes et des passagers, Boeing a dû changer: direction, PDG, conseil d’administration, protocoles de sécurité. Auxquels s’ajoutent, en 2020, la crise du Covid-19, la suppression de milliers d’emplois, puis la reprise à toute vitesse du secteur de l’aviation.
Cela fait quelques années que Boeing est sous pression. Bien avant la pandémie, des dizaines de compagnies aériennes frustrées attendaient déjà de recevoir les appareils qu’elles ont commandés. Le taux de production doit absolument augmenter et 'avionneur choisit de privilégier la rapidité à la prudence.
«Ils mesurent le succès en fonction du nombre d’avions livrés, et non en fonction du nombre d’avions de qualité livrés… C’est un désastre annoncé»
Cadre supérieur du programme 737 MAX de Boeing, Ed Pierson observe avec inquiétude la frénésie au sein de l’usine de production de l’entreprise à Renton, dans l’Etat de Washington. Le moral des employés, épuisés, plonge. Les erreurs s’accumulent, les procédures de surveillance et d’assemblage faiblissent. En 2018, au terme d’une année «chaotique», Ed Pierson n’en peut plus. Il se retire du programme et décide de sonner l’alarme.
«Pour la première fois de ma vie, je suis désolé de dire que j’hésite à mettre ma famille dans un avion Boeing»
d Pierson, dans un email envoyé au responsable du programme 737, en juin 2018, examiné par le New York Times.Comme pour lui donner raison, le premier crash survient quatre mois plus tard. Appelé à témoigner au Congrès américain sur ses observations au sein de l’usine de Renton, le rapport du lanceur d’alerte est accablant. A l’époque, l’entreprise conteste tout lien entre les problèmes de production et les crashs.
Ed Pierson, au centre, dénonce depuis 2018 les conditions de travail chez Boeing.Depuis, pourtant, rien n’a vraiment changé. En septembre 2023, sa fondation de sécurité aérienne publie un nouveau rapport selon lequel les compagnies aériennes ont déposé plus de 1300 rapports sur de graves problèmes de sécurité sur les avions 737 MAX 8 et MAX 9.
«Ces mêmes problèmes, qui existaient en 2018 et 2019 et qui ont été les précurseurs des accidents, sont toujours là»
Le ver était dans le fruit
Mais au fond, comment Boeing, l’une des entreprises américaines les plus respectées du pays, gage de sécurité et d’excellence, a-t-elle pu en arriver là?
Beaucoup d’employés, anciens et actuels, vous le diront. Le ver était dans le fruit depuis plus de vingt ans. Plus précisément, depuis 1997. Lorsque la compagnie s’offre son concurrent, le constructeur aéronautique McDonnell Douglas. Au terme de la fusion, la culture d’entreprise et la stratégie changent. D’une société axée sur le produit, Boeing devient une société axée sur le profit. Un choix assumé.
«Quand les gens disent que j’ai changé la culture de Boeing, c’était mon intention, de sorte à ce qu’elle soit gérée comme une entreprise plutôt qu’une société d’ingénierie»
Harry Stonecipher, PDG de McDonnell Douglas et PDG de Boeing de 2003 à 2005.Miser sur le profit plutôt que sur la qualité serait logique pour d’autres firmes. Pas dans le secteur comme l’aviation. Un appareil comme le 737 MAX nécessite, selon certains témoignages, plus d’un demi-million de pièces, fabriquées par 600 fournisseurs différents, dont beaucoup, à leur tour, font appel à des sous-traitants. Superviser un tel processus de fabrication et s’assurer de la qualité exige «une attention maniaque aux détails, une volonté de dépenser sans compter pour la fiabilité et la sécurité, pouvoir signaler de potentielles erreurs et, le cas échéant, de mettre les moyens de les corriger».
Ça, Boeing l’a compris trop tard. Et l’a payé au prix fort.
L’impossible reprise
Après le nouvel incident du 5 janvier 2024, qui pourrait coûter à lui seul près d’un milliard de dollars, le directeur général de l’entreprise, David Calhoun, a fini par l’admettre: il y a bien eu une «évasion de qualité». Mais il faudra plus qu’un vague mea culpa pour réparer la casse.
Le patron de Boeing, Dave Calhoun, dans la tourmente depuis le nouvel incident en janvier.Coupée dans ses projets ambitieux d’augmenter sa production d’avions 737 Max, Boeing est aujourd’hui confrontée à l’une des pires crises de son histoire. Incapable de rivaliser avec son principal rival, Airbus, chez qui ses clients, dont la compagnie United Airlines, menacent d’aller voir. Pour Boeing, les incertitudes sont telles que, début février, ses dirigeants se sont refusés à fournir des prévisions financières pour 2024.
«C’est n’est pas le moment. Nous ne prévoyons pas de calendrier. Nous ne devancerons pas notre régulateur. Nous irons lentement pour aller vite»
Dave Calhoun, aux analystes de Wall Street, le 31 janvier.Cette fois, l’entreprise n’y coupera pas. Tant qu’elle n’aura pas résolu les problèmes de contrôle qualité, une reprise semble inenvisageable. Les spécialistes s’accordent toutefois sur le fait que cela prendra du temps. Restaurer une culture d’entreprise qui valorise le perfectionnisme et l’excellence en ingénierie pourrait durer des années.
Dans l’intervalle, que faire, nous autres, voyageurs? Peut-on s’envoler sans crainte sur un 737 MAX, alors que certains connaisseurs de l’aéronautique ont renoncé à le faire?
«Les chances que quelque chose se passe mal dans n’importe quel avion, où qu’il soit, sont minimes. Mais s’il y a des problèmes connus, évitez-les»
Le conseil de Richard Roszko, consultant en ingénierie aéronautique en Floride, au New York Post.L’avion reste l’un des moyens de transport les plus sûrs du monde. Même Ed Pierson en est convaincu. «Je ne dis pas que tous les avions Boeing sont dangereux», relativise le lanceur d’alerte, cette semaine, dans Politico. «La société Boeing est capable de construire des avions de qualité. Une partie du problème réside dans le fait que les gens ne savent pas comment faire la différence entre le MAX et les autres avions.»
La semaine dernière, dans une tentative de prendre un nouveau départ, Boeing a remplacé le responsable de son programme 737. Ed Pierson, quant à lui, refuse toujours de prendre place à bord d’un MAX.
Source: https://www.watson.ch/fr/international/avion/284902792-la-descente-aux-enfers-de-boeing
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bien content de bosser en sous traitance Airbus moi
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Et dire qu’on se moque des français, leur attribuant parfois un certain “j’men foutre” alors que comparé aux américains les français sont des suisses-allemands niveau sécurité et normes.