[Memories] J'ai rencontré le diable
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[J’ai rencontré le diable] Kim Jee-Woon, 2011
Depuis qu’il a commencé à faire du cinéma, le réalisateur coréen Kim Jee-Woon passe pour un malin flamboyant revisitant des genres (fantastique, comédie noire, podar) dans la perspective de séduire une génération nouvelle. Noble ambition de sa part mais s’il est virtuose, on cherche à savoir qui il est réellement D’où cette impression chez lui qu’il en fait généralement trop pour le propre bien de ses films, comme dans son drame fantastique Deux Sœurs (2003) où la narration emberlificotée (la sœur qui n’existe pas, la sœur qui est folle, la belle-mère qui n’existe pas, etc.) avait tendance à perdre le spectateur dans un entrelacs brumeux au lieu de l’accompagner vers une résolution satisfaisante. Dans Le bon, la brute et le cinglé (2008), il s’était attaqué au western postmoderne en reproduisant ce qu’il aimait le plus chez les autres (Sergio Leone comme référence matricielle) et en se référant avec ostentation à des standards européens ou américains ayant nourri sa cinéphilie. Encore une fois, beaucoup de puristes lui étaient tombés dessus en lui reprochant de n’avoir aucune personnalité et de frimer comme Quentin Tarantino. Le film qu’il a réalisé juste après, soit J’ai rencontré le diable, était d’un tout autre niveau_
A partir d’un postulat simple (un agent secret recherche le serial-killer qui a tué sa fiancée enceinte), Kim Jee-Woon réglait ses comptes avec la terre entière et transcendait une commande pour signer un thriller vigilante nihiliste, brûlant comme l’enfer, aux éclairs de poésie macabre (la découverte de la tête d’une victime dans un cours d’eau, par exemple), comme autant de fleurs disséminées sur un tas de fumier dans le jardin des supplices. À ce jour, il s’agit de son meilleur film: le plus sec, le plus fiévreux, le plus abouti_ Avant même de le découvrir en France dans cinq salles (le distributeur ARP avait dû affronter une interdiction aux moins de 16 ans avec avertissement qui faisait déjà flipper nos amis exploitants), les rumeurs allaient bon train concernant la dureté de J’ai rencontré le diable. En Corée, la sortie avait été retardée cause de certains plans dont la violence représentait « une atteinte à la dignité humaine soit environ deux minutes d’images coupées du montage. Des scènes de cannibalisme aux meurtres insoutenables, on s’attendait à voir le nouveau Massacre à la tronçonneuse. À l’arrivée, la version visible en France reste celle qui se rapproche le plus de celle qui a été présentée en Corée pour recevoir une classification, avant les coupes. Kim Jee-Woon s’était autocensuré, non pas par peur mais parce qu’il avait lui-même des limites morales à ne pas dépasser Du moins, c’est ce qu’il affirmait en interview au moment de la sortie française_ Par exemple, lorsque à un moment donné, le tueur en série frappait le visage d’un grand-père Kim avait imaginé bien pire, mais il trouvait que ça dépassait quand même un peu le politiquement regardable:
«De manière même en m’étant autocensuré: la censure n’a pas été tendre»* nous racontait il au moment de la sortie du film en salles.Dans la presse, ce n’état pas mieux Les avis étaient partagés, vraiment extrêmes. Certains critiques ont dit que c’était mon meilleur film. D’autres ont détesté en disant que c’était le pire film de ma carrière. La plupart des critiques me demandaient pourquoi je l’avais fait… L’une des questions les plus récurrentes des détracteurs, c’était “Je ne comprends pas. pourquoi” Peut-être que je me suis fait mal fait comprendre. Une critique que j’aime bien en Corée m’a dit que c’était un film qui commençait par la question du pourquoi et qui se terminait par la question du comment. Je lui ai répondu que je pensais, au contraire, qu’il s’gissait d’un film qui commençait par comment et se terminait par pourquoi. Dans les faits, aucun réalisateur n’a une liberté totale. Et je me rends compte que je suis assez libre par rapport à d’autres réalisateurs coréens. Le scénario de J’ai rencontré le diable leur a été proposé et la pré-production avait plus ou moins démarré avec eux, sans aboutir. Dès que mon nom a été associé projet, on a tout de suite pu trouver des financements_ Dans des cas pareils, je me trouve bien chanceux.
Comme toutes les œuvres fortes, J’ai rencontré le diable risquait, une fois de plus, de froisser les bien-pensants par sa remise en cause systématique des idées reçues, son sadisme, son jusqu’au-boutisme, sa bile noire. Mais au-delà de ses ambiguïtés, il maintenait un degré de fascination constant et ressemblait au crépuscule d’un genre régénéré par le cinéma coréen, dont on avait épuisé toutes les variations (Old Boy, de Park Chan-Wook, Memories of Murder, de Bong Joon-Ho, Public Enemy de Kang Woo-suk) ces dix dernières années. On le comprenait rien qu’à la confrontation entre deux stars emblématiques: Lee Byung-hun, déjà dans Bittersweet Life, et Choi Min-Sik, aussi époustouflant que dans Old Boy, qui livrait le plus naturellement du monde une performance d’ordure sadique mémorable (ses victimes respirent encore quand il commence à les découper en morceaux) tuant à l’arme blanche (couteaux, tenailles, serpes). C’était d’ailleurs l’immense comédien Choi Min- Sik, sorte de Michel Simon coréen, qui avait choisi Kim Jee-Woon pour mettre en scène un scénario qu’il traînait avec lui depuis des années. C’était la première fois après Lady Vengeance qu’il revenait dans un film commercial. Il n’avait rien fait pendant quatre ans pour protester contre l’état du cinéma coréen.
«ll ne faut pas oublier que Choi Min-Sik est un acteur qui a beaucoup d’influence en Corée et que s’il s’emballe plus de raison pour un projet, c’est qu’il se passe réellement quelque chose» nous avouait Kim Jee-Woon.
Pendant le tournage, je l’ai juste regardé interpréter le diable. Je lui demandais juste que son personnage soit imprévisible, qu’il n’y ait aucune logique dans ses actes, que ni le spectateur ni le rival vengeur, joué par Lee Byung-hun, ne devaient appréhender ses réactions. Je n’ai fait que l’observer et voir comment il pouvait utiliser son énergie. Face à luit je voulais trouver un acteur plus froid qui avait également cette intelligence du détail et cette habileté de corps. Quand je les ai réunis, ça donnait
l’acteur de Old Boy contre celui de Bittersweet life Ironiquement, je trouvais intéressant de voir ce qu’il pouvait découler de cet affrontement.Et Choi Min-Sik de ressembler à Robert de Niro chez Scorsese :
C’est volontaire/ Son visage a pourri, devenant presque malgré lui une œuvre d’art, une vraie métamorphose ! Il avait pris du poids, ses rides étaient plus marquées, plus profondes et je voyais que même quand il était inexpressif, on avait déjà une Interprétation. En le voyant je me suis demandé comment je pouvais mettre en valeur son visage. Plusieurs optons s’imposaient à moi : lui laisser complètement la tête ou pas? Finalement, les cheveux mi-longs et en arrière, ça lui donnait déjà cet aspect inquiétant et cette impression de voir un mélange de Robert de Niro dans Raging bull et Les nerfs à vif.
Kim Jee-Woon s’avouait déçu par les films de vengeance qu’il trouvait toujours tièdes, moralisateurs, avec parfois des happy-end déplacés. Pour J’ai rencontré le diable, il adoptait le point de vue de l’agent secret qui vengeait sa copine assassinée, en imaginant ce qu’il aurait fait à sa place. Le traitement était tripal pour cette raison: il filmait un fantasme collectif tabou comme un drame humain - Dans la vie de tous les jours, n’importe quel être humain pouvait éprouver des sentiments de haine et des envies de meurtre, et le film montrait à l’écran ce qui passait par la tête dans ces moments-là. D’ordinaire, C’était le bien contre le mal. Ici, c’était le mal contre le mal. Au jeu du chat et de la souris, les deux hommes allaient se révéler deux monstres qui n’avaient Plus rien à perdre. Ainsi, même chez les diables, il y avait une hiérarchie et il y en avait toujours un qui sort victorieux. Des hyènes sauvages, comme on en voit parfois dans les documentaires animaliers tard devant sa télévision. Ainsi, contrairement à un film comme Heat, l’agent secret et le tueur en série n’incarnent pas distinctement le bien et le mal, la vertu et le désordre, mais le mal contre le mal dans une société dépravée où chaque coréen cachait un serial-killer potentiel. Mention spéciale au meilleur ami dégénéré du tueur qui séquestre des femmes dans sa cave pour les parquer comme des bêtes. Et mention spéciale bis à la scène du taxi, que l’on ne révélera pas à ceux qui ne l’ont pas vu. De la même façon que l’on ne parlera pas la fin, sèche et si triste.
Conscient de diriger deux bombes d’acteurs, Kim Jee-Woon faisait monter la pression en ménageant des surprises percutantes avec une puissance et une précision qu’il n’avait encore jamais atteintes et en utilisant des combinaisons visuelles (des jeux de raccords, de lumière, de composition des plans) jamais gratuites. Pour sûr J’ai rencontré le diable n’était pas à mettre devant tous les yeux, mais il appartenait à ces joyaux impurs, composés d’une main de maître et proches de la transfiguration morbide, qui dessinaient les contours d’un drame humain et dépassaient en plaisir tout ce qu’on pouvait imaginer. Tel quel, le film reste d’une telle puissance qu’il a enterré la concurrence. Après J’ai rencontré le diable, les matins n’ont plus jamais été calmes en Corée.
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C’est très simple, une grosse claque dans la gueule que je me suis pris la première fois que je l’ai vu. Il faut préférer bien sur la version la moins censurée qui à quelques plans bien senti (notamment dans la baraque du pote boucher aves sa gonzesse).
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Moi aussi, c’est lui qui m’a conseillé de m’inscrire ici!
Pardon pour ce HS
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@Violence pourquoi ils saignent toujours des nanas, des frustrés peut-être? réalisateur compris.
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@michmich a dit dans [Memories] J'ai rencontré le diable :
@Violence pourquoi ils saignent toujours des nanas, des frustrés peut-être? réalisateur compris.
Étrange que cela…
Non je ne penses pas sinon énormément de réalisateurs seraient des frustrés dont beaucoup ultra connus. Après, il peut sûrement il y en avoir dans le lot c’est possible et mathématique mais ce n’est absolument pas une généralité à mon avis.
Idem pour le spectateur…
La plupart des serial killers s’attaquent plutôt aux femmes car eux oui sont frustrés ou pervers en effet…
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moi le diable, je l’ai épousé !!!
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@Violence tu as surement raison, mais j’avoue désespérer de voir qu’il n’y a plus que les effusions de sang qui semble intéresser le cinéma d’auteur asiatique (auquel j’y connais rien) mais en suivant les divers topics dédiés que tu animes, j’ai l’impression que le ce cinéma tourne en rond autour d’une immense flaque de sang.
Moi c’est pas mon truc, mais je décrie pas le genre, mais ce qui m’interroge, c’est l’impression qu’il n’y a plus que ça qui domine le marché du cinéma asiatique, et je trouve cela dommage qu’ils n’exploitent pas le reste, sans aller jusqu’aux niaiseries actuelles du cinéma idéologiquement engagé de l’occident.
Ils en ont très certainement le talent, et on pourrait avoir d’excellentes surprises.
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@michmich a dit dans [Memories] J'ai rencontré le diable :
Moi c’est pas mon truc, mais je décrie pas le genre, mais ce qui m’interroge, c’est l’impression qu’il n’y a plus que ça qui domine le marché du cinéma asiatique
Oh que non @michmich détrompe toi. Le cinéma asiatique est très, très vaste…
Beaucoup d’action, de thrillers, de polars, de comédies, de science fiction, de films d’animation et j’en passe.
Je trouve d’ailleurs le cinéma Asiatique bien plus intéressant et vaste que celui occidental a bien des égards…
C’est juste que les films de genre et moi c’est une grande histoire d’amour…
Et ce film est un perle rare à ne pas louper pour ceux qui aiment.
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@Violence courage, tu vas y arriver et merci à toi.
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Après dans la section ciné, il n’y as pas que du film de genre @michmich
Même si il y en a pas mal…
Le topic sur Decision to leave est un bon exemple de bon film asiatique récent.
Ce n’est pas une comédie mais c’est un très bon thriller sur fond de romance avec une fin bouleversante à souhait.
Je ne peux que te le conseiller.
https://planete-warez.net/topic/1978/critique-decision-to-leave-park-chan-wook?_=1724018418206
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@Violence pas de romance (pas mon genre non plus) le thriller je déteste pas, mais mon truc c’est le comique déjanté à la Dupontel (9 mois fermes) ou à la Kusturica (chat noir, chat blanc).
Je suis un peu HS du topic initial, ooops
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@michmich a dit dans [Memories] J'ai rencontré le diable :
pas de romance (pas mon genre non plus) le thriller je déteste pas,
Et ba moi non plus pour la romance mais pourtant je te le conseille fortement.
De plus c’est Park chan wook à la barre qui est loin d’être n’importe qui…
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en plus je l’ai encodé