[Critique] Vincent doit mourir : Quoi ma gueule ?
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Avant que le gouleyant Vermines de Sébastien Vanicek ne vienne clore une année marquée par des propositions fantastiques françaises aux personnalités affirmées, le premier long-métrage de Stéphane Castang,* Vincent doit mourir, vient tester les vertus de la sortie de route. À la fois les deux pieds ancrés dans son époque et l’envie, chevillée au corps tuméfié, de s’en échapper par tous les moyens possibles.
Vincent passe l’essentiel de ses journées dans l’open space d’une boîte de graphisme, avec son ex et des collègues gentiment déphasés. Il planche sur des projets pas franchement engageants, cultive une éthique professionnelle passive-agressive, se déplace à vélo, alimente ses réseaux sociaux. Vincent est un pur produit de son temps, vaguement content de lui, petit cador à mi-chemin de l’échelle sociale. Dès la cinquième minute de film, le vernis craque. Un jeune stagiaire, dont la relation avec Vincent se résume à une blague nulle de ce dernier, se plante devant lui, ne le quitte pas des yeux, puis tente de lui encastrer un ordinateur portable dans le crâne. Quelques jours après, un comptable de la boîte lui plante un stylo dans la main à de multiples reprises, à la suite d’un simple échange de regards. Une absurde scène de déposition plus tard, il est fortement suggéré à Vincent de bosser à domicile. Le phénomène ne cesse pas pour autant. Des inconnus dans la rue, des voisins, des adultes, des enfants s’en prennent à lui, de façon totalement aléatoire.
C’est à la fois le plus grand compliment et la principale réserve à adresser au film de Stéphan Castang : impossible de savoir où il nous mène. Vincent doit mourir navigue à vue, entre rire franc, rire nerveux et effroi. La première interprétation allégorique à venir en tête serait la transposition cinématographique, à la fois sidérante et admirablement désordonnée, d’un emballement collectif sur Twitter ou d’un haro médiatique sur le bouc émissaire du jour. La violence surgit n’importe où, n’importe quand, sans plan de bataille. Les coups font mal, la menace s’incarne physiquement dans la chair de son protagoniste et celle de ses assaillants. Faute d’arriver à comprendre ce qui se passe, vient le temps de l’adaptation.
– Margaux (Vimala Pons) en compagnie d’une belle trouvaille scénaristique nommée SultanVINCENT DES INNOCENTS
Le protagoniste se replie dans la maison de vacances familiale, à la campagne. Les attaques baissent en volume mais pas en intensité, tant s’en faut, avec pour point d’orgue une empoignade visqueuse dans les débordements d’une fosse septique. Arrivent alors des alliés de fortune : un clochard souffrant de la même condition, membre d’un réseau d’agressés perpétuels, et une serveuse de fast-food rural, Margaux.
Dans ce rôle, Vimala Pons s’offre une très belle variation de son éternel rôle de « Manic Pixie Dream Girl » du cinéma d’auteur français, grande prêtresse révélatrice de pierrots lunaires paumés. La comédienne a le don de s’emparer de ces rôles fonctionnels pour leur donner de la substance ; son irruption à mi-parcours entraîne à elle seule le film sur d’autres rails, jusqu’à ce que les différents récits se contaminent les uns les autres, pour en revenir encore et toujours au chaos. Vincent doit mourir bascule du jour à la nuit, de la ville à la campagne, de la comédie romantique au thriller paranoïaque, le tout rythmé par ce thème musical hypnotique de John Kaced, à la fois sirène d’alarme et montée électronique augmentant le rythme cardiaque sournoisement, sans qu’on y prenne garde.
Le scénario se cogne à une multiplicité de genres, leur fout un gnon et passe au suivant, tout en construisant en sourdine un univers en pleine mutation. Dans une économie de moyens ne trahissant jamais ses limites, Vincent doit mourir a l’ambition joyeuse, les morceaux de bravoure dépenaillés. Les membres de l’équipe sont visibles à l’écran le temps d’une apparition furibarde, à l’invitation d’un réalisateur soucieux de leur rendre hommage avec malice. Il y a, dans chaque scène, cette volonté euphorisante de secouer les attentes avec l’énergie d’un sale gosse. Tout s’effondre autour de nous, mais est-ce une raison suffisante pour ne pas continuer à boire des coups, s’envoyer en l’air, refaire sa vie dans les marges ? Bien sûr que non.
– Un combat en fosse septique et d’un déchainement de violence autoroutier pour deux morceaux de bravoure.VINCENT DU CHÂTIMENT
La base du projet repose sur cette idée de Mathieu Naert, brillante, de transformation d’un personnage lambda en punching-ball de toute la société humaine environnante. Il y a, dans un second temps, sa réinterprétation par le tonitruant Stéphan Castang, son enthousiasme contagieux, son goût pour le petit doigt d’honneur en fin de valse. Et pour donner chair à ces visions entremêlées, vient enfin l’incarnation fiévreuse du gigantesque Karim Leklou, l’antihéros dont la France a besoin. Depuis Le monde est à toi de Romain Gavras en 2018, le jeu du comédien n’a fait que monter en puissance au fil de projets à même de révéler l’amplitude de son talent. Saisissant dans Un monde de Laura Wandel, bluffant dans la série Hippocrate de Thomas Lilti, au-delà des mots dans Goutte d’or de Clément Cogitore, digne dans BAC Nord (c’est dire), il donne l’impression de pouvoir tout faire, d’être à la fois le nouveau Michel Serrault, le nouveau Jacques Villeret et le nouveau Patrick Dewaere.
Il pourrait décrocher le rôle de James Bond après un petit détour par Bollywood, devenir le love interest de Charlize Theron ET celui de Jason Statham dans les prochains Fast & Furious sans que quiconque n’y trouve à redire. Dans Vincent doit mourir, il caractérise la médiocrité ordinaire de son personnage en quelques plans, et manipule tout au long du film notre empathie comme une harpe aux cordes en intestins de politiciens centristes. Il rend tangible une situation invraisemblable par ses réactions à la fois ad hoc et inappropriées, fait avaler des dizaines de couleuvres d’affilée avec un sourire béat. Sa romance maladroite avec Vimala Pons éclipse 99 % des comédies romantiques françaises, américaines et anglaises des quinze dernières années. Son regard condense toutes les émotions et frustrations accumulées et refoulées depuis le premier confinement.
Il bouffe l’écran sans jamais éclipser ses partenaires de jeu, porte le film sur ses épaules puis le laisse tomber dans une flaque pour nous faire sourire. Pour sa performance et pour la somme de ses nombreuses qualités, Vincent doit mourir mérite estime et louange. Grâce soit rendue à son exploration d’un ailleurs cinématographique foutraque, sensoriel et évocateur, à même de le ranger aux côtés d’œuvres-mondes mal-aimées comme Jacky au royaume des filles de Riad Sattouf ou Paradis pour tous d’Alain Jessua. Karim Leklou président, Vimala Pons Première ministre, Stéphan Castang grand chambellan.
– Par François CAU
– Mad Movies #376–> Hâte de voir ce film.
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Je l’ai enfin vu ce Vincent doit mourir et je reste assez partagé car le film est assez inégal mais il y a de super trouvailles dedans : le film est malaisant par son contexte, l’idée avec Sultan est super, de très belles scènes comme celle de l’autoroute et du combat en fosse sceptique, une belle romance (la scène avec les menottes dans le bateau est très drôle)
Mention spéciale pour Vimala Pons (qui était déjà super dans Les garçons sauvages de Mandico) que j’ai trouvée encore une fois, très bien dans ce film.
Pour contre balancer cela, pas mal d’erreurs liés à un premier long comme le manque de rythme, certaisn cadrage ou un manque d’explications scénaristiques (quoi que personne n’a hurlé que Romero n’avais donné aucune (ou très peu) d’explications formelles à sa Nuit des morts vivants…).
Il y a du bon et du moins bon, c’est pas un film de folie, loin de là, mais l’essai est à souligner vu le contexte du paysage du cinéma français actuel.