«On va extraire autant de métaux dans les trente prochaines années que ce que l’humanité a extrait jusqu’à présent»
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La géologue Marieke Van Lichtervelde alerte sur les dégâts environnementaux causés par l’industrie minière nécessaire au monde numérique.
Si l’intelligence artificielle nous projette dans le monde numérique, Marieke Van Lichtervelde, géologue, chargée de recherche à l’Institut de recherche pour le développement, a les pieds sur terre. Elle sillonne l’Afrique de l’Ouest pour y observer les mines. Ces mines dont on extrait les métaux nécessaires à toute vie numérique. Elle alerte contre l’«explosion des besoins en métaux» et les dégâts environnementaux qui en découlent. Il reste des filons à exploiter, mais à quel prix ?
En tant que géologue, vous alertez sur le danger à lier la transition écologique et la transition numérique, pourquoi ?
Ce discours se heurte à un problème majeur : l’explosion des besoins en métaux. C’est l’éléphant au milieu du couloir. Un éléphant tellement gros que personne n’a réalisé à quel point il va être un frein au développement du numérique. Le besoin en métaux va être multiplié par cinq d’ici à 2050. On va extraire autant de métaux dans les trente prochaines années que ce que l’humanité a extrait jusqu’à présent. C’est vertigineux.
Dispose-t-on d’assez de ressources pour faire face à une telle demande ?
Pour la plupart des métaux, on n’a pas vraiment de problèmes de réserves. La principale question reste d’arriver à extraire des minerais dont la concentration est de plus en plus faible. Pour le cuivre, par exemple, la croûte terrestre nous a fourni un certain nombre de gisements très concentrés mais ils sont pour la plupart épuisés et on n’en découvre plus de nouveau. On se tourne donc vers des réserves moins facilement exploitables, avec plus d’impacts écologiques…
Quel est l’impact écologique d’une mine ?
C’est un champ d’études largement sous-documenté. On connaît le facteur d’émission de gaz carbonique pour 1 kilo de métal produit. Mais les autres effets (utilisation de l’eau, destruction des écosystèmes, pollution des sols et des eaux, etc.) ne sont pas connus. Ils existent pourtant. L’extraction se passe en trois étapes. D’abord on casse la roche. Dans le cas d’une mine à ciel ouvert, cela détruit un écosystème ou des terres arables et cela émet du dioxyde de carbone en raison des machines utilisées. Mais cette roche ne contient qu’une petite fraction, moins de 1 %, du métal souhaité. Il faut arriver à une concentration du minerai proche de 50 % avant de l’envoyer à l’usine d’extraction. Pour ce faire, on va utiliser de l’eau douce. Ensuite, si l’extraction du lithium ou du tantale utilise peu de produits chimiques, celle de l’or, du cuivre ou du zinc, est plus délicate. Ils sont souvent mélangés à des métaux lourds comme l’arsenic qui sont très polluants. Enfin, le minerai est envoyé dans une usine de raffinage qui va extraire le métal voulu. Pour la plupart des métaux, le traitement utilise de l’acide, et pour les terres rares, ce sont de grosses quantités d’acide qui sont utilisées. Si les rejets de l’usine ne sont pas réglementés, l’environnement local est très lourdement affecté.
Est-ce que la récupération et le recyclage ne seraient pas une solution ?
J’ai vu passer beaucoup de projets en ce sens, mais force est de constater, que, aujourd’hui, le taux de recyclage des matériaux de haute technologie reste moins que 1 %. Le cuivre est mieux recyclé mais il est aussi immobilisé dans des infrastructures comme les milliers de câbles sous-marins qui sillonnent le monde. Pour les autres métaux, ils sont souvent mélangés entre eux en très petite quantité. Les séparer nécessiterait de l’énergie et des développements techniques conséquents.
Le progrès technologique dans le numérique est particulièrement rapide. Miniaturisation, efficacité énergétique, etc. Ce progrès ne peut-il compenser la hausse des usages ?
Le progrès technologique n’est pas exponentiel. Lui aussi atteint des limites physiques. On aura toujours besoin d’énergie et de métaux. Continuer sur nos modes de vie actuels en se disant qu’on va tout simplement passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables est illusoire. Les mines sont la face cachée de la numérisation. On voit bien quand un projet arrive en France, qu’on ne veut pas les avoir près de chez soi. Notre mode de vie les rend pourtant incontournables. La solution passe par une moindre croissance de la demande et, donc, une sobriété d’usage.
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Quand on dit qu’il nous reste 100 ans max à vivre sur cette planète , ca se précise de jours en jours.