[Rencontre] Ari Aster - Un indépendant à Paris
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Devenu en seulement deux films: Hérédité et Midsommar l’un des réalisateurs les plus hypes du cinéma indépendant américain, Ari Aster est actuellement en train de fignoler le montage de son dernier effort, le très attendu Disappointment Blvd. Nous avons profité de son passage au Champs-Elysées Film Festival pour évoquer avec lui son approche du 7ème art, ses travaux de jeunesse et ses relations avec la firme A24 qui le suit depuis ses débuts.
Lors d’un Q&A, vous avez évoqué la terreur suscitée par la vision, durant votre jeunesse, d’Oz : un monde extraordinaire (Walter Murch, 1985), une production Disney. La preuve que la peur à l’écran est avant tout une affaire de pouvoir d’évocation…
Quand j’étais gosse, j’adorais les films d’horreur. C’est toujours le cas, d’ailleurs : s’il y en a un bon qui sort au cinéma, je suis le premier à prendre mon ticket. Après, même s’il est toujours galvanisant de découvrir la nouvelle sensation horrifique du moment, je ne suis pas comme certains de mes amis qui regardent absolument tout ce qui sort dans le genre. Il en faut plus pour me donner vraiment envie de découvrir un film d’horreur, car je ne suis pas très fan de la plupart des productions actuelles, qui suivent trop souvent une formule préétablie ou se complaisent dans le cynisme.
On sent que c’est un genre où la machine est trop bien rodée… Beaucoup de réalisateurs l’envisagent uniquement comme une marche - ce qui n’est pas un crime en soi, bien sûr — qui leur permettra d’accéder au niveau « supérieur ». Il leur suffit de dire : « Mon film, c’est la rencontre entre machin et truc » pour attirer l’attention. Mais je trouve que c’est une manière très pompeuse de raconter des histoires. Cela dit, ce n’est pas uniquement l’apanage des films d’horreur, car cette façon de procéder se retrouve partout à Hollywood, où les films sont souvent conçus par ce qu’on appelle des « comités ».
Votre démarche est plutôt risquée : des films comme Hérédité ou Midsommar ne sont pas assez extrême pour contenter les fans de gore mais trop déviants pour le grand public. Votre singularité pourrait-elle être votre limite ?
Certains de mes amis n’ont jamais vu aucun de mes longs-métrages, tout simplement parce qu’ils détestent les films d’horreur. C’est drôle car j’ai tenu des propos sur le cinéma horrifique (durant la master class au CEFF - NDR) dont je ne pensais pas qu’ils pouvaient prêter le flanc à la controverse, mais que certains fans ont assez mal pris. Je crois qu’ils ne m’aiment pas beaucoup, qu’ils pensent que je suis un snob, que je renie le genre. Pourtant, il y a beaucoup de films d’horreur parmi mes œuvres préférées. Et puis, je formule plus une critique à l’encontre du système qu’à l’encontre du genre en lui-même.
Selon vous, ce que je fais est risqué, mais moi, ça me paraît normal. Un artiste ne fait que donner corps à des choses qui lui viennent naturellement. Je n’ai vraiment aucune stratégie, je me contente de réaliser les films que j’ai envie de faire. Au bout du compte, c’est ma sensibilité qui parle. Heureusement qu’il y a un public pour le cinéma horrifique, car c’est ce qui me permet de tourner avec des budgets relativement confortables. J’ai également eu beaucoup de chance de pouvoir collaborer avec les gens de A24, qui m’ont permis de concrétiser mes projets. D’autant qu’au départ, je n’étais vraiment pas sûr qu’il existait un public pour ce que j’avais envie de faire. Mais il se trouve que c’est le cas. Mes films sont finalement plus commerciaux que je ne le pensais, c’est dingue ! Mais bon, on verra si ce sera toujours le cas avec mon prochain long-métrage.
Votre travail est en effet suivi et scruté par de nombreux cinéphiles, et vos films suscitent souvent des discussions passionnées sur Internet. Il y a d’ailleurs pas mal de spéculations sur votre prochain long, Disappointment Blvd, dont certains se demandent s’il ne s’agirait pas d’une réactualisation du scénario Beau is Coming que vous avez écrit en 2014.
Ça me fait vraiment plaisir que les gens parlent autant de mon travail, même si je dois avouer que c’est aussi un peu bizarre ! (rires)
Votre style a beaucoup évolué depuis l’époque de vos premiers courts-métrages. Certains affichent un humour noir encore plus prégnant que dans Hérédité **et Midsommar, et on peut se demander si votre prochain effort ne va pas adhérer à cet état d’esprit un peu gonzo…
Oui, mon prochain film se rapprochera sans doute un peu plus de la sensibilité de mes courts, notamment au niveau de l’humour. Cela dit, je pense que Hérédité et Midsommar sont parfois très caustiques.
En effet, mais nous faisions surtout référence au style un peu plus âpre de votre court Beau (2011), qui fait preuve d’une simplicité et d’une énergie héritées du cinéma-vérité. Ce qui ne l’empêche pas d’être très soigné, surtout au vu des maigres moyens dont vous disposiez.
Je peux vous confirmer qu’il a été tourné pour pas grand-chose ! On devait être trois dans l’équipe et on l’a tourné dans mon appartement, juste avant que je déménage. Je pense que Beau était surtout pour moi un galop d’essai, un entraînement, notamment sur la notion de tempo. Ce n’est sûrement pas un très bon film, mais le but était avant tout de m’exercer.
Mais cela fonctionne. On est vraiment happé par l’histoire, preuve que l’aspect technique passe toujours au second plan lorsque la narration et l’interprétation sont réussies.
Beau était vraiment une expérimentation. Je ne le considère pas vraiment comme un membre à part entière de ma filmographie, car j’essayais alors de trouver ma voie tout en m’amusant un peu. C’est toujours difficile pour moi de parler de mes courts. Quand on est jeune, on balance ses travaux sur Internet sans penser au fait que ceux-ci resteront « éternellement » visibles aux yeux du monde. Impossible de les faire disparaître désormais, ce n’est plus de mon ressort. J’ai l’impression que ces courts ont été réalisés par une autre personne, même s’il est parfois intéressant de les revoir afin de comprendre mon évolution et mes erreurs.
Étant un enfant des années 1980, vous devez probablement être très attaché à l’expérience de la salle. Est-il important pour vous de savoir que vos films seront diffusés au cinéma, et non pas directement en VOD ?
Si je n’en étais pas certain, je n’aurais sans doute pas autant envie de les faire ! Pour être honnête, je n’aime pas regarder les films chez moi. Je veux être prisonnier d’une histoire, ne pas pouvoir appuyer sur le bouton « pause »… Quitte à passer pour un vieux grincheux, je trouve dommage que les choses évoluent ainsi, que tout soit trop facilement accessible. Après, ce qui doit arriver arrive. C’est la vie… Mais je ne pense pas que les cinémas finiront par disparaître, il y aura toujours des salles d’Art & Essai, même s’il faut reconnaître qu’il y a de moins en moins de place pour les productions indépendantes, ce qui m’attriste.
En fait, le plus préoccupant, c’est de voir la dichotomie entre les longs-métrages à gros budget et ceux qui ne rapportent pas grand-chose. Je suis bien sûr content que les gens aillent au cinéma, mais personnellement, ce genre de films ne m’intéresse pas. En même temps, on vit une époque où des gens défendent une entreprise comme Marvel au détriment d’un artiste comme Martin Scorsese, alors que ça devrait plutôt être l’inverse…
Paradoxalement, les gros studios viennent souvent courtiser les réalisateurs indépendants comme vous afin de leur confier leurs blockbusters. Vous devez certainement avoir été approché…
Oui, on m’a proposé plusieurs blockbusters. Mais je ne connaissais même pas les franchises en question, c’est vous dire à quel point ça ne m’intéresse pas… Tant que je pourrai refuser ce genre de films, je le ferai, car je n’arrive même pas à imaginer dans quel contexte il me serait possible de me fondre dans ce système. Si les producteurs tiennent à s’attacher les services de jeunes cinéastes pour les mettre à la tête de productions dotées d’énormes budgets, c’est pour avoir le contrôle sur le projet.
Ils veulent être sûrs que les cinéastes qui travaillent pour eux resteront dans les clous, car il s’agit avant tout de protéger une franchise, une marque, et il est plus facile d’avoir l’ascendant sur un jeune réalisateur dénué d’expérience. Dans ce genre de situations, ces cinéastes se font souvent écraser et, au bout du compte, tous ces films finissent par se ressembler au point de paraître interchangeables.
C’est plutôt ironique d’aller chercher des cinéastes au tempérament affirmé issus du milieu indépendant, au lieu de puiser directement dans le vivier des réalisateurs de pubs ou de clips…
Oh, ce dernier cas de figure arrive aussi, je vous assure. Mais je pense que si les producteurs se tournent volontiers vers des cinéastes issus de festivals prisés comme Sundance, c’est parce qu’ils pensent pouvoir mettre la main sur quelqu’un de compétent, qui sait cadrer et diriger des comédiens. Mais en même temps, je peux comprendre que certains ne résistent pas à l’appel, car il est très difficile de réussir dans ce métier. À ce titre, j’ai beaucoup de chance de pouvoir faire les films que j’aime et qu’ils soient distribués à une telle échelle. J’occupe une position enviable, je m’en rends compte.
En effet, vous êtes plutôt bien entouré chez A24 , une compagnie de production et de distribution qui travaille avec des cinéastes à forte personnalité comme Robert Eggers ou David Lowery. Il semble y avoir une sorte de philosophie qui fait le trait d’union entre vos travaux respectifs…
A24 s’est en effet constitué une belle équipe en soutenant des cinéastes vraiment intéressants. C’est leur marque de fabrique. En cela, on pourrait en quelque sorte les rapprocher de la United Artists des années 1970, ce qui me réjouit, car tous les cinéastes que je considère comme mes maîtres sont issus de cette période. Les réalisateurs de ma génération idolâtrent les seventies, et A24 est le studio qui se rapproche le plus de cette mentalité.
Espérons qu’ils n’auront pas les yeux plus gros que le ventre et ne subiront pas le même sort que United Artists, qui a connu la banqueroute après avoir financé La Porte du paradis de Michael Cimino.
On verra jusqu’où ils iront. Mais j’espère qu’ils réussiront à conserver ce je-ne-sais-quoi qui les rend si spéciaux. C’est clairement un défi, car ils sont actuellement en train de monter en puissance.
Quoi qu’il en soit, c’est un endroit formidable pour faire des films et je leur suis reconnaissant de s’être associés à moi.En tant qu’adorateur du cinéma des années 1970, vous devez faire partie de ceux qui regrettent la disparition du 35 mm, non ? Même si vous avez tourné Hérédité et Midsommar en numérique…
J’adore le 35 mm et j’essaye au maximum de m’’en rapprocher en termes de rendu. Toutefois, travailler sur support numérique me satisfait pleinement, notamment pour le confort qu’apporte le processus lors du tournage. Bien sûr, j’adorerais shooter en pellicule, mais pour le moment, le numérique reste l’option la plus raisonnable. En revanche, assister au déclin d’une société comme Kodak m’attriste profondément, et je déplore que de nombreux cinéastes férus d’argentique ne puissent plus travailler en 35 mm. Peut-être tournerai-je mon film suivant sur pellicule… Et si je reconnais que le numérique est vraiment un outil formidable, son avènement ne devrait pas pour autant signer l’arrêt de mort du 35 mm.
L’un des problèmes du numérique, c’est que de nombreux chefs-opérateurs se reposent sur la postproduction pour définir le style du film, ce qui était quasiment impossible en pellicule. Désormais, il suffit de tourner avec un rendu « aplati » pour pouvoir modifier à loisir le rendu lors de l’étalonnage…
C’est quelque chose que moi et mes équipes refusons absolument de faire : nous ne cherchons jamais à trouver le style du film en postproduction, mais bien lors du tournage, afin d’obtenir le look exact que nous désirons.
Aujourd’hui, nous avons la chance de pouvoir découvrir de très nombreux films dans de magnifiques copies HD, mais on peut dans le même temps regretter de ne plus avoir la possibilité de flâner des heures dans les rayons d’un vidéoclub. C’était tout de même plus stimulant que de parcourir chez soi le catalogue d’un site de VOD…
Oui, c’est dommage en effet. Je me souviens que j’allais au vidéoclub tous les vendredis afin de choisir ce que j’allais regarder durant le week-end. C’était tellement excitant. Parfois, je commandais des films et il me fallait attendre des mois avant de les recevoir. Quelque part, cela permettait de sacraliser l’expérience, car certains titres étaient très difficiles à trouver. Mais aujourd’hui, tout est disponible dans la seconde. En soi, c’est plutôt cool : si j’avais eu la chaîne Criterion quand j’étais jeune, je suis sûr que j’en aurais bien profité. Mais il est sûr que l’expérience n’aurait pas été aussi unique…!
Propos recueillis par Jean-Baptiste HERMENT
Merci à Jérémie CHARRIER -
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« Disappointment Blvd. » toujours en post-production, selon Ari Aster.
Sophie Dulac, la queen fondatrice du Champs-Élysées Film Festival, avait prévenu juste avant la masterclass de Ari Aster lors dudit festival: aucune question sur son nouveau long métrage Disappointment Blvd.!
Consigne reçue cinq sur cinq et respectée par les nombreux thuriféraires du réalisateur de Hérédité et Midsommar. Mais la question n’en demeurait pas moins dans toutes les têtes: que devient ce film avec Joaquin Phoenix, alimentant déjà diverses rumeurs fofolles (montage de 4 heures etc.)? Un début de réponse « officielle » se trouve dans un entretien au JDD:
« Il n’est pas achevé! », confie-t-il. « Je suis perfectionniste, je prends très à cœur le processus de fabrication en entier, En dépit des restrictions de temps et d’argent. C’est bien aussi de préserver le mystère. En réalité, la post-production n’est pas terminée, je n’ai même pas le montage définitif, Il me reste du travail sur le son et les effets visuels. Je doute avoir fini pour les festivals de septembre. Mais je peux vous avouer que collaborer avec Joaquin Phoenix est l’une des meilleures expériences de ma vie. Je suis très fier de sa performance et je l’aime de tout mon cœur. »
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Changement de nom pour le très attendu Disappointment Blvd
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