Un expert de l’ONU rédige un dossier complet sur Julian Assange : « Journalistes, ceci vous concerne »
-
Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, avait refusé de rendre visite à Julian Assange avant 2019. Il était totalement d’accord avec la version des médias, jusqu’à ce qu’il commence à y regarder de plus près, à lire les rapports et rende visite à Assange. Trois ans plus tard, il écrit « The Trial of Julian Assange – A Story of Persecution », un appel urgent à tous les journalistes. « Ce qui arrive à Assange vous concerne tous ».
Nils Melzer est un universitaire de renom, spécialisé dans le droit international, professeur à l’Université de Glasgow et à l’Académie de Droit International Humanitaire de Genève. Il a publié plusieurs ouvrages concernant ces matières.
Depuis 2016, il est rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, ce qui lui confère le mandat d’enquêter et de faire rapport à l’ONU à la suite de plaintes déposées par des particuliers et des organisations concernant des pratiques de torture dans tous les États membres de l’ONU. Les États membres des Nations Unies sont tenus de l’aider dans ses investigations.
Un Suisse qui parle aussi suédois…
Le citoyen suisse Nils Melzer est fils d’un père suisse et d’une mère suédoise, d’où son prénom suédois. Ce dernier détail familial va le conduire en 2019 à quelque chose qu’il n’aurait pu envisager trois ans plus tôt. Il avait rejeté pendant plusieurs années les demandes des avocats de Julian Assange d’enquêter sur son cas. Ils avaient fait valoir que les poursuites étaient politiques et que ses conditions de détention équivalaient à de la torture.
Il n’en avait pas cru un mot. La Grande-Bretagne et la Suède sont des démocraties solides, où les pratiques de torture n’existent pas, selon M. Melzer. En outre, M. Melzer était totalement d’accord avec la version médiatique selon laquelle Assange essayait simplement d’échapper à une condamnation pour le viol de deux Suédoises.
Au printemps 2019, il est contacté pour une énième fois et, pour se débarrasser de cette demande, il décide de rendre visite à Julian Assange à la prison de Belmarsh à Londres. Avant d’abandonner l’affaire, il décide de prendre également le temps de parcourir les rapports et les documents de la cour suédoise.
Il se trouve qu’il parle couramment le suédois, ce qui n’est pas habituel pour un universitaire suisse, expert en droit international. Ce qu’il a lu l’a stupéfié. Il était face à un abus de procédures légales pour détenir une personne sans motif d’accusation.
Trois ans plus tard, après de nombreuses visites à Assange et discussions avec ses avocats, après des dizaines de lettres aux autorités britanniques, suédoises, australiennes (Assange est australien), équatoriennes et étasuniennes, ne voyant aucun autre moyen, il a fait ce qu’il n’avait jamais fait auparavant pour aucune autre enquête : il a consigné l’intégralité du dossier dans un livre.
C’est le dossier complet
A ceux pour qui l’affaire n’est pas claire ou qui n’ont ni le temps ni l’envie de creuser les détails de l’affaire Julian Asange, ce livre offre une réponse toute prête. Toute personne qui lira The Trial of Julian Assange – A Story of Persecution sera pleinement informée de son cas jusqu’aux événements les plus récents, en janvier 2022.
Tout journaliste qui prétend aujourd’hui ne pas avoir eu le temps d’étudier son cas n’a plus d’excuse. Tout est là. Quelques heures de lecture avec un feutre à la main suffisent, la base du travail journalistique.
Depuis la juge d’instruction suédoise qui refuse à plusieurs reprises d’interroger Assange en Suède, jusqu’à ce qu’il parte pour la Grande-Bretagne, et qui rédige du coup un mandat d’arrêt « parce qu’il veut échapper à la justice », jusqu’aux circonstances dans lesquelles on l’empêche à la prison de Belmarsh de préparer sa défense et de suivre le processus de son extradition .
Dans quel but ? Pour Nils Melzer, il n’y a aucun doute : chaque interrogatoire conduira au classement sans suite. En ne l’interrogeant pas alors qu’il est encore en Suède, la juge a pu continuer à faire traîner l’affaire – ce qui a admirablement réussi. Le livre se termine juste avant la dernière décision de la Haute Cour britannique.
Melzer résume ainsi son livre : Bien que les crimes et le comportement arbitraire de tous les gouvernements impliqués soient devenus de plus en plus flagrants et évidents au cours de la dernière décennie, la véritable dimension de son cas a été presque totalement ignorée par les autres gouvernements, par les grands médias et par l’opinion publique.
Au contraire, le récit officiel a été docilement intégré, répété et maintenu : Assange, le violeur, le pirate informatique, l’espion et le narcissique lâche, qui a le sang d’innocents sur les mains, comparaît enfin devant un tribunal. Ici aussi, comme dans l’histoire des habits neufs de l’empereur, il fallait que quelqu’un vienne jeter un regard neuf et objectif sur tout cela et rompe le charme : « Regardez, l’empereur est nu ». Ceci, cher lecteur, est le but de ce livre.
Ce livre est pour DeWereldMorgen.be une confirmation générale de tous les articles publiés dans leur dossier sur Julian Assange. Cependant, vous, lecteurs, n’êtes pas obligés d’accepter cela comme une preuve. Lisez ce livre et jugez par vous-même. Pour l’instant, il n’existe pas de traduction en néerlandais du livre. Cependant, pour les journalistes qui prennent leur travail au sérieux, que ce livre soit écrit en anglais ne peut être un obstacle.
Ce n’est pas un texte scientifique ennuyeux
Nils Melzer a fait de l’anglais sa principale langue de travail depuis des décennies. Il a demandé l’aide littéraire d’un spécialiste allemand, Oliver Kobold, pour écrire une histoire facile à lire qui transformait son jargon de droit international en un texte lisible, après quoi la maison d’édition britannique Verso a fait relire l’ensemble du texte par un éditeur britannique.
Le premier chapitre résume la pertinence de WikiLeaks, expose l’hypocrisie et les mensonges diffusés en particulier par les journalistes du Guardian, après qu’un membre de la rédaction a publié dans un livre les mots de passe des fichiers de WikiLeaks. Selon le journal – encore largement suivi par la quasi-totalité des médias étrangers – c’est Assange qui l’avait fait.
La force centrale de ce livre réside cependant dans l’analyse que Melzer fait de tous les documents impliqués dans le procès suédois, non pas tant les communications avec le tribunal britannique – qui en soi donnent à réfléchir sur la manière dont les motivations politiques à l’origine de la procédure sont questionnées – mais surtout les rapports internes suédois, les enregistrements, les interrogatoires, les notes, les réunions que Melzer a lus en suédois. Depuis le premier jour, l’opération contre Assange a été une opération politique en raison de ce qu’il avait fait avec WikiLeaks et rien d’autre.
Un deuxième mensonge médiatique est l’affirmation selon laquelle WikiLeaks et Assange auraient mis en danger des vies humaines par leurs révélations. Après le procès britannique, le gouvernement américain ne peut toujours pas citer un seul cas de personne prétendument mise en danger par les révélations.
Cet échec systémique soulève les questions de la vérité, de la tromperie et de l’aveuglement, de notre propre léthargie et de notre complicité passive. Ce n’est pas une coïncidence si ce livre commence par mes propres difficultés à transcender mes préjugés personnels.
Le problème n’est pas que nous ne connaissons pas la vérité, mais plutôt que nous ne voulons pas la connaître. Le problème, c’est que nous permettons aux puissants, contre toute attente, d’enfreindre la loi sans même leur demander de rendre des comptes, que ce soit sur le plan juridique ou politique, mais que nous les louons comme de grands dirigeants et les honorons même avec des prix Nobel.
Que les médias puissent jouer un rôle positif est actuellement démontré par la manière dont la solidarité avec les réfugiés ukrainiens est soutenue et étayée, avec efficacité. Une campagne ciblée pour libérer Assange peut en effet réussir, tout d’abord en informant l’opinion publique de ce qui est fait en leur nom par leurs gouvernements. Ensuite, il est essentiel que les journalistes, individuellement, réalisent que c’est d’eux qu’il s’agit.
Il suffit que quelques journalistes aient le réflexe journalistique professionnel de faire la même démarche que Nils Melzer : « Bon, je pense que j’ai toujours raison au sujet d’Assange, mais examinons cela de plus près. »
Il n’en faut pas plus, lisez ce livre, chers collègues, et tirez vos propres conclusions.
Source : INVESTIG’ACTION
-
J’ai bien aimé ce trait de lucidité, de la part d’un membre de l’ONU, c’est osé je trouve. Barack Obama a du avoir des sifflements dans les oreilles.
Cet échec systémique soulève les questions de la vérité, de la tromperie et de l’aveuglement, de notre propre léthargie et de notre complicité passive. Ce n’est pas une coïncidence si ce livre commence par mes propres difficultés à transcender mes préjugés personnels.
Le problème n’est pas que nous ne connaissons pas la vérité, mais plutôt que nous ne voulons pas la connaître. Le problème, c’est que nous permettons aux puissants, contre toute attente, d’enfreindre la loi sans même leur demander de rendre des comptes, que ce soit sur le plan juridique ou politique, mais que nous les louons comme de grands dirigeants et les honorons même avec des prix Nobel.