Les smartphones dont nous faisons l’usage quotidien ont un impact sur l’environnement et notre vie privée. Comment construire une politique européenne d’éthique et de souveraineté numérique ?
Les smartphones sont devenus indispensables à nos vies : 2 Français sur 3 s’en servent quotidiennement, pour téléphoner, mais aussi pour s’orienter, se connecter à travers les réseaux sociaux, prendre des photos… La dernière édition du Mobile World Congress l’a encore démontré : l’heure est à la course effrénée à l’innovation technologique, sans questionnement sur les limites planétaires. Appareils photos avec un nombre de pixels toujours plus élevé (même si l’œil humain ne fait pas la différence), recharge plus rapide, modèles pliables ou déroulants : sommes-nous dans l’ère du gadget ?
Et cette surenchère a un prix : ses conséquences sur l’environnement et sur notre vie privée, entre autres. Au-delà de la performance, des fonctionnalités et du prix, quels critères devraient nous guider dans le choix de nos smartphones ? Comment redéfinir nos besoins pour nous tourner vers des appareils capables d’y répondre véritablement ?
Des smartphones de plus en plus performants… mais à quel prix ?Malgré la “course à l’échalote” du meilleur smartphone, d’autres préoccupations commencent heureusement à émerger au niveau de l’utilisateur. L’impact environnemental, d’une part : l’empreinte carbone de nos appareils, aux durées de vie toujours plus courtes, s’alourdit d’autant plus si l’on prend en compte l’ensemble des scopes, de la conception à la fin de vie en passant par l’extraction de la ressource, l’assemblage et les multiples transports. Certains constructeurs sont plus attentifs à leur chaîne de valeur, et à l’allongement de la durée de vie de l’appareil via sa réparabilité, par exemple, comme le néerlandais Fairphone, mais ils font encore office d’ovnis dans leur secteur.
Et que dire de la problématique de la protection des données personnelles ? : le sujet de leur collecte et de leur usage par des tiers, sans que l’on en ait seulement connaissance, prend de l’ampleur. À l’heure où 86% des Français souhaitent être accompagnés pour mieux protéger leurs données en ligne, l’enjeu de la souveraineté numérique devient crucial. Car au-delà du problème individuel de la fuite des données, nous faisons face à un véritable sujet de géostratégie européenne : le traçage des activités en ligne concerne tous nos supports, privés et publics, et devrait nous alerter sur l’urgence de mettre en place des outils souverains capables de garantir la confidentialité de nos échanges numériques. Et les deux sujets vont de pair : comment choisir en toute liberté un smartphone qui protège les données de l’utilisateur si l’arsenal législatif mis en place au niveau macro-étatique n’est pas à la hauteur ?
Repenser les usages ne signifie pas renoncerNous sommes à l’heure des choix. Si l’on veut enfin prendre en compte des critères écologiques et éthiques lors de l’achat de nos smartphones, des solutions existent déjà et les bénéfices sont nombreux. Le logiciel libre, d’une part, constitue une première réponse pour assurer la transparence et la sécurité des données. D’autre part, l’empreinte carbone des smartphones sera réduite si les données personnelles des utilisateurs ne sont pas tracées en permanence : cette pollution numérique (la collecte des données et son stockage dans des datacenters) est une bombe écologique, qui compte déjà pour 2,5% des émissions de GES à l’échelle nationale, selon la dernière étude ADEME-ARCEP sortie en mars 2023. Et les prévisions sont à la hausse : le poids de l’empreinte carbone du numérique en France devrait augmenter de 45% d’ici 2030, et pourrait même tripler d’ici à 2050 si des mesures de réduction ne sont pas prises dès maintenant.
Un compromis entre les performances et les critères écologiques et éthiques est évidemment possible. Il nous appartient de faire évoluer la désirabilité des offres en vue de promouvoir des modèles en adéquation avec nos besoins, et qui respectent les limites planétaires ainsi que l’homme derrière la machine. Cela ne pourra se faire sans une véritable politique coordonnée au niveau européen pour que l’éthique et la transparence deviennent les deux chantiers majeurs de la téléphonie de demain, et puissent à leur tour entraîner l’activité économique dans une logique de souveraineté numérique globale.