[Dossier] Richard Stallman : La révolution du logiciel libre et GNU
-
Vous connaissez cette sensation quand votre imprimante vous lâche au pire moment ? Eh bien en 1980, Richard Stallman a eu exactement le même problème… sauf que lui, au lieu de râler dans son coin comme nous tous, il a décidé de déclarer la guerre à toute l’industrie du logiciel propriétaire. Résultat, ça a donné GNU, Linux, et la moitié d’Internet tourne aujourd’hui grâce à ce geek barbu qui danse le folk bulgare entre deux lignes de code.
[
]
– Richard Stallman à LibrePlanet 2019 (Photo : Ruben Rodriguez, CC BY-SA 4.0)Cette histoire, c’est celle d’un type qui a transformé une galère technique en révolution mondiale. Un mec qui a préféré sacrifier sa carrière plutôt que d’accepter qu’on lui refuse l’accès au code source d’un driver d’imprimante. C’est l’un des personnages les plus fascinants et controversés de l’informatique moderne.
Alors maintenant, rembobinons jusqu’en juin 1971. Richard Stallman débarque au MIT Artificial Intelligence Lab, à peine sorti de sa première année à Harvard. Le mec a 18 ans, des cheveux longs, et une passion dévorante pour la programmation. Et devinez quoi ? Il va littéralement élire domicile officiellement dans son bureau di MIT pendant presque trois décennies, jusqu’en 1998.
C’était même son adresse de vote ! Le 545 Technology Square, bureau 433. Pendant que ses collègues rentrent chez eux le soir, Stallman reste là, à programmer sur ses PDP-10, à dormir sur son matelas posé par terre entre les terminaux, et à manger des trucs réchauffés au micro-ondes du labo. Le mec était tellement absorbé par son travail que sa mère devait l’appeler 9 ou 10 fois avant qu’il entende quoi que ce soit.
Mais bon, faut comprendre que le MIT AI Lab des années 70, c’était pas n’importe quoi. C’était l’âge d’or de la culture hacker, et j’parle pas des pirates informatiques, hein, mais des vrais hackers, ceux qui bidouillent pour le plaisir de comprendre et d’améliorer les choses. Le labo utilisait ITS (Incompatible Timesharing System), un système d’exploitation développé en interne où tout était ouvert, transparent, modifiable et c’est sur ça que Stallman fait ses armes.
Il bosse sur TECO (Text Editor and COrrector), puis développe les premières versions d’Emacs en 1976. Pour lui, c’était évident, le code appartient à tout le monde, on le partage, on l’améliore ensemble, et tout le monde en profite. D’ailleurs, il n’y avait même pas de mots de passe sur les systèmes !
Ainsi, en 1977 quand l’administration du MIT a voulu imposer des mots de passe sur le système informatique, Stallman a pété un câble. Il a développé un programme qui déchiffrait les mots de passe des utilisateurs, puis leur envoyait un message du genre : “J’ai remarqué que vous avez choisi le mot de passe ‘machin’. Je suggère que vous le changiez pour un mot de passe null (juste appuyez sur Entrée) pour qu’on retrouve l’anonymat et la liberté d’avant.”
Et ce qui est fou, c’est qu’un quart des utilisateurs l’ont vraiment fait ! Ils ont supprimé leurs mots de passe. Et ça, c’était du Stallman tout craché… transformer un acte de rébellion technique en mouvement social.
Et puis un jour de 1980, la catastrophe. Enfin, ce qui allait devenir LA catastrophe fondatrice de toute une philosophie. Le labo reçoit une nouvelle imprimante laser Xerox 9700, plus rapide et fiable que l’ancienne. Sauf que cette fois, pas de code source du driver fourni avec.
Vous comprenez le problème ? Avant, avec l’ancienne imprimante, quand elle se plantait, les chercheurs avaient modifié le driver pour qu’il envoie un signal d’alerte sur les terminaux, comme ça, dès qu’il y avait un bourrage papier, tout le monde était prévenu et quelqu’un allait la débloquer. Simple, efficace, communautaire.
Mais là, avec la nouvelle Xerox, impossible de faire ça. Stallman va donc tout naturellement voir Xerox : “Salut, vous pouvez me filer le code source pour que je puisse l’adapter ?”. Et la réponse est définitive : “Non, c’est un secret commercial.”
Déjà, ça l’énerve grave. Mais attendez, c’est pas fini car quand il apprend qu’un chercheur de Carnegie Mellon a le code source de ce driver, il fait le voyage jusqu’à Pittsburgh, plein d’espoir, et là, le mec lui dit : “Ah oui, j’ai le code… mais j’ai signé un accord de confidentialité avec Xerox, donc je peux pas te le donner.”
Et là, le déclic ! Stallman réalise qu’on vient de lui interdire d’aider ses collègues, de résoudre un problème qui touche toute sa communauté. Pour lui, c’est inacceptable ! C’est une trahison de tout ce qui fait l’essence même de la recherche et de la coopération scientifique.
Des années plus tard, il dira :
C’était la première fois que j’ai rencontré cet obstacle, et cela m’a laissé une impression durable. C’était la première fois que j’ai fait l’expérience directe d’un accord de non-divulgation, et de ses effets néfastes.
Maintenant, avance rapide jusqu’au 27 septembre 1983. Stallman poste un message sur les newsgroups net.unix-wizards et net.usoft qui va changer la face de l’informatique. Il annonce le projet GNU, un système d’exploitation entièrement libre, compatible Unix mais évidemment meilleur.
GNU, c’est un acronyme récursif qui veut dire “GNU’s Not Unix”. Déjà, on sent l’humour de hacker, mais derrière cette blague, il y a une détermination de fer. Stallman va créer un système d’exploitation complet : compilateur, éditeur, shell, utilitaires, jeux, documentation… tout.
Le 5 janvier 1984, il quitte donc officiellement son poste au MIT pour se consacrer à plein temps au projet afin d’éviter que le MIT puisse revendiquer des droits sur son travail. Le mec préfère donc renoncer à un salaire stable plutôt que de compromettre la liberté de son projet.
Et en 1985, il fonde la Free Software Foundation (FSF) pour soutenir le projet. Et déjà, il pose les bases philosophiques de ce qui va devenir le mouvement du logiciel libre avec les 4 libertés fondamentales :
• Liberté 0 : La liberté d’exécuter le programme comme vous voulez, pour n’importe quel usage
• Liberté 1 : La liberté d’étudier le fonctionnement du programme et de le modifier pour qu’il fasse ce que vous voulez
• Liberté 2 : La liberté de redistribuer des copies pour aider les autres
• Liberté 3 : La liberté de distribuer aux autres des copies de vos versions modifiéesVous remarquez qu’on commence par 0 ? Eh ouais, c’est du Stallman tout craché… Le mec est programmeur jusqu’au bout des ongles, et les programmeurs comptent à partir de 0.
En parallèle de sa croisade philosophique, Stallman se retrousse les manches et code comme un forcené. Il développe GNU Emacs, qui devient rapidement l’éditeur de texte le plus puissant et extensible jamais créé. Pour ceux qui ne connaissent pas, Emacs c’est pas juste un éditeur, c’est carrément un environnement de travail complet. Y’a même une blague qui dit qu’Emacs est un excellent système d’exploitation, mais qu’il lui manque un bon éditeur de texte.
Stallman a d’ailleurs une relation quasi-mystique avec Emacs. Il a créé la Church of Emacs, une parodie de religion où il se fait appeler “Saint IGNUcius”. Pendant ses conférences, il sort parfois une robe de moine noire et un vieux disque dur qu’il pose sur sa tête comme une auréole et le mec bénit les ordinateurs de l’assemblée en disant :
Je suis Saint IGNUcius de l’Église d’Emacs. Je bénis votre ordinateur, mon enfant. Qu’il fonctionne longtemps avec du logiciel libre !
– Stallman en costume de Saint IGNUcius*J’vous jure, le personnage est savoureux. Il explique que dans l’Église d’Emacs, utiliser “vi” n’est pas un péché mais une pénitence et que l’exorcisme consiste à taper “M-x butterfly” !
– Le XKCD à ce sujetAprès Emacs, il s’attaque à GCC (GNU Compiler Collection) en 1987 et là, coup de génie : GCC devient rapidement meilleur que tous les compilateurs propriétaires. Plus rapide, plus optimisé, supportant plus de langages et d’architectures. Les entreprises commencent à l’adopter massivement, prouvant ainsi que le logiciel libre peut être techniquement supérieur.
Bon maintenant, on va pas se mentir, Stallman c’est pas le mec le plus facile à vivre. Le personnage a ses… disons… excentricités.
Déjà, côté hygiène et convenances sociales, c’est… comment dire… spartiate. Le mec refuse catégoriquement d’avoir des cartes de fidélité (surveillance), un téléphone portable (traçage), et ne porte jamais de vêtements avec des logos ou des messages (pub). Et pour naviguer sur le web, il envoie l’URL par email à un daemon qui télécharge la page et la lui renvoie, comme ça il évite d’être tracé par du JavaScript !
Et puis il y a cette anecdote qui a fait le tour d’Internet… Pendant une conférence, Stallman s’est déchaussé en plein milieu de sa présentation, a commencé à gratter son pied, et… bon, disons qu’
. Devant tout le monde. Filmé. Pendant qu’il répondait aux questions sur le logiciel libre. Beuuuurk !Quand on lui a demandé des explications plus tard, il a refusé de regarder la vidéo, disant qu’il y avait “plusieurs obstacles techniques et éthiques” qui l’empêche de visionner des vidéos sur Internet. Mais là où Stallman m’a vraiment surpris, c’est avec sa passion pour la danse folk internationale. Le mec est fan absolu de danses traditionnelles, en particulier bulgares et hongroises. Il y a même une photo mythique où on le voit jeune, en costume traditionnel bulgare, en train de danser… avec une Machine Lisp !
Sa célèbre “Free Software Song” (Chanson du Logiciel Libre) est d’ailleurs chantée sur l’air d’un folk bulgare, “Sadi moma bela loza” et les paroles sont “Join us now and share the software / You’ll be free, hackers, you’ll be free…” Même dans ses hymnes révolutionnaires, il glisse ses références à la danse folk !
Années 90, Internet explose, et les idées de Stallman trouvent un terreau fertile. En 1991, un étudiant finlandais du nom de Linus Torvalds développe un noyau de système d’exploitation qu’il appelle Linux. Ce noyau, combiné avec tous les outils GNU déjà développés, donne naissance à ce qu’on appelle communément “Linux”.
Sauf que Stallman, il est pas d’accord avec cette appellation. Pour lui, c’est “GNU/Linux”, parce que le système complet, c’est GNU avec le noyau Linux. Et techniquement, il n’a pas tort car sans bash, sans GCC, sans glibc, sans tous les outils GNU, Linux tout seul c’est juste un noyau qui sert à rien.
Cette querelle de nommage, ça fait 30 ans que ça dure. Stallman insiste pour qu’on dise “GNU/Linux” à chaque fois et il corrige même les journalistes en pleine interview. Certains trouvent ça pénible, d’autres respectent sa position. Perso, j’trouve qu’il a raison sur le fond, même si l’obsession peut sembler excessive. Et à cause de lui, il y a aujourd’hui des armées de super relous qui comme lui reprennent n’importe qui sur le net qui oserait écrire “Linux” dans placer “GNU” devant.
Une autre des innovations les plus géniales de Stallman, c’est le concept de copyleft. C’est un jeu de mots sur “copyright” sauf qu’au lieu d’interdire la copie (all rights reserved), le copyleft garantit que le logiciel reste libre (all rights reversed).
Concrètement, avec la GPL (General Public License) créée par Stallman et l’avocat Eben Moglen, vous pouvez maintenant copier, modifier, redistribuer un logiciel… mais toute version dérivée doit rester sous la même licence libre. C’est ce qu’on appelle l’effet “viral” de la GPL, et l’idée est brillante : utiliser le système juridique du copyright pour garantir la liberté plutôt que pour la restreindre.
Bon, évidemment, je ne vais pas faire l’impasse sur l’un des aspects les plus controversés de Richard Stallman… En septembre 2019, Stallman a été obligé de démissionner de la présidence de la FSF et de quitter le MIT après des commentaires maladroits sur l’affaire Jeffrey Epstein et Marvin Minsky. Le mec a toujours eu des positions tranchées et une façon très littérale d’analyser les choses, ce qui l’a mis dans la sauce plus d’une fois. Ses écrits passés sur des questions de société ont également refait surface et ont provoqué un tollé.
Mais en mars 2021, surprise, il est revenu au conseil d’administration de la FSF. Ça a provoqué une nouvelle controverse, avec plus de 2400 signatures demandant son départ et des organisations comme GNOME, Mozilla et Red Hat qui ont pris leurs distances. Mais la FSF a maintenu sa décision.
Et en septembre 2023, nouveau coup dur… Stallman révèle qu’il a un lymphome folliculaire, c’est à dire un cancer du système lymphatique. Mais fidèle à lui-même, il reste optimiste : “C’est un cancer à croissance lente. Le traitement l’a mis en rémission, et je peux espérer vivre encore de nombreuses années.”
Et aujourd’hui, en 2025, qu’est-ce qui reste de la révolution de Stallman ? Et bien… quasiment tout ce qu’on utilise au quotidien !
Linux (pardon, GNU/Linux ^^) fait tourner 96 % des 500 plus gros supercalculateurs, tous les smartphones Android (3 milliards d’appareils), la majorité des serveurs web et les outils GNU sont partout. Git, créé par Torvalds, s’inspire directement de la philosophie du libre. Des langages comme Python, Ruby, Rust, des frameworks comme React, Vue.js, des systèmes comme Kubernetes, Docker… tout ça existe grâce à l’écosystème que Stallman a initié.
Même Microsoft, l’ennemi juré historique, a fini par embrasser l’open source. Ils ont racheté GitHub, contribuent au noyau Linux, et ont sorti WSL (Windows Subsystem for Linux). Si on m’avait dit ça en 1990, j’aurais cru à une blague !
À 72 ans, malgré son cancer, Stallman continue son combat. Il reste le “Chief GNUisance” du projet GNU, donne encore des conférences, écrit des articles et sa nouvelle bataille, c’est contre l’Intelligence Artificielle, car pour lui, les IA propriétaires comme ChatGPT ou Midjourney représentent un danger énorme pour nos libertés. Il prône donc le développement d’IA libres, transparentes, dont on peut examiner et modifier le code et les données d’entraînement.
Maintenant, quand je regarde l’évolution du numérique aujourd’hui, surveillance de masse, algorithmes opaques, dépendance aux GAFAM, IA boîtes noires…etc, j’me dis que Stallman avait vu juste il y a 40 ans et ses 4 libertés fondamentales sont plus que jamais d’actualité.
Alors la prochaine fois que vous utilisez Firefox, VLC, LibreOffice, WordPress ou même Android, ayez une petite pensée pour ce geek barbu excentrique et agaçant qui a préféré la liberté de tous à son confort personnel.
– Sources : The GNU Project, FSF History, GNU Initial Announcement (1983), Stallman.org, Wikipedia - Richard Stallman, Washington Post - Stallman’s MIT Resignation, FSF Statement on Stallman’s Return (2021), The Register - Stallman’s Cancer Diagnosis
https://korben.info/richard-stallman-revolution-logiciel-libre.html
-
Eh ben big up Stallman…!!!
-
undefined Violence a fait référence à ce sujet