[Critique] Mad God : Il est difficile d'être un Dieu
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On entre dans Mad God de Phil Tippett comme dans une cathédrale, avec la déférence due aux grands ouvrages majestueux d’artistes majeurs. Et on en sort couvert de substances poisseuses, un sourire bizarre aux lèvres. Alors que se multiplient les lettres d’amour nostalgiques à son endroit, Mad God invite le 7° Art à une soirée chemsex sous hallucinogènes faits maison
Quiconque prête un minimum de considération au génie artisanal de Phil Tippett et à l’empreinte indélébile qu’il a laissée dans la culture contemporaine aurait de quoi être intimidé. L’homme, la légende, sans qui RoboCop, Starship Troopers ou Jurassic Park ne seraient pas vraiment les mêmes films. Le grand créateur de créatures a porté Mad God pendant plus d’une trentaine d’années de doutes, de recherches, d’innovations et de bricolages passionnés. Il en a développé les premières séquences au début des années 1990, avant que la révolution des effets numériques ne vienne foutre son monde cul par-dessus tête. Il y est revenu, a fait participer toute une flopée de talents devant et derrière la caméra (entre autres apparitions tarées, saurez-vous reconnaître les voix pitchées des camarades Alexandre Poncet et Talal Selhami avant que leurs personnages ne connaissent un sort funeste ?).
Il a levé une coquette somme en financement participatif pour boucler son budget, n’a rien perdu de son appétit créatif orgiaque. Le film existe après avoir connu mille réincarnations, mille remises en question au fur et à mesure que son démiurge domptait les derniers étalons dans le domaine des effets spéciaux, de l’animation et d’un éventail unique d’expertises. L’accouchement se fait par 666 bassins. Mad God fait la tournée sidérée des festivals pendant deux ans, sort enfin sur les écrans français. C’est un putain de miracle en soi, un narratif à part entière dont n’oseraient rêver les biographes, les journalistes et n’importe qui ayant apprécié ne serait-ce qu’une seconde d’un film, un jour. Vous qui entrez ici, agenoulllez-vous devant ce temple construit par un esprit animé d’un souffle sans doute divin, ou courez le risque de voir vos réserves accueillies comme autant de blasphèmes.
Le mythe est déjà en marche, aux commandes d’un rouleau compresseur de chantier interstellaire, et bonne chance à qui compte lui barrer la route. De fait, le tout premier plan, une tour sur fond de soleil rougeoyant, est absolument sublime. Des dizaines de personnages armés de torches gravissent l’édifice, le regard est attiré par leurs multiples mouvements avant que l’attention ne se fixe sur le sommet. Des éclairs zébrent l’image et révèlent les multitudes en contrebas, des nuages sombres finissent par tout recouvrir. Quelque part, la messe est dite en une minute à peine. Mad God dégage déjà une aura révélatoire et promet une expérience inédite.
– Œuvre protéiforme, Mad God comprend quelques prises de vues réelles mettant en scène l’ex-chargée de production de Tippett Studio Niketa Roman et le réalisateur Alex Cox, ami de longue date de Tippett.ZONE D’'INCONFORT
Un parchemin usé défile à l’écran, sur fond de chœurs liturgiques. Il s’y déploie des paroles barbares, furieuses. La fin du plan en révèle l’origine religieuse (un extrait du Lévitique où Moïse sonne un peu soupe au lait), avant de faire disparaître le texte dans une explosion et de raccorder sur le gros plan d’un œil injecté de sang, la pupille fuyante en hyperactivité sur des bruitages d’impulsions électriques. Cette deuxième entrée en matière signe une partie de la déclaration d’intention du film. Mad God va utiliser des référents culturels et les dynamiter dans un exercice de style bourrin, violent, esthétiquement rentre-dedans, où le regard sera maintenu dans un état de panique. Et histoire de repousser encore un peu les limites de l’acceptable, l’intrigue passera entièrement par l’image. Les rares dialogues du film ne constitueront qu’un amoncellement de phrases sibyllines, peu liées à l’intrigue.
La narration de Mad God opère par assauts sensoriels déroutants, le déroulé des événements accumule les sorties de route fascinantes. Des acteurs humains (les cinéphages reconnaîtront Alex Cox, réalisateur de Repo Man) peuvent surgir dans des cadres saugrenus, les fusions entre matières organiques et artificielles sondent des extrémités inexplorées. Tous les styles d’animation cohabitent sous la tutelle d’une photographie somptueuse. Les premières minutes accompagnent la descente d’un mercenaire dans les abimes d’un univers a priori hostile. Son vaisseau s’enfonce de plus en plus profondément dans des décors ténébreux, métalliques et visqueux. Les tableaux insensés s’enchaînent. Le mercenaire sort, assiste à des instantanés de vie et de mort atroces et fabuleux à la fois. Il avance, sa mission en ligne de mire. Sa carte des lieux se désagrège quasiment à vue d’œil. Il semble parvenir à ses fins, se fait capturer, Mad God devient de plus en plus compliqué à résumer et tant mieux, c’est précisément son but : noyer sous les signes, stimuler le ressenti et l’intellect dans des zones érogènes laissées à l’abandon.
– Une créature surgit d’une vielle demeure hantée : un moment cauchemardesque parmi les centaines que compte Mad God.L’ÉVANGILE ÉCARLATE
Le montage s’emballe, syncope à plusieurs reprises. Les ruptures de ton pleuvent en gouttes de sang. Horreur, angoisse, gore, drame, anticipation, comédie : Mad God contient tout le cinéma, à la fois dans ses différentes facettes artistiques et ses infinies technicités artisanales et industrielles. Son récit convoque d’une scène à l’autre le monolithe de 2001, l’odyssée de l’espace, des jeux d’ombres, de projection, de superpositions, une obsession pour le motif de l’œil en tant qu’organe, en tant qu’objet et voie dorée vers le cerveau. Phil Tippett et ses troupes triturent le concept de pulsion scopique, éprouvent notre capacité à assimiler un flot d’informations visuelles souvent contradictoires, toujours grotesques.
Ils créent de toutes pièces un éventail de sensations cinématographiques nouvelles à partir d’un monde reconfiguré en une post-apocalypse où vivotent des restes de civilisations. Toutes les créatures témoignent à la fois d’un savoir-faire hors norme et d’une vision avide de sortir des sentiers battus des commandes hollywoodiennes génériques, où tout doit ressembler à un doudou générationnel. Ses monstres n’ont aucun équivalent et élaborent de toutes pièces une cosmogonie profane, une parodie des panthéons religieux traditionnels dans un cauchemar à la dérive, impulsif et nerveux comme les songes les plus fiévreux.
Mad God honore les attentes placées en un projet aussi démesuré et les prend dans le même temps à rebours. C’est tout autant un testament, un requiem, un baptême, une résurrection. Et s’il faut attendre trente nouvelles années pour espérer en voir une suite, qu’il en soit ainsi.
– Par François Cau.
– Sortie le 26 Avril 2023 (Carlotta Films)https://i.imgur.com/gYtMyj8.png
– Trailer
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Je suis pas le coeur de cible du genre, mais la bande annonce m’a fait envie, je trouve le gore plus supportable quand ça part dans tout les sens, et que ce n’est pas trop “intellectualisé”.
A ce titre j’avais bien aimé Evil Dead.
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ca a l’air SYMPA, je valide