[Interview] Ari Aster pour Hérédité
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À en croire l’accueil dithyrambique réservé à son premier long Hérédité, Ari Aster (Hérédité, Midsommar) s’impose comme un cinéaste dont on n’a pas fini d’entendre parler.
Un succès que l’Américain prend avec un certain recul, puisqu’il aurait d’ores et déjà refusé tous les projets que Hollywood lui a présentés afin de se consacrer à des travaux plus personnels.
Ironiquement, la plus grande force d’ Hérédité est aussi une enclave d’un point de vue commercial, puisqu’il s’agit d’une oeuvre en marge des canons hollywoodiens, surtout dans le genre horrifique où pullulent des films, disons, plus spectaculaires et calibrés. N’aviez-vous pas peur d’avoir du mal à trouver des producteurs ?
Pour être honnête, je m’attendais à ce que ce soit plus difficile. La raison pour laquelle j’ai décidé de me frotter au film d’horreur, c’est que j’ai essayé de développer tout un tas de scripts qui étaient trop ambitieux pour me permettre de trouver le budget nécessaire en tant que réalisateur débutant. J’ai eu le sentiment qu’il me serait plus facile de faire avancer les choses en m’essayant à l’horreur.
Cela faisait longtemps que je cherchais à réaliser un film, et il m’a toujours paru essentiel de livrer quelque chose de plus singulier et pertinent que le type de productions horrifiques que vous avez mentionné. Ce sont souvent des œuvres cyniques qui se contentent de respecter une formule connue de tous, souvent faite de jump scares…
Mon but était donc de raconter une histoire capable de résonner dans l’esprit des gens, et dont l’aspect horrifique se nourrirait des personnages. En gros, faire un film d’horreur minimaliste sur le thème de la tristesse.
Sans dévoiler la fin, on a l’impression que tout découle du dernier plan, que le concept initial provient de cette seule image.
Eh bien oui, en quelque sorte. Je désirais conclure le film d’une manière un peu symétrique. Mais oui, tout mène à cette fin, d’autant que je voulais que, lors d’un second visionnage, le spectateur constate que les choses étaient inévitables, que chaque événement menait inéluctablement à un autre événement. C’est ce que souligne le premier plan, ainsi que l’image finale.
En effet, vous montrez souvent vos personnages comme des marionnettes dépourvues de libre arbitre ou, du moins, privées de la capacité de changer leur destin. C’est pour ça que la mère trouve refuge dans l’élaboration de poupées qu’elle manipule à loisir ?
Tout à fait. Le thème récurrent de la maison de poupées sert de métaphore aux événements. Les membres de la famille sont tous comme prisonniers d’une maison de poupées. Le film parle aussi d’hérédité et de la difficulté de contrôler sa vie, surtout lors du dernier acte.
Parlez-nous de la façon dont vous avez choisi vos acteurs. Visiblement, il n’était pas dans vos intentions de décrire une famille hollywoodienne typique…
Lors de l’écriture du scénario, je cherchais vraiment à créer une dynamique familiale forte avant même de m’attaquer à l’aspect horrifique. D’ailleurs, le premier montage du film durait une heure de plus, et nous avons dû couper beaucoup de moments dramatiques liés aux intrigues parallèles.
Lorsqu’il a fallu trouver les acteurs pour incarner ces personnages, les gens d’A24 ont proposé Toni Collette car ils voulaient vraiment travailler avec elle. Quand je l’ai rencontrée, je lui ai donné une biographie d’une trentaine de pages sur son personnage, qui commençait au moment de sa naissance et se terminait lorsque le film débute.
Je pense que ça m’a d’ailleurs aidé moi aussi à mieux comprendre mon héroïne. Gabriel Byrne est arrivé ensuite, ce qui m’a fait extrêmement plaisir, car il apporte une vraie présence, un vrai poids. Il donne du réalisme aux choses.
Il représente un peu le point de vue du public.
Oui. Il tente de maintenir le cap alors que tout s’effondre autour de lui. Les enfants étaient un vrai défi pour moi, car beaucoup d’acteurs auraient rendu ces rôles trop « joués ». C’est facile d’en faire des tonnes quand on interprète quelqu’un qui souffre d’un trouble mental. À ce titre, Alex Wolff, qui joue l’aîné Peter, possède un vrai don. Je n’étais pas certain que nous réussirions à dénicher les comédiens adéquats pour les rôles des deux enfants, mais lorsque Milly Shapiro a débarqué, elle m’a également bluffé. C’est une comédienne dotée d’une vraie expérience, puisqu’elle a fait ses armes à Broadway, et en tant qu’actrice venue du théâtre, elle a vraiment assuré.
Quelles étaient vos lignes directrices, d’un point de vue artistique, pour vous différencier des productions horrifiques commerciales dont nous parlions ? L’un de vos « trucs » est notamment l’utilisation d’un bourdonnement lourd qui donne un aspect anxiogène à de simples scènes de dialogues.
Je suis très fier de l’aspect « sonore » du film. J’ai collaboré de façon très étroite avec le sound designer. Ce bruit sourd dont vous parlez est une trouvaille du compositeur Colin Stetson, et que l’on a appelé le « contre-pouls ».
Je crois que ce son provient d’un saxophone, mais je n’en suis pas sûr. C’était une bonne manière d’intensifier et de prolonger le sentiment de malaise ressenti par le spectateur. Je suis donc content que vous l’ayez remarqué ! (rires) Sinon, pour ce qui est de sortir des sentiers battus, j’ai fait tout mon possible pour proposer un film original. D’abord, je ne l’ai jamais considéré comme un film d’horreur. Quand je pitchais le projet, au tout début, je disais qu’il s’agissait d’un drame familial virant au cauchemar. Ce que je voulais, c’était privilégier les personnages afin que l’horreur naisse de leur personnalité et de ce qu’ils vivent.
D’un point de vue visuel, la photographie du film est extrêmement travaillée. On n’est pas très loin d’un rendu « velouté » typique de la pellicule.
Merci. Nous avons tourné en numérique avec la ALEXA. Je pense que ce « velouté » est le résultat des teintes vertes que nous avons ajoutées durant l’étalonnage. En tout cas, je peux vous dire que nous avons eu des objectifs faits spécialement pour nous !
Avec mon chef-opérateur Pawel Pogorzelski, nous voulions utiliser des focales fixes, mais chaque lot d’objectifs comportait des qualités et des défauts. Nous avons donc demandé la fabrication de nouveaux objectifs qui combinaient les qualités des différentes optiques que nous avions essayées. Et nous sommes vraiment satisfaits du rendu que nous avons obtenu.
J’adore les capacités des caméras numériques, mais je déteste leur rendu. Aujourd’hui, il est possible de l’éviter tout en profitant des capacités très poussées de ces caméras. De plus, je suis quelqu’un qui aime tourner beaucoup de prises, souvent très longues, et c’est agréable de ne pas avoir à se trimballer des tonnes de pellicule toute la journée.
L’avantage avec un film d’horreur ou une comédie, c’est que l’on sait tout de suite si le public accroche ou non. Comment s’est déroulée la première projection à Sundance ?
C’était vraiment très surprenant, car les scènes qui ont beaucoup secoué le public n’étaient pas forcément celles auxquelles je m’attendais. J’avais très peur que les gens détestent le film lorsque je l’ai présenté à Sundance, mais au moment de la seconde projection, j’étais bien plus détendu, car la première m’avait retiré tout ce poids des épaules.
L’expérience a donc été formidable. Il est vrai qu’avec un film d’horreur ou bien une comédie, on sait immédiatement si le film fonctionne ou pas, car le public se manifeste immédiatement. Pour la comédie, c’est simple : soit le public rit, soit il ne rit pas. Avec un long-métrage comme Hérédité – où il y a beaucoup de tension –, les réactions du public sont également assez évidentes lors des passages les plus horrifiques, ce qui est vraiment satisfaisant pour un cinéaste.
Parlons de vos courts-métrages. Sont-ils différents de ce que vous avez fait sur Hérédité ?
Eh bien, j’ai tourné des courts pendant près de dix ans. J’étais inscrit à l’AFI (American Film Institute – NDR), où j’ai appris le métier de réalisateur. Tous mes courts ont été faits avec la collaboration du même chef-opérateur, Pawel Pogorzelski donc, qui est également l’un de mes plus proches amis. Je les décrirais comme malicieux, car ils se frottent à certains tabous.
Certains sont plus des « films », dans le sens où ils racontent une histoire, comme The Strange Thing About the Johnsons, qui est une déconstruction de la cellule familiale américaine… D’une manière ou d’une autre, je dirais que tous ces courts sont liés au cinéma de genre, car je voulais jouer avec les conventions, et j’espère qu’Hérédité s’impose comme la continuité de cette démarche. En tout cas, je sais que certains comme The Strange Thing… ou Munchausen sont visibles en ligne, si jamais cela intéresse quelqu’un de voir les courts par lesquels j’ai commencé.
08/06/2018
Merci à Michel Burstein
Source: mad Movies