[Memories] [Sono Sion] Suicide Club
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[SUICIDE CLUB] Sono Sion, 2001
C’est grâce à Suicide Club, ce fabuleux film-début-de-siècle que beaucoup de cinéphiles ont pu découvrir l’univers de Sono Sion, ce cinéaste-poète merveilleux travaillé par le spleen et le sexe. En son temps, une révélation fracassante.
Première scène: à une heure précise, des lycéennes débarquent sur un quai de gare, se tiennent la main, entament un refrain, sautent et se donnent la mort La raison de ce rituel demeure inconnue. La police ouvre une enquête, pédale dans la semoule, découvre ce drôles d’éléments disparates un sac contenant des lambeaux de peaux humaines liés les uns aux autres, un coup de téléphone bizarre avec au bout du fil une voix d’enfant étrange, une «chauve-souris», un groupe pop de jeunes lolitas. Les jours passent. D’autres lycéens s’amusent eux aussi à se donner la mort, comme un cercle infernal, comme un phénomène de mode.
Au bout de dix minutes, on comprend que ce film hors-norme, hâtivement présenté comme un thriller horrifique succédané du Ringu d’Hideo Nakata sorti au Japon trois ans plus tôt, va prendre un plaisir pervers et assez infectieux à ne respecter aucune attente, aucune convenance. Opaque, mystérieux, il fonctionne selon le principe de la déconstruction narrative plus le spectateur progresse avec la police dans l’enquête, moins il en sait Le cinéaste donne tous les éléments au début, puis retire chaque brique du mur et en révèle de moins en moins jusqu’à ce que la confusion s’impose et que le spectateur, seul face aux interrogations du film, se débrouille comme un grand.
Que les plus rationnels soient sans crainte : il existe un prologue à tout ça, intitulé Noriko’s Dinner Table (Sono Sion, 2005) qui apporte quelques réponses aux questions laissées au suspens, regarde dans le blanc des yeux tristes des adolescent(e)s qui ne savent plus très bien qui ils sont et qui, surtout, nous initie au spleen ayant engendré ce phénomène de mode des suicides collectifs. Dans Suicide Club, la mort est un jeu, un phénomène de mode, une nouvelle forme de divertissement dans un monde déshumanisé (voir la désinvolture de la scène du suicide sur le toit d’un lycée où se donner la mort revient à faire une expérience fatale mais hors du commun).
Il y a une rupture de ton, accentuée par une scène mémorable où un cnanteur accompagné de sa bande monopolise le film pour délivrer une longue prestation musicale, qui évoque Rocky Horror Picture Show. Cette influence, revendiquée par Sono Sion, ressemble à une manière de tordre l’esprit de sérieux de la même façon que, dans la comédie musicale précitée, le cannibalisme passait comme une lettre à la poste. La décontenance du spectateur face à la profusion d’événements ressemble à celle exprimée par l’inspecteur incarné par Ryo Ishibashi, acteur-chanteur star qui confirmait après le génial Audition de Takashi Miike un penchant quasi masochiste pour les personnages masculins manipulés et vulnérables.
Suicide Club s’éclaire dans son dernier tiers, presque surréel, où le récit ne répond plus au suspens de l’enquête policière mais à la détresse d’une adolescente qui, soudain, saisit la clef du mystère. L’enquête policière devient une enquête intérieure, menant l’ado vers une catharsis salvatrice — littéralement, on arrache à ce personnage victime de la mode son piercing et son tatouage. On y aperçoit des enfants sans adultes et ils sont, selon Sono Sion, la lueur d’espoir, affranchis qu’ils sont des codes et des tendances, pas encore corrompus par les phénomènes de mode. Cette affirmation peut être discutée. Mais elle n’en reste pas moins subversive, permettant à Sono Sion d’opposer la masse qu’il abhorre à l’individu qu’il sauve. Et si, au bout du compte, un personnage est sauvé, c’est uniquement parce qu’il est maître de son destin et non pas un mouton de Panurge auquel on dit ce qu’il faut consommer
Par exemple, l’affreux girls’band, dont Sono Sion sous-tend la toxicité, est une fausse piste dans la progression de l’enquête policière (quelle organisation est à l’origine des suicides collectifs?), en même temps qu’un symbole de la société de consommation. Accessoirement ce qui préoccupe Sono Sion, c’est que la pureté de l’enfance soit traitée comme un produit. Ce qu’il pourrait perdre en esthétisation, le film le gagne en profondeur et révèle la personnalité extrêmement forte de son auteur. Au moment du tournage, Sono Sion revendiquait deux influences : Cruising de William Friedkin (fausse enquête policière avec fausse révélation de tueur en série pour vraie peinture d’une société d’apparences gangrénée par le témoin du mal) et Starship Troopers de Paul Verhoeven (faux divertissement gentil, vraie satire méchante). On comprend mieux pourquoi.
– Source : https://www.chaosreign.fr/suicide-club-sono-sion-2001/
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Vous le savez je suis un grand fan du stakhanoviste Sono Sion et je l’ai découvert comme pas mal de monde avec ce film à sa sortie, et depuis, j’ai presque regardé toute sa filmographie d’avant et d’après (autant dire un paquet de films et séries).
Sono c’est rentré dans l’univers du sexe, de la violence, de la folie, de la perversité, de la mort mais celui aussi de l’espoir, de l’humanité, de la sensibilité, du féminisme, de l’amour pure et bien d’autres choses. Sono c’est tout cela à la fois et c’est jubilatoire !!
A mon sens, l’un des meilleurs réalisateurs japonais, tout simplement.