Hannelore Derluyn révèle la vie cachée des matériaux
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Chercheuse en génie civil, Hannelore Derluyn veut identifier les mécanismes à l’origine de la dégradation des roches utilisées dans les constructions. À la clé : augmenter la durée de vie des matériaux ou encore préserver le patrimoine architectural.
Ses collègues de laboratoire qualifient volontiers Hannelore Derluyn de personne réservée. Paradoxalement, ils admirent aussi son parler « franc et direct », « qui ne s’embarrasse pas de circonvolutions ». Cette chercheuse en géomécanique et milieux poreux, au sein du Laboratoire des fluides complexes et leurs réservoirs (1) (LFCR), aurait pourtant de quoi se faire valoir, car les scientifiques capables de rivaliser dans sa spécialité, soit l’étude des matériaux des bâtiments, ne sont pas nombreux.
Hannelore Derluyn s’intéresse plus particulièrement aux phénomènes extérieurs qui conduisent à l’altération des matériaux poreux de construction, comme la pierre naturelle ou la brique : eau, sel, glace, bactéries… les agents de dégradation sont potentiellement nombreux, les raisons et les scénarios multiples. Pour comprendre en détail ces phénomènes, la chercheuse à recours à la tomographie, une technique d’imagerie qui fournit une image tridimensionnelle d’un objet à partir d’une série de radiographies.
Témoigner de l’invisible
La scientifique peut ainsi observer, à l’échelle microscopique et en temps réel, des phénomènes invisibles à l’œil humain et voir ce qui se trame au cœur de la matière : « Nous sommes désormais capables de voir la formation de certains cristaux ou la circulation de certains fluides dans la matière en temps réel. Cela est impossible avec des scanners classiques », explique-t-elle. Ces découvertes ont des utilités multiples : préserver les édifices historiques, améliorer les modélisations des ingénieurs du bâtiment ou encore prévenir les dommages du réchauffement climatique sur nos ouvrages.
Originaire de Flandres, et plus précisément de Roeselare, une ville située à une trentaine de kilomètres seulement de Lille, Hannelore Derluyn commence à s’intéresser à l’impact de l’humidité sur les textiles à l’intérieur d’un bâtiment lors de ses études en génie civil, à l’Université catholique de Louvain. En 2009, elle s’envole pour l’École polytechnique fédérale de Zurich, en Suisse, où elle obtient en 2012 un doctorat sur la thématique du transport salin et de la cristallisation dans les milieux poreux. « J’ai voulu me concentrer sur la pierre naturelle pendant ma thèse, un matériau très présent sur les bâtiments historiques, potentiellement fortement concernés par d’éventuelles dégradations », explique-t-elle.
Son intérêt pour le sujet a peut-être été éveillé bien plus tôt, par l’intermédiaire de son grand-père, un passionné du domaine qui a construit sa propre maison et celles de ses enfants. « Lorsque j’étais petite, pendant des réunions de famille, les adultes étaient tout le temps équipés de leurs stylos à discuter de leurs projets de construction », se remémore-t-elle. Son père a également joué un rôle important dans son choix de carrière. À ses côtés, elle se souvient avoir visité, enfant, les ruines antiques de Vaison-la-Romaine, non loin du mont Ventoux, un site connu pour la richesse de ses mosaïques romaines.
Hannelore Derluyn se rappelle encore de ce sol qui en était orné et dans lequel elle a vu « l’histoire se dérouler à travers les âges ». « Ce sentiment, c’est aussi que ce qui transparaît dans mes recherches », reconnaît celle qui se définit comme « un témoin de l’invisible » et pour qui observer ces mécanismes de dégradation à l’échelle microscopique en temps réel, « c’est un peu comme révéler un monde caché ».
Observer les édifices pour mieux les soigner
La chercheuse confie aimer, lors de ses balades dominicales, regarder les édifices remarquables qui l’entourent. Récemment, elle a pris des photos des panneaux qui parlaient du dessalement des voûtes de Notre-Dame de Paris. Son amie conservatrice, Julie Desarnaud, lui a alors expliqué que ce phénomène était apparu suite à l’incendie de 2019. « Au moment de l’intervention par les pompiers, une très grande quantité d’eau a été apportée sur la toiture. Le sulfate présent à l’intérieur des gypses qui recouvraient l’extérieur des voûtes a été impacté par l’humidité et les sels de sulfate présents à l’intérieur se sont cristallisés. Sans mesures de correction rapides, cela aurait pu détériorer les parements de manière définitive », détaille Hannelore Derluyn.
La scientifique observe régulièrement au scanner à tomographie des phénomènes similaires dans son laboratoire. « Je suis un peu comme un médecin qui observerait le corps humain en imagerie médicale, mais je fais cela pour les édifices pour mieux les soigner. J’observe l’eau qui pénètre dans la roche, où elle se loge, dans quels recoins elle s’engouffre, etc. Lorsque j’étudiais les textiles, c’était pareil. Je voyais les fils, comment ils se mettaient en tension et comment leur agencement se modifiait à chaque fois que l’eau arrivait dessus », décrit-elle.
Faire dialoguer chercheurs et professionnels du bâtiment
Sa posture de femme dans une discipline majoritairement occupée par des hommes n’est pas le seul trait qui la distingue au sein de son laboratoire. Avant d’arriver en France et d’intégrer le CNRS en 2016, en tant que chargée de recherche au LFCR, Hannelore Derluyn a travaillé en Belgique et en Suisse allemande. Deux pays du nord de l’Europe où les mœurs en matière d’organisation de la recherche académique restent différentes du sud, donc de la France. Là-bas, le laboratoire est la plupart du temps dirigé par un chercheur ou une chercheuse autour de qui l’ensemble des autres scientifiques gravitent. En France, les directeurs ne sont pas attachés à un laboratoire, ils changent tous les cinq ans. Une particularité qui peut se révéler déstabilisante au premier abord, reconnaît la chercheuse, même si ne pas avoir l’ombre d’un ténor académique peut offrir une forme de liberté dans la façon d’aborder les sujets. « D’un autre côté, je viens d’une région où si tu veux faire quelque chose, tu le fais, tu bosses, tu y arrives et tu n’as pas besoin d’un bout de papier pour le prouver », ironise-t-elle.
À l’avenir, les travaux qu’Hannelore Derluyn et son équipe mènent dans le cadre du projet PRD-Trigger (2), financé par le Conseil européen de la recherche, seront déterminants. Ils doivent permettre d’affiner certains modèles mathématiques reproduisant les phénomènes de dégradation des roches. « La tomographie permet de voir où sont situés les cristaux et les fluides dans la matière. Mais cela ne nous indique pas quelle est la concentration des sels présents dans les cristaux ou la température de la glace. Ces informations, ce sont les modèles mathématiques qui nous les fournissent », souligne la chercheuse. Un autre enjeu de ce domaine de recherche reste de mieux faire collaborer chercheurs et professionnels du bâtiment. « Ce dialogue est essentiel afin que nous sachions ce que nous pouvons faire en tant que chercheurs et ne pas nous perdre dans des solutions qui ne seraient pas opérationnelles », conclut-elle. Une collaboration qui pourrait donc être la clé pour un patrimoine bien préservé.
- (1) Unité CNRS/Total SE/Université de Pau et des Pays de l’Adour.
- (2) Pour « Precipitation triggered rock dynamics: the missing mesoscopic link ». Ses travaux ont valu à Hannelore Derluyn d’être lauréate de la médaille de bronze du CNRS 2020 et d’obtenir, la même année, une bourse ERC Starting Grant d’un montant de 1,5 million d’euros.
Source: https://lejournal.cnrs.fr/articles/hannelore-derluyn-revele-la-vie-cachee-des-materiaux
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C’est tout simple, il faut retrouver la recette du béton romain, 20 fois plus solide que le béton actuel et tiens bien mieux dns le temps, mais malgré nos moyens on en est pas capable
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@Ashura A ce propos un article sur les secrets du béton romain:
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