Le lac Crawford, en Ontario, a été choisi pour marquer le début de l’Anthropocène
-
Vivons-nous vraiment dans l’Anthropocène, la période géologique marquée par l’impact global de l’activité humaine ? Et si oui, quand a-t-elle commencé et où sur Terre peut-on le mieux comprendre ses débuts ?
Telles sont les questions auxquelles tente de répondre le Groupe de travail sur l’Anthropocène (AWG), créé en 2009 par la Sous-commission sur la stratigraphie du Quaternaire pour proposer une définition de ce concept et estimer son potentiel en tant qu’unité de temps géologique.
Le 11 juillet 2023, le groupe a annoncé que le lac Crawford, en Ontario, avait été choisi comme le site où se trouve l’enregistrement sédimentaire qui servira à définir le début de l’Anthropocène.
Mais qu’est-ce que ce lac a de si particulier pour être ainsi proclamé comme une sorte de ligne de démarcation entre différentes époques géologiques ?
L’empreinte de la Grande accélération
Depuis sa création, le groupe de travail sur l’Anthropocène a évalué divers types de preuves physiques, chimiques et biologiques préservées dans les sédiments et les roches, et a publié de nombreux articles scientifiques explorant leur nature et leur pertinence.
Ces études ont conclu que l’Anthropocène est significatif à l’échelle géologique en raison de la rapidité et de l’ampleur des impacts récents de l’humain sur les processus opérant à la surface de la Terre. Nombre de ces perturbations ont généré des changements irréversibles qui surpassent ceux, plus modestes, survenus durant l’Holocène — la dernière phase climatique interglaciaire — qui a débuté il y a 11 700 ans.
Dans les strates géologiques, l’AWG a identifié un ensemble important d’indicateurs qui coïncident avec ce que l’on appelle la « Grande accélération » du milieu du XX<sup>e</sup> siècle. Elle désigne la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, marquée par une augmentation sans précédent de la population humaine, de la consommation d’énergie, de l’industrialisation et de la mondialisation. Ces indicateurs sont les suivants :
-
Les radio-isotopes provenant des armes thermonucléaires dans l’atmosphère (tel le plutonium).
-
Les particules carbonées originant de la combustion à hautes températures d’énergies fossiles.
-
Les changements dans la biodiversité, notamment l’extinction, le déplacement d’espèces hors de leur aire de répartition naturelle et la forte expansion des organismes domestiqués.
Vue partielle du dépôt géologique à la plage Tunelboca (Getxo, Espagne), un dépôt formé de résidus de fer, de briques réfractaires, de plastiques et d’autres technofossiles de l’Anthropocène. Roberto Martínez, Author provided
Qu’est-ce qu’un « clou d’or » ?
Au fil des ans, le groupe de travail sur l’Anthropocène a largement convenu que l’Anthropocène est géologiquement réel et qu’il devrait être formellement considéré comme une unité indépendante au sein de l’échelle internationale des temps géologiques. Son début se situerait au milieu du XX<sup>e</sup> siècle, dans les années 1950, d’après les signaux simultanés et globaux enregistrés dans les sédiments depuis lors.
Le groupe de travail sur l’Anthropocène a établi qu’il était nécessaire de déterminer son lieu de référence au moyen d’une limite matérielle et temporelle appelée « point stratotypique mondial » (GSSP) — communément appelée « clou d’or ». Il s’agit de la méthode la plus largement acceptée pour formaliser les unités géologiques des 540 derniers millions d’années.
Les critères de sélection
Depuis 2019, un projet de collaboration entre le groupe de travail sur l’Anthropocène et de nombreux laboratoires de recherche est en cours dans le cadre d’une initiative internationale appelée Anthropocene Curriculum, promue par la Maison des cultures du monde (Haus der Kulturen der Welt) et l’Institut Max Planck pour l’Histoire de la science (Max Planck Institute for the History of Science), tous deux en Allemagne.
Douze propositions détaillées ont été initialement soumises pour différentes sections géologiques susceptibles d’accueillir ce GSSP, situées sur cinq continents et dans huit environnements géologiques différents. Toutes ces propositions ont été publiées en 2023 dans la revue scientifique Anthropocene Review. Ces articles ont constitué la principale source d’information pour les membres votants du groupe de travail sur l’Anthropocène au cours du processus de sélection.
Après en avoir éliminé plusieurs, le groupe de travail sur l’Anthropocène a finalement examiné en détail neuf sites. Les candidats appropriés étaient ceux qui contenaient de fines couches de sédiments pouvant être analysées d’année en année et dont l’âge pouvait également être corroboré par la présence d’éléments radioactifs afin de garantir un enregistrement sédimentaire complet.
Les procédures stratigraphiques établies pour décider d’un GSSP sont déjà normalisées en géologie et sont communes pour la définition de tout temps géologique. Ainsi, un « clou d’or » nécessite la présence locale d’un marqueur physique visible à l’œil nu et d’au moins un signal indicateur, tel qu’un changement géochimique, que l’on retrouve dans les sédiments et les roches du même âge et sur l’ensemble du globe.
La plupart des propositions ont identifié le plutonium comme l’indicateur principal et ont proposé le début de l’Anthropocène à partir d’une augmentation du signal de cet élément radioactif.
Et le gagnant est…
Une première discussion sur les forces et les faiblesses de chaque site a débuté en octobre 2022, et la liste a été réduite à trois à la fin de l’année.
D’après les résultats, les sections géologiques les plus pertinentes étaient situées dans la baie de Beppu (Japon), au lac Sihailongwan (Chine) et au lac Crawford (Canada). Après une analyse détaillée de la nature de leur signal plutonium et un nouveau vote, les sites des lacs chinois et canadien ont été retenus comme finalistes.
Finalement, le lac Crawford a reçu 61 % des votes et a donc été choisi comme site pour accueillir la proposition GSSP pour l’époque de l’Anthropocène.
Localisation du lac Crawford. Francine MG McCarthy et ses collègues. Sage Journal, 2023, CC BY
Les couches de sédiments du lit du lac, à l’ouest de Toronto, ont été étudiées à l’origine pour démontrer l’occupation sporadique de la région par les peuples autochtones et la colonisation subséquente par les Européens. La nouvelle étude géologique a permis d’augmenter le nombre d’indicateurs préservés dans les différentes couches annuelles, formées d’une alternance de calcite pâle, déposée en été, et de lamines organiques foncées, accumulées en hiver.
Photo de la carotte ou de l’échantillon CL-2011 avec des détails sur la profondeur et l’âge des différentes couches annuelles, indiquant la position de la limite proposée en 1950. Francine MG McCarthy et ses collègues. Sage Journal, 2023, CC BY
La couche proposée comme marqueur visuel pour le GSSP a une profondeur de 6,1 pouces (15,6 centimètres) à la base d’une couche de calcite déposée au cours de l’été 1950. Elle a été choisie en raison de l’augmentation rapide du plutonium par la suite. Ce signal coïncide également avec une augmentation des particules carbonées et un changement majeur de l’écosystème identifié par une diminution du pollen d’orme et un remplacement des espèces de diatomées, un type d’algues.
On dit « adieu » à l’Holocène
Il est très important de ne pas confondre le début de l’activité humaine et l’Anthropocène. L’Anthropocène ne comprend pas l’impact initial de l’humain, qui était régional et s’est accru avec le temps, mais il est défini comme une conséquence de la réponse planétaire à l’énorme impact de la Grande accélération.
L’Anthropocène s’inscrit dans les temps géologiques et, malgré sa courte durée, bénéficiera d’une éventuelle formalisation qui en déterminera précisément le sens et l’usage dans toutes les sciences et autres disciplines académiques. La fin d’une époque relativement stable de l’histoire de la Terre, l’Holocène, sera ainsi reconnue.
Source : theconversation.com
-