160 kilos, 2 mètres de haut, 20 voitures de luxe et une chambre à 80 000 euros… Non, ce n’est pas la fiche Tinder d’un oligarque russe, mais le CV de Kim Dotcom, l’Allemand qui a fait trembler Hollywood depuis son manoir néo-zélandais. Laissez-moi vous raconter comment un ado complexé de Kiel est devenu l’ennemi public numéro 1 des États-Unis.
– Kim Dotcom, l’entrepreneur finno-allemand qui a défié Hollywood avec Megaupload
L’histoire commence le 21 janvier 1974 dans le port de Kiel, petite ville du nord de l’Allemagne où Kim Schmitz voit le jour. Sa mère finlandaise de Turku enchaîne les petits boulots pendant que son père allemand, capitaine de navire, rentre souvent violent à la maison. Dans les HLM grises des années 80, le gamin boudiné subit les moqueries de ses camarades et son père le suspend même par la fenêtre dans des accès de rage. Pas cool…
Sa révélation arrive à 11 ans. Un Commodore-16 dans une vitrine devient son obsession. Alternative économique aux ordinateurs hors de prix de l’époque (vendu seulement 99 dollars !), ce petit bijou noir au clavier clair connecté à la télé va changer sa vie. Kim apprend le BASIC en autodidacte, copie des jeux vidéo et bidouille des lignes de code jusqu’au bout de la nuit. Le C16 avec ses 16 Ko de RAM et son processeur MOS 7501 devient son univers.
– Le Commodore 16, l’ordinateur qui a transformé Kim Schmitz en hacker “Kimble”
À l’adolescence, notre futur milliardaire se fait connaître sous le pseudo “Kimble” en référence à Richard Kimble du Fugitif, la série TV de 1963. Il revendique des hacks spectaculaires sur la NASA, le Pentagone et Citibank, même si leur véracité reste douteuse. Son truc ? Laisser sa signature : le nom “Kimble” et deux crânes sur chaque système piraté.
Puis en 1993, il lance un bulletin board system baptisé “House of Coolness” où les utilisateurs échangent des logiciels piratés via modem. Ils composaient simplement le numéro et hop, accès direct au warez ! Problème, selon les témoignages du Chaos Computer Club, Kim n’était qu’un “script kiddy”, comprenez, quelqu’un qui copie les techniques des vrais hackers sans rien inventer lui-même. Pire, il vendait aussi des fausses cartes téléphoniques sur son BBS.
Et les ennuis arrivent vite. Mars 1994 : arrestation pour vente de numéros de téléphone volés, 1 mois de détention. 1998 : condamnation pour 11 chefs d’accusation de fraude informatique et 10 d’espionnage de données. Le juge parle “d’erreur de jeunesse” et lui colle 2 ans avec sursis (il n’avait que 20 ans au moment des faits, donc considéré comme mineur). Kim comprend le message et change légalement de nom en 2005 pour devenir “Dotcom”, un hommage à la technologie qui l’a rendu riche.
Mais y’a un truc plus sombre… vers 1993, l’avocat anti-piratage Günter von Gravenreuth le cible et Kim devient… un informateur payé ! Après son arrestation et le procès civil lancé par von Gravenreuth, Dotcom décide de coopérer, ce qui provoque une vague inhabituelle d’arrestations dans la scène du piratage, avec des hackers pointant du doigt Kim comme “balance” ou “indic”.
Ensuite, en février 2003, il déménage à Hong Kong et crée Data Protect Limited. Ce nom est un clin d’œil à sa société de sécurité informatique allemande des années 90. En 2005, il rebaptise tout ça Megaupload. Et son idée c’est de révolutionner le partage de fichiers avec un modèle freemium génial : un service gratuit de base avec 200 Go de bande passante par jour et un abonnement premium à 9,99$/mois pour des fonctionnalités avancées (téléchargements illimités, pas de pub, files d’attente prioritaires). Simple et efficace.
– Megaupload, le site qui représentait 4% du trafic Internet mondial à son apogée
Le site explose littéralement. Au pic de sa gloire, Megaupload emploie plus de 150 personnes, génère 175 millions de dollars de revenus annuels et attire 50 millions de visiteurs quotidiens. On parle du 13e site le plus populaire au monde, responsable de 4% de tout le trafic Internet de la planète ! 25 pétaoctets de données stockées sur plus de 1000 serveurs répartis mondialement soit l’équivalent de plusieurs millions de films en HD. Avec 180 millions d’utilisateurs enregistrés et 1 milliard de visites au total, c’est du lourd !
Kim adopte alors un train de vie complètement délirant. En 2010, il loue le “Dotcom Mansion” à Coatesville (15 miles d’Auckland) pour 1 million de dollars néo-zélandais par an. Cette baraque ? La propriété la plus chère de Nouvelle-Zélande, évaluée à 24 millions de dollars ! 25 000 pieds carrés (2300 m²), 12 chambres, 9 salles de bain, piscine remplie d’eau de source importée, échelle custom à 15 000 dollars, héliport, garage pour 8 voitures surnommé “la grange” avec sol en carreaux de verre… Sans oublier les 4 millions de dollars de rénovations !
– Le Dotcom Mansion à Coatesville, la propriété la plus chère de Nouvelle-Zélande
Sa collection de voitures fait rêver : 15 Mercedes dont plusieurs 4x4 AMG, une Rolls Royce Phantom Drophead (décrite comme la décapotable la plus luxueuse au monde), une Cadillac rose de 1964, une Mercedes-Benz CLK DTM AMG Cabriolet 2006 (l’une des 80 seules convertibles produites, estimée entre 650 000 et 850 000 dollars), une Maserati GranTurismo 2010 avec son V8 de 433 chevaux… Les plaques d’immatriculation ? HACKER, POLICE, CEO, KIM COM, GUILTY, GOD… Le mec a de l’humour !
Mais Kim voit plus loin que le simple hébergement de fichiers. Il prépare en secret Megabox, une plateforme musicale révolutionnaire qui aurait rémunéré les artistes à hauteur de 90% ce qui tranche face aux misérables pourcentages des maisons de disques traditionnelles. Selon plusieurs sources, ce projet aurait directement menacé l’industrie du disque et du cinéma.
Swizz Beatz, producteur star et CEO de Megaupload, balance :
Vous savez ce que je faisais, je donnais 90% du shit aux artistes !
Le système Megakey permettait même de payer les artistes sur les téléchargements gratuits. Testé sur plus d’un million d’utilisateurs, ça marchait ! Busta Rhymes tweete même son soutien :
MEGAUPLOAD créait le moyen le plus puissant pour les artistes de toucher 90% de chaque dollar malgré la musique téléchargée gratuitement.
L’industrie musicale se met alors à flipper fort et quand Megaupload tente un deal pour les pochettes d’albums, il est bloqué direct. “Ils nous ont empêchés de devenir un partenaire légitime”, dira Kim.
Et le réveil sera brutal puisque le 20 janvier 2012, à 6h47 du matin, un hélicoptère du Special Tactics Group survole la propriété pendant que des voitures de police arrivent au portail. L’opération coordonnée entre le FBI et la police néo-zélandaise mobilise 76 agents (dont 72 du STG, l’unité anti-terroriste !), 2 hélicoptères, 4 camions, des chiens et des armes automatiques pour arrêter… un mec qui héberge des fichiers. Kim se cache dans la “Red Room”, une safe room électroniquement verrouillée que les forces spéciales doivent découper pour l’atteindre après 13 minutes de recherche.
Les accusations pleuvent : violation criminelle du droit d’auteur, blanchiment d’argent, racket, fraude électronique. Selon le FBI, Megaupload aurait causé plus de 500 millions de dollars de pertes aux ayants droit tout en générant 175 millions de profits “illégaux”. Les biens saisis sont 18 voitures de luxe (valeur : 4,8 millions), des télévisions géantes, des œuvres d’art et 175 millions de dollars en liquide. Et 64 comptes bancaires gelés dans le monde entier. Rien que ça !
L’affaire prend alors une tournure géopolitique embarrassante. Le 24 septembre 2012, le Premier ministre John Key révèle que le GCSB néo-zélandais (équivalent de la NSA) a espionné Kim illégalement pour aider le FBI à le localiser. Problème : l’agence n’a pas le droit d’espionner les résidents permanents néo-zélandais, statut que Kim avait obtenu en novembre 2010. “C’est extrêmement décevant”, admet Key. “J’ai donné l’ordre à l’inspecteur général du renseignement de mener une enquête.”
Key doit alors présenter des excuses officielles :
Bien sûr, je m’excuse auprès de M. Dotcom, je m’excuse auprès des Néo-Zélandais car chaque Néo-Zélandais qui détient la résidence permanente a le droit d’être protégé.
L’enquête révèle que le GCSB s’est fié à des infos incorrectes de la police sur le statut de Kim et a mal interprété la loi sur l’immigration. Pire, un rapport fuite en avril 2013 révélant que le GCSB aurait illégalement espionné 88 personnes depuis 2003 !
Mais voilà un truc encore plus savoureux. Une étude de l’École de Management de Munich et de la Copenhagen Business School révèle que la fermeture de Megaupload a eu un “effet négatif sur les revenus du box-office”. En clair, la plateforme servait involontairement de promoteur de films, poussant le public vers les salles obscures après avoir découvert des œuvres en ligne.
L’étude, basée sur 10 272 films dans 50 pays entre 2007 et 2013, montre que seuls les blockbusters (Harry Potter, Avengers, Le Hobbit) ont bénéficié de la fermeture de Megaupload. Pour les films moyens et petits, l’impact a été négatif car le piratage agit comme mécanisme de bouche-à-oreille, diffusant l’info des consommateurs à faible volonté de payer vers ceux prêts à dépenser. Suite à ça, la MPAA rejette l’étude : “Spéculation totale !” Mouais…
Pendant ce temps, Kim lance Mega en 2013 (avec chiffrement de bout en bout !), se lance dans la politique néo-zélandaise avec son Internet Party, et multiplie les déclarations controversées sur Twitter. En 2017, il prétend avoir des preuves sur l’affaire Seth Rich, ce que la famille qualifie de “ridicule et manipulateur”. Ses tweets complotistes et parfois antisémites lui valent des condamnations unanimes.
12 ans de batailles juridiques plus tard, l’étau se resserre. Le 15 août 2024, le ministre de la Justice néo-zélandais Paul Goldsmith signe finalement l’ordre d’extradition vers les États-Unis après “avoir reçu des conseils approfondis du ministère de la Justice”. Kim annonce immédiatement son intention de faire appel via une révision judiciaire. Mais le 7 novembre 2024, il subit un AVC grave qui le laisse en fauteuil roulant avec des problèmes de mémoire et d’élocution.
Son avocat Ron Mansfield confirme :
C’était très grave et nous ne savions honnêtement pas s’il survivrait.
Hospitalisé plus de deux semaines, Kim fait face à l’extradition dans un état de santé précaire.
Entre innovation et régulation, liberté et propriété intellectuelle, génie et folie des grandeurs et à l’heure où l’IA générative pose les mêmes questions sur les droits d’auteur, le combat judiciaire de Kim Dotcom n’a jamais été aussi actuel.
Sa possible extradition marquera-t-elle la fin d’une ère ou le début d’une nouvelle bataille pour la neutralité du Net ? On verra bien…
– Source :
https://korben.info/kim-dotcom-megaupload-saga-hacker-milliardaire.html