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    Steuplait steuplait steuplait !

    Avec son application et sa « Else academy », Else veut apaiser les relations parents-enfants tout en aidant à réduire le temps d’écran. Next s’est entretenu avec son président Bertrand de la Tour d’Auvergne.

    Aider parents et enfants à discuter sereinement de leurs usages numériques… et à réduire le temps d’écran (des plus jeunes pour commencer), telle est la mission que s’est fixée Else, une application dont la première version est sortie fin décembre 2023.

    Venu du monde de la mobilité, avec plusieurs projets entrepreneuriaux à son actif, Bertrand de la Tour d’Auvergne explique à Next s’être lancé dans le projet après qu’un ami proche lui a raconté comment ses enfants, accaparés par les écrans, voyaient leurs résultats scolaires chuter de manière spectaculaire. Ensemble, les deux hommes creusent et constatent que le problème est généralisé : selon l’association e-enfance, 67 % des enfants de 8 à 10 ans et 86 % de 8-18 ans sont inscrits sur les réseaux sociaux.

    Avec les trois autres membres de Kappa Development, la société qui soutient le projet Else, il passe « 15 mois à interroger des familles, des enfants jusqu’aux grand-parents, des spécialistes, des psychiatres, des directions d’école, etc… ».

    Temps d’écran, conflits et cyberharcèlement

    En parallèle, ils lisent « des études scientifiques et des livres dans tous les sens », parmi lesquels cette revue de littérature qui constate de plus nombreux problèmes de santé chez les enfants et adolescents les plus longuement exposés aux écrans ; cette étude qui relève une corrélation, mais pas de causalité évidente, entre l’exposition des 9-10 ans aux écrans et de moins bons résultats scolaires ; ou encore ce rapport produit par la société du médiatique consultant Martin Blachier et qui constate une utilisation légèrement supérieure des réseaux sociaux par les filles de 15-24 ans que les garçons, ainsi que des symptômes dépressifs plus élevés chez les premières.

    Auprès de Next, Bertrand de la Tour d’Auvergne cite aussi le pédopsychiatre Boris Cyrulnik, qui

    les écrans avant trois ans, ou l’ouvrage La Fabrique du Crétin Digital, dans lequel le neuroscientifique Michel Desmurget appelle à la prise en compte des effets du numérique sur la santé mentale des plus jeunes, mais dont certaines affirmations sont régulièrement débattues. La maîtresse de conférence en psychologie cognitive Séverine Erhel explique par exemple que le problème n’est pas tant le temps d’écran que l’usage qui en est fait.

    Chez Else et Kappa Development, « on n’a rien contre les écrans, on croit seulement que, comme le reste, ça s’apprend », souligne Bertrand de la Tour d’Auvergne. Il compare l’offre du premier smartphone à celui du premier vélo : « Le jour où vous équipez votre enfant, vous ne le laissez par partir comme ça : il faut lui mettre des roulettes, le tenir par les épaules, et petit à petit le laisser rouler. » Or, ce que les travaux de la jeune pousse montrent, c’est que le plus souvent, la question numérique est source de conflits : « Dans nos études avec des familles, les mères disent que c’est la guerre, que c’est l’enfer. »

    Et de souligner cette autre problématique liée aux usages numériques : un quart des familles interrogées par e-enfance ont été confrontées au moins une fois à du cyber-harcèlement. « Et le problème des enfants, c’est qu’ils ne se confient pas, ni aux parents, ni aux enseignants, ils se renferment et se sentent coupables. C’est un problème un peu similaire à celui des viols, risque même l’entrepreneur : c’est le même type de honte, qui fait que les victimes ne parlent pas. »

    Gestion du temps et contenu éducatif

    Pour répondre à ces multiples défis, Else propose donc une application de gestion simplifiée du temps d’écran de l’enfant – les outils proposés directement par les constructeurs étant, selon Bertrand de la Tour d’Auvergne, « souvent trop compliqués pour que les familles les mettent en œuvre » – selon trois types d’usages : réseaux sociaux, jeux et divertissements.

    La spécificité d’Else se trouve plutôt dans ses contenus éducatifs. Ceux-ci visent aussi bien les mineurs, mettant en rapport leur temps passé devant les écrans avec les quelque 20h de temps libres dont ils disposent chaque semaine, que les parents, pour les aider à créer un espace de discussion apaisé.

    Les contenus de cette « else academy », explique Bertrand de la Tour d’Auvergne, ont été écrits par des pédiatres, des spécialistes de sciences cognitives, des psychanalystes « comme [le psychanalyste, ndlr] Michael Stora », et ont vocation à être « de plus en plus poussés ». Else propose, enfin, un bouton d’appel direct vers le 3018, le numéro pour les victimes de cyberharcèlement et leurs proches, animé par les équipes de l’association e-enfance.

    Des discussions et des pauses pour favoriser la déconnexion

    En pratique, les constructeurs de l’application prévoient qu’enfants et parents s’assoient ensemble pour discuter de leurs usages numériques et se mettre d’accord sur le temps d’écran accordé. « Ce qu’on propose, c’est une solution qualitative plutôt que centrée sur la quantité de temps d’écran : une application qui soit consensuelle, où parents et enfants discutent et établissent des règles ensemble ».

    Quelle que soit la temporalité finalement arrêtée, Else enverra des notifications à l’enfant au fil de son temps d’écran, et proposera une « pause else » de dix minutes toutes les trente minutes – même si, dans nos tests, elle a plutôt semblé se déclencher au bout de vingt. La raison ? « Les études montrent qu’au bout de 2 minutes 39, les enfants passent à autre chose. Que ce soit pour aller faire du piano, du foot, du vélo, aider maman à mettre le couvert… Ils ne reviennent pas. »

    La première version d’Else n’est disponible que sous iOS, « parce qu’il fallait commencer quelque part et que nos études montrent que les possesseurs de produits Apple étaient un peu plus sensibles à ces questions ». Bertrand de la Tour d’Auvergne explique aussi avoir commencé ainsi par le plus difficile, et prévoit un lancement plus simple pour les applications mixtes (un parent ou enfant sous iOS, l’autre sous Android) et Android, qu’il prévoit « à la fin du printemps au plus tard », « selon nos financements » — la société est soutenue par des fonds et des business angels.

    Pour le moment, l’application ne permet pas de fournir une rallonge de temps en cas de négociations ardues. « Ça n’est pas forcément le but », pointe Bertrand de la Tour d’Auvergne, qui place Else en faux de ses concurrents qui « proposent du temps d’écran en guise de récompense. Plutôt que d’obtenir une autorisation de passer plus de temps devant un écran, pourquoi ne pas aller jouer au tennis ou à autre chose ? »

    Futures fonctionnalités et visées internationales

    Bertrand de la Tour d’Auvergne pointe aussi que ces questions de déconnexion ont une dimension sociale : « plus le milieu est défavorisé, plus le problème est intense, car l’écran agit comme une nounou gratuite ». De fait, une étude menée en 2022 sur le temps d’écran des plus petits (2 à 5 ans) de la cohorte Elfe (Étude Longitudinale française depuis l’Enfance) montre de réelles disparités de temps d’écran selon le niveau d’étude de la mère et le nombre de grands-parents d’origine immigrée.

    À 10 euros par mois pour un enfant, 15 pour deux et 18 pour trois, le coût d’accès à Else n’est pas pour autant spécialement réduit. Mais il est, à en croire son président, justifié par les études de marché réalisées par Kappa Development. Actuellement, Else revendique « un gros millier » de souscripteurs, son président se déclarant en phase de « soft launch sur la première version de l’application ». Il en vise 200 000 en un an.

    Outre les adaptations aux autres OS qui lui permettront de toucher un plus grand nombre de personnes, Else travaille à de nouvelles versions de l’application, avec des fonctionnalités plus poussées. « On réfléchit aussi à un programme d’intelligence artificielle qui pourrait réagir en temps réel à des interactions inappropriées de l’enfant sur son appareil, explique ainsi l’entrepreneur. Que ce soit face à un vieux monsieur qui demande une photo, ou si l’enfant lui-même s’apprête à envoyer une énorme insulte, l’application pourrait lui demande si le message est bien opportun. »

    Vu les retours des parents, Else songe aussi à développer, plus tard, du contenu éducatif à destination des adultes. Dans sa roadmap, l’équipe a aussi inscrit un déploiement vers l’international. Dans le viseur, pour commencer : une implantation, en 2025, dans trois villes des États-Unis.

    Source : next.ink