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    @Nick2 a dit dans [Analyse] Avatar : Jungle Fever :

    Sans aucun doute c’est le genre de film à voir au ciné !

    C’est clair que sur la version remasterisée sorti en septembre dernier, j’en ai pris plein les mirettes, c’était vraiment incroyable, une dinguerie 😉 Chose impossible à reproduire chez soi.

    Pourtant ce n’était pas la première fois que je le voyais au cinéma.

    incroyable

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    Critique Mad Movies

    Comment écrit-on la suite du plus gros succès de l’Histoire du cinéma ? « En prenant son temps pour faire les choses bien » nous répondait il y a quelques mois Jon Landau. Alliant une fresque familiale intimiste à un spectacle aux proportions inédites, La Voie de l’eau justifie largement les treize années qui le séparent du film original, et pave la voie à une saga qu’on peut déjà qualifier de colossale…

    Le modèle de James Cameron pour la saga Avatar, comme il l’explique à longueur d’interviews, a toujours été Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. Tournés simultanément et complétés par des prises de vues additionnelles en 2002 et 2003, La Communauté de l’Anneau, Les Deux tours et Le Retour du roi étaient toutefois partis avec un avantage : le réalisateur néo-zélandais avait pu s’appuyer sur les romans de J.R.R. Tolkien pour expliquer aux comédiens l’arc complet de leurs personnages.

    Les performances obtenues, superbement incarnées, étaient surtout cohérentes avec le projet d’ensemble, ce qui, dans une œuvre de fantaisie, est une nécessité souvent négligée. Souhaitant adopter la même approche créative à long terme, Cameron a décidé de rédiger toutes les suites d’Avatar en même temps, avec la collaboration de Rick Jaffa, Amanda Silver, Josh Friedman et Shane Salerno.

    Bien avant d’arpenter le plateau des opus 2 et 3 (ce dernier devrait mettre en scène un clan na’vi belliqueux, le peuple des cendres, face à des humains moins manichéens que prévu), les acteurs auront ainsi été mis dans la confidence vis-à-vis des épisodes 4 (qui devrait se dérouler en partie dans l’espace) et 5 (qui posera ses caméras sur Terre).

    Souhaitant exploiter tout le potentiel esthétique et thématique de son nouvel univers, Cameron avait promis d’aborder chaque long-métrage comme un récit autonome, proposant ses propres défis technologiques et son atmosphère bien spécifique. Fait rare, La Voie de l’eau confirme ce discours tenu durant depuis le début de la tournée promo tout en posant avec un sens impressionnant du dosage les bases d’une mythologie inépuisable.

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    – Jake Sully (Sam Worthington) et sa famille en pleine transhumance.

    LE TOUR DE LA QUESTION

    En 1986, Cameron s’était déjà prêté au délicat exercice de la « séquelle », mais son cultissime Aliens, le retour reposait sur un univers imaginé par d’autres. Coécrit par William Wisher, Terminator 2 : Le jugement dernier avait de son côté transcendé l’intrigue de son modèle et élargi ses frontières thématiques, mais il avait aussi fait le tour de son sujet, de la guerre futuriste aux affrontements entre les deux cyborgs en passant par des réflexions kubrickiennes sur l’humanisation potentielle des machines.

    Il est d’autant plus intéressant de comparer le world building de T2 à celui de La Voie de l’eau, dont le premier quart d’heure ouvre une infinité de pistes narratives impossibles à digérer en « seulement » trois heures. La brève visite de la capitale humaine évoque la manière dont Peter Jackson filmait Minas Tirith dans La Communauté de l’Anneau : les plans d’établissement sont suffisamment spectaculaires pour poser les enjeux industriels du décor, et suffisamment frustrants pour attiser la curiosité du public, en attendant que Cameron s’y attarde plus posément dans les épisodes à venir.

    Difficile également de ne pas penser à la façon dont George Miller cadrait la « Bullet Farm » dans Mad Max: Fury Road : Furiosa dirigeait sa machine de guerre vers la cité lointaine avant de braquer soudainement, faisant ainsi pivoter le récit à 90 degrés. Dans le même ordre d’idée, tout le monde attendait de Cameron qu’il prolonge son œuvre de façon rectiligne, comme engoncé dans le confort d’un train lancé à vive allure. Le fait que l’aventure démarre justement par le sabotage d’un chemin de fer est une déclaration en soi, le cinéaste dynamitant le carcan créatif que Hollywood aurait sans doute aimé lui imposer.

    MICRO ET MACRO

    L’ambition narrative de Cameron se reconnaît dans l’arbre généalogique des Sully, magnifiquement tracé au fil du prologue. Cette famille nombreuse aurait pu « disneyiser » le propos ; elle l’aide au contraire à optimiser son impact, chaque enfant apportant ses propres problématiques à une macro-dramaturgie d’une densité remarquable.

    Assumant son rôle de chapitre de transition sans que jamais cela n’entame la précision de sa structure (il s’agit bien d’un film, et non d’un épisode de série TV), La Voie de l’eau cultive les contrastes et les paradoxes, comme celui de proposer une aventure beaucoup plus resserrée et intime que la précédente, et dans le même temps des visions encore plus grandioses. Un plan du premier acte résume cette ampleur nouvelle : on y voit la gigantesque navette Valkyrie, autour de laquelle s’articulait le climax du premier opus, fendre le désert creusé par les envahisseurs humains.

    Filmé au loin, l’aéronef arrive aux portes d’une titanesque mégalopole imprimée en 3D (belle métaphore, qui mériterait une analyse entière), ce qui le fait ressembler à un vulgaire insecte. Cette remise à plat de l’échelle de grandeur est également soulignée par une scène d’invasion tétanisante, écrasant elle aussi les repères originaux.

    Point de basculement du premier film, la mort du grand arbre des Na’vi faisait l’objet d’une lente et douloureuse scène de mise à mort en 2009 ; une forêt entière et trois arbres comparables au « Home Tree » sont ici pulvérisés en quelques secondes, avant le débarquement de centaines d’AMP Suits et de Bulldozers cadrés dans une lumière brûlante. S’ils obéissent évidemment à un besoin de surenchère, ces tableaux techno-futuristes dignes de l’animation japonaise soulignent surtout la vexation et l’arrogance de l’espèce humaine suite à la défaite de la RDA.

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    – L’avatar de Quaritch (Stephen Lang) revisite le lieu de sa propre mort.

    RÉINVESTIR LE MONOMYTHE

    La vexation et l’amour propre sont ici des questions centrales. Elles conditionnent autant la trajectoire de Quaritch que celle de Jake et Neytiri, héros de légende obligés de ravaler leur orgueil face à des obstacles devenus insurmontables. Ici s’impose l’un des plus grands aboutissements de La Voie de l’eau : le script conjugue plusieurs relectures très originales du monomythe de Joseph Campbell et les entrelace organiquement, là où le cheminement dramatique d’Avatar restait globalement centré sur l’ascension programmée de Toruk Makto.

    En 2009, Cameron s’était volontairement plié aux fondamentaux d’une forme narrative plusieurs fois millénaire. Treize ans plus tard, il semble questionner sa propre capacité à décomposer et renouveler la formule tout en la célébrant, si l’on en juge par une architecture dramatique obéissant au principe des poupées russes.

    Répondant à une réplique clé du premier film (« Une vie s’achève, une autre commence »), le prologue réinstalle le « monde ordinaire » de Campbell de façon audacieuse, Cameron crédibilisant ses personnages extraterrestres par une accumulation de moments volés et d’échanges on ne peut plus quotidiens. Faisant un sacré pas en avant dans sa quête de suspension d’incrédulité, le réalisateur fait de ses Na’vi bleus de peau les points de repère du public et utilise un procédé hérité de John McTiernan pour traduire implicitement leurs dialogues (1).

    Lorsque « l’appel à l’aventure » (seconde étape du monomythe) intervient quelques minutes plus tard, les spectateurs sont appelés à partager leur déracinement et leur exil. La bravoure exhibée durant la bataille finale d’Avatar est clairement de l’histoire ancienne.

    À l’instar des Tulkans introduits en milieu de projection, une espèce de cétacés douée d’une philosophie raffinée et d’une intelligence supérieure, Jake tente par tous les moyens de limiter des pertes qu’il juge inévitables ; en lieu et place du discours belliciste qu’il prononçait jadis aux côtés de Tsu’tey, il essaie cette fois-ci de calmer les ardeurs du peuple Metkayina suite aux attaques ignobles de la flotte terrienne.

    Ce « refus de l’appel », qui constitue l’étape 3 définie par Joseph Campbell, s’étirera finalement sur deux actes entiers – de quoi ravir les fans du traitement de Luke Skywalker dans le formidable Les Derniers Jedi. Le fils adolescent de Jake, Lo’ak, hérite au contraire d’un arc très proactif : c’est en effet lui qui rencontre un mentor (étape 4 du monomythe).

    Ce guide, un Tulkan dont on comprend l’importance grâce à l’emploi de vues subjectives déstabilisantes, se trouve être lui-même à l’étape 6 de son voyage initiatique (« épreuves, rencontres des alliés et ennemis »). La jeune Kiri (fille adoptive de Jake et Neytiri née de l’Avatar de Grace) sera la première à passer le « seuil de l’aventure », son appétit d’exploration étant assez tôt souligné par une séquence la voyant contempler l’infini dans un trou de ver.

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    – Un échange par-delà la mort entre Quaritch et son avatar.

    UN RÉSEAU SENSORIEL

    Le long et éprouvant climax reflète les choix de structure inhabituels de Cameron. Alors que la bataille finale d’Avatar, introduite par une impressionnante phase de préparation des troupes, était motivée et organisée méticuleusement, la dernière heure de La Voie de l’eau naît d’une succession de péripéties accidentelles empêchant définitivement Jake et son clan de fuir le combat.

    La double structure respecte certes le modèle cameronien (enveloppé par un prologue et un épilogue très denses, le récit est divisé en trois phases distinctes, et le grand final est un film « miniature » en trois temps), mais la progression du spectacle allie plus que jamais une intimité extrême à des tableaux d’un gigantisme sidérant.

    Déclinant sur l’eau le style d’affrontement vu dans le premier volet, avec un degré de violence étonnamment rehaussé, ce morceau de bravoure renvoie tout autant à Abyss et Titanic, jusque dans une scène de naufrage donnant lieu à des expérimentations inédites sur l’immersion et le point de vue. Retournant le drame sur lui-même en même temps qu’un gigantesque navire, l’auteur divise sa galerie de personnages en plusieurs groupes malléables, qui s’entrechoquent au gré de montages parallèles complexes.

    Cameron exploite chaque possibilité d’interaction au risque de faire basculer ses personnages de l’autre côté de la barrière morale (cf. la relation tendue entre Neytiri et Spider), et son approche arachnéenne de la caractérisation rejoint l’un des plus importants concepts posés par le film original. Comme expliqué par Grace, la nature de Pandora est un réseau, au sein duquel les informations, les émotions et les pensées se téléchargent, s’échangent, se stockent et s’éprouvent (toute similitude avec Strange Days, lui aussi écrit par Cameron, est tout sauf accidentelle).

    De même qu’Avatar intégrait dans son récit un module d’interface neuronale pour discourir sur l’évolution de la perception cinématographique (les lunettes 3D envahissaient alors les salles obscures), La Voie de l’eau médite sur les songes et la mémoire, notamment lorsque Kiri, Neytiri, Jake et Lo’ak se connectent à Eywa ou au système limbique de diverses créatures.

    Cette thématique se marie parfaitement aux enjeux technologiques et sensoriels du long-métrage qui, en écrivant une nouvelle grammaire liée au HFR 3D, donne l’impression d’avoir vécu un rêve lucide et laisse derrière lui des souvenirs anormalement palpables.

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    Jake Sully en pourparlers avec les chefs du clan Metkayina, Tonowari (Cliff Curtis) et Ronal (Kate Winslet).

    L’ÉCLIPSE DES MYTHES

    La notion de souvenir amène enfin Cameron à revisiter des pans entiers de sa propre filmographie, d’une scène d’interrogatoire issue de True Lies à des noyades venues d’Abyss. Tout comme T2 reproduisait des pans entiers de Terminator, ce miroir créatif se tend tout particulièrement vers des scènes clés du premier Avatar, le plus souvent pour développer le « recombinant génétique » de Quaritch.

    Se prêtant à un exercice de mise en scène digne de Retour vers le futur 2, Cameron commence par confronter ce clone aux derniers moments du film original, avec un souci du détail contribuant à asseoir la réalité de son environnement (l’emplacement de l’AMP Suit, la disposition des flèches, la vitre brisée de la cabane, le module de liaison enfoncé par le robot ; tout est absolument parfait, y compris les mouvements de Jake et Neytiri rejoués ici en vue subjective).

    Quand, par la suite, le « recomb » est soumis aux épreuves que Jake avait dû surmonter lors de son apprentissage des coutumes Omaticaya, le réalisateur puise dans les cadrages de 2009 pour mieux différencier les actions et les choix des deux personnages. Il ressort toutefois de ces moments un rapprochement subtil et insidieux entre ces deux antagonistes, Quaritch se retrouvant lui-même embarqué dans son propre monomythe. Chacun, dans La Voie de l’eau, se révèle à travers l’autre, y compris Neytiri et Ronal, deux femmes de pouvoir décrites à tour de rôle en train de brandir un arc au pic de leur grossesse (2).

    Toutes ces figures se superposent alternativement, projetant leur ombre sur le récit avec la force de cette éclipse qui se reproduit de façon métronomique dans le ciel de Pandora. Usant du principe des cycles, à la fois de façon intradiégétique (voir le retour des Tulkan chez le peuple Metkayina, après être venus au terme du « cycle » de leur voyage) et au sens littéraire, James Cameron a déjà gagné son pari : Avatar et La Voie de l’eau forment à eux seuls un sommet de science-fiction comparable au Dune de Frank Herbert et à 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick.

    (1) Alors que ses enfants se disputent en na’vi, Jake explique en voix off que ses problèmes avec le langage sont de l’histoire ancienne. Au moment où il prononce les mots « Désormais, j’ai l’impression d’entendre de l’anglais », le dialogue est soudain traduit en langue anglaise.

    (2) Symbolisée par la déesse Eywa, la maternité est l’un des thèmes les plus passionnants de La Voie de l’eau et revêt des aspects inattendus, comme en témoignent les Tulkan et les personnages de Kiri et Grace…

    Par Alexandre Poncet.