Voici venu le temps des trous blancs
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Exacts opposés des trous noirs, les trous blancs expulseraient matière et lumière sans jamais en absorber. La détection de ces objets encore hypothétiques établirait la gravité quantique et pourrait expliquer l’origine de la matière noire.
Plus personne ne doute aujourd’hui de l’existence des trous noirs, ces astres dont rien, pas même la lumière, ne peut s’échapper. Mais depuis leur prédiction en 1915 par la théorie de la relativité générale d’Einstein, il aura fallu multiplier les observations pour établir leur réalité. Cette histoire pourrait bien se répéter avec les trous blancs. Ces objets prévus eux aussi par la relativité générale sont l’exact opposé des trous noirs : ils ne peuvent qu’expulser matière et lumière quand les trous noirs ne peuvent qu’en absorber. Ainsi, s’il est impossible de s’échapper d’un trou noir, il l’est tout autant de pénétrer dans un trou blanc, aussi appelé « fontaine blanche ». Pour beaucoup, ces astres exotiques ne seraient que de simples curiosités mathématiques. Mais certains scientifiques commencent à croire très sérieusement à leur existence car ils sont parvenus à élaborer un scénario convaincant pour expliquer leur formation : d’après eux, les trous blancs constituent le stade ultime de l’évolution des trous noirs.
Genèse d’un trou noir
En effet, si les trous blancs sont longtemps restés dans l’ombre, c’est « parce que contrairement aux trous noirs, il n’existe pas de mécanisme simple qui permet d’expliquer leur naissance », note Carlo Rovelli, du Centre de physique théorique (1). Le physicien italien est à l’origine, avec d’autres chercheurs, du scénario de formation des trous blancs et l’auteur d’un récent livre sur ces astres énigmatiques (2). Concernant la genèse des trous noirs, le phénomène est bien établi et parfaitement décrit par la relativité générale : lorsqu’une étoile d’au moins trois fois la masse du Soleil arrive en fin de vie, elle s’effondre sur elle-même. Dans une explosion gigantesque, une supernova, les couches externes de l’astre sont projetées dans le milieu interstellaire, tandis que son cœur se comprime et devient si dense qu’il forme un trou noir, délimité par un « horizon », une frontière à sens unique au-delà de laquelle rien ne peut plus ressortir, ni rayonnement ni matière.
Réconcilier physique quantique et relativité générale
Pour les trous blancs, l’histoire est plus compliquée et fait appel à une autre théorie, beaucoup plus récente : la gravitation quantique à boucles, développée à la fin des années 1980 par l’Américain Lee Smolin et Carlo Rovelli. Il s’agit d’une des tentatives les plus abouties pour réconcilier la théorie de la relativité générale d’Einstein et la physique quantique. La première décrit la déformation de l’espace et du temps sous l’effet de la matière à l’échelle de l’Univers. Dans ce cadre, la géométrie, variable, de cet espace-temps détermine les mouvements de la matière qu’on interprète comme étant dus à une force gravitationnelle. La seconde explique comment les particules élémentaires interagissent à l’échelle de l’infiniment petit.
Mais la relativité générale ne dit rien des particules élémentaires, tout comme la mécanique quantique ignore totalement les étoiles et autres galaxies. Parvenir à unifier ces deux visions dans une seule et même théorie dite de « gravité quantique » constitue ainsi un des défis majeurs de la physique actuelle pour mieux comprendre le monde qui nous entoure. À commencer par les trous noirs. Dans ces astres en effet, les deux théories se trouvent forcément mêlées puisqu’à la fois le champ gravitationnel qu’ils exercent est très fort et la matière y est concentrée à l’extrême. « C’est pour cette raison que la relativité générale échoue à elle seule à répondre à une question pourtant simple : que devient la matière qui tombe au cœur d’un trou noir ? », résume Carlo Rovelli.
Quanta d’espace contre singularité
D’après les équations d’Einstein, en effet, la concentration de la matière qui s’accumule au centre de l’astre devient telle qu’il finit par se former une singularité, un point où la densité d’énergie et la courbure de l’espace-temps deviennent infinies. Mais ces infinis ne peuvent pas avoir de réalité physique et sont au contraire le signe des limites de la théorie.
Pour aller plus loin et tenter de supprimer ce problème, la gravitation quantique à boucles stipule que l’espace lui-même est soumis aux phénomènes quantiques : de la même manière que la matière est composée d’atomes, l’espace est constitué de grains individuels, ou quantas, minuscules mais de taille finie. Ainsi, dans cette vision, l’espace ne peut pas être divisé à l’infini. Il est impossible de descendre sous la barre des 10(puiss -35) mètre. Et comme rien ne peut être plus petit que ce quantum d’espace, la singularité disparaît purement et simplement : au cœur du trou noir, quand la matière en effondrement sur elle-même atteint ces échelles de taille, il lui est impossible de se concentrer davantage. « Il se produit alors un changement fondamental. L’espace-temps génère en quelque sorte une force répulsive d’origine quantique qui s’oppose à l’effondrement et fait rebondir la matière », avance Carlo Rovelli. Au cours de cette transition quantique extrêmement brève – comme celles qui s’opèrent dans le monde des particules élémentaires –, la géométrie de l’espace-temps elle-même s’inverse, permettant à la matière qui auparavant se contractait d’être désormais expulsée. C’est ainsi que les trous noirs sont amenés à devenir des trous blancs, recrachant la matière qui s’était effondrée en leur sein.
Crédible, ce scénario mis en équations par la gravité quantique à boucles donne du poids à l’existence de ces fontaines blanches. Qui plus est, il permet non seulement de régler le problème de la singularité des trous noirs mais aussi d’éliminer le fameux paradoxe de l’information posé par ces derniers et longtemps débattu par les physiciens. En effet, quand un objet tombe dans un trou noir, l’information qu’il porte avec lui semble perdue à tout jamais puisque rien en théorie ne peut ressortir d’un trou noir. Dès lors, ces ogres cosmiques constitueraient les seules régions de l’Univers où l’information n’est pas conservée. Mais si le destin d’un trou noir est de finir en trou blanc, alors le paradoxe est résolu simplement : toute l’information séquestrée par le trou noir se retrouve libérée par le trou blanc.
Cache-cache dans les distorsions temporelles
Toutefois, aussi séduisante soit-elle, l’hypothèse de la formation des trous blancs laisse une interrogation de taille : si les trous noirs se transforment fatalement en fontaines blanches, pourquoi ne les voit-on pas s’illuminer autour de nous l’un après l’autre ? En réalité, cette contradiction n’est qu’apparente car elle s’explique parfaitement dans le cadre de la relativité générale, où le temps est flexible. Un objet massif courbe l’espace-temps autour de lui de telle façon qu’il ralentit le temps. Sur Terre, par exemple, le temps s’écoule plus lentement au bord de la mer qu’en haut des montagnes, où la gravité est moindre.
Bien sûr, sur notre planète, l’effet est infime. « Mais dans un trou noir, la différence devient énorme : un temps très court proche de l’horizon correspond à un temps très long loin de ce dernier. Ainsi, le temps du rebond, qui n’excède pas quelques millisecondes pour le trou noir lui-même, peut correspondre à plusieurs milliards d’années pour un observateur éloigné », explique Aurélien Barrau, du Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie (3). Résultat : si l’on ne voit pas de trous noirs s’embraser dans le ciel, c’est parce que, dans notre espace-temps à nous, ils n’en ont pas encore eu le temps.
À la recherche des trous noirs primordiaux
Doit-on alors faire définitivement une croix sur l’observation de ces hypothétiques trous blancs et renoncer du même coup à mettre à l’épreuve le modèle développé par les scientifiques ? Pour ceux issus de gros trous noirs, même de quelques masses solaires, inutile en effet d’espérer : ces derniers ne devraient se transformer qu’au bout d’un temps largement supérieur à l’âge de l’Univers. Mais à côté de ces monstres, il existerait une myriade de petits trous noirs qui pourraient déjà avoir entamé leur transformation. Car ceux-ci perdent constamment une partie de leur masse à cause d’un phénomène d’évaporation mis en évidence par le Britannique Stephen Hawking. « Par un effet lié aux fluctuations quantiques du vide, ils rayonnent de la lumière et leur masse diminue de plus en plus rapidement, jusqu’au point où peut se produire la transition quantique qui les fait devenir trous blancs », précise Carlo Rovelli.
De tels trous noirs suffisamment petits pour subir une évaporation assez rapide sont forcément des trous noirs primordiaux, des astres encore hypothétiques qui seraient nés juste après le Big Bang, quand l’Univers était très dense et très chaud. À cette époque, des accumulations localisées de matière auraient conduit à la formation de ces astres de masses et de tailles extrêmement variées, parmi lesquels certains seraient minuscules. C’est donc sur ces trous noirs originels, certes encore jamais observés, que les astronomes focalisent leur attention, dans l’espoir de détecter des indices de leur transformation en trou blanc.
Comment les observer ?
Mais comment ces fontaines blanches manifesteraient-elles leur présence ? Première possibilité : l’événement pourrait être très violent, le trou noir explosant brutalement en transformant une grande partie de sa masse en rayonnement. « D’après mes calculs, l’explosion libérerait un flot de photons gamma, sous la forme de flashs intenses et brefs. Il n’est donc pas impossible que certains sursauts gamma observés, très rapides et très énergétiques, viennent de l’explosion d’un trou noir en trou blanc », souligne Aurélien Barrau. Pour le chercheur, il serait même possible de faire la distinction entre ces différents phénomènes, car les signaux provenant des trous blancs devraient présenter selon lui une signature bien particulière : un décalage vers le rouge – du fait de son mouvement d’éloignement, un objet lointain voit sa lumière décalée vers le rouge – différent des autres astres. Un effet que l’on pourra peut-être mettre en évidence dans de futures observations en accumulant de grandes quantités de données sur les sources gamma enregistrées par de multiples instruments.
La matière noire faite de trous blancs ?
Mais tous les trous noirs ne sont pas destinés à exploser violemment. Ayant évaporé la quasi-totalité de leur masse, certains d’entre eux deviendraient alors de minuscules et paisibles trous blancs, imperceptibles car n’émettant quasiment plus de rayonnement et dotés d’une espérance de vie très longue. « Les équations de la gravité quantique à boucles permettent de calculer précisément la masse de ces trous blancs : de l’ordre du microgramme. Cela peut paraître négligeable mais mis bout à bout, tous ces trous blancs pourraient contribuer de façon importante à la matière noire », s’enthousiasme Carlo Rovelli. Cette matière invisible, qui constituerait environ 27 % du contenu de l’Univers et dont la nature demeure mystérieuse, ne révèle sa présence aux astronomes que par ses effets gravitationnels. Avec les trous blancs, c’est une nouvelle piste qui s’ouvre pour tenter de résoudre ce mystère. Étant donné leur très faible masse, la détection de ces trous blancs serait extrêmement difficile. Mais le chercheur et son équipe réfléchissent d’ores et déjà à des détecteurs hyper sensibles capables d’une telle prouesse.
Vers l’avènement de la gravité quantique à boucle ?
La découverte de signaux en provenance de trous blancs serait une avancée majeure. Non seulement elle prouverait l’existence de ces astres mais, en confirmant la prédiction de la gravitation quantique à boucles, elle permettrait pour la première fois aux astronomes d’établir la nature quantique de l’espace-temps. « La recherche de ces signatures observationnelles est primordiale pour pouvoir affiner nos méthodes de calcul et construire une théorie de gravitation quantique qui décrit correctement notre Univers », souligne Etera Livine, du Laboratoire de physique de l’ENS de Lyon (4) qui travaille sur les développements mathématiques de la gravitation quantique à boucles.
Cette théorie a aujourd’hui le vent en poupe par rapport à d’autres théories de gravitation quantique, comme la théorie des cordes. Car ses prédictions convaincantes ne s’arrêtent pas à l’existence des trous blancs. Il y a quelques années, cette même théorie a permis en effet de résoudre un autre problème, posé cette fois par le Big Bang. Tout comme au cœur des trous noir, la relativité générale prédit l’apparition d’une singularité au début de l’Univers, lorsque toute la matière était concentrée dans un volume minuscule. De la même manière, la gravité quantique à boucles supprime cette singularité en décrivant comment l’Univers, d’abord en contraction, aurait rebondi avant de rentrer dans sa phase d’expansion actuelle. Là encore, les astronomes tentent de prédire les traces qu’aurait pu laisser ce grand rebond dans le fond diffus cosmologique, la première lumière de l’Univers émise 380 000 ans après le Big Bang. « Vu leurs très faibles niveaux d’intensité, de telles signatures ne seraient pas détectables par les instruments actuels. Mais nous avons bon espoir que les expériences futures pourront permettre de tester ce modèle », confie Aurélien Barrau. La gravitation quantique à boucles pourrait alors bouleverser notre vision de l’Univers.
- (1) Unité CNRS/Aix-Marseille Université/Université de Toulon.
- (2) Trous blancs, Carlo Rovelli, Flammarion, septembre 2023.
- (3) Unité CNRS/Université Grenoble-Alpes.
- (4) Unité CNRS/ENS Lyon.
Source: https://lejournal.cnrs.fr/articles/voici-venu-le-temps-des-trous-blancs